Accusée d’engagements partisans, la LDH a déclenché la polémique lors des violences à Sainte-Soline. Enquête sur cette association née avec l’affaire Dreyfus.
Procès en dérive autoritaire d’un côté, accusation de manipulation partisane de l’autre. Entre la Ligue des droits de l’homme et le gouvernement, rien ne va plus. Notre pays « glisse progressivement vers les régimes illibéraux », a lancé le président la LDH, Patrick Baudouin, dans Le Monde du 14 avril. Un mois plus tôt, la Ligue accusait les pouvoirs publics d’avoir délibérément fait obstacle à la prise en charge de blessés graves à la manifestation de Sainte-Soline. Des accusations sévères, mal étayées, portées par un acteur à la fois juge et partie. La LDH a envoyé des observateurs sur place, mais elle avait signé l’appel à manifester, allant jusqu’à attaquer un arrêté préfectoral interdisant le port « d’arme par destination » (soit un objet susceptible de devenir une arme).
En rétorsion, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rappelé le 5 avril devant les députés que les subventions que l’État et les collectivités versent à la Ligue, soit environ 500 000 euros chaque année, n’étaient pas un dû. « Je ne comprends plus certaines de ses prises de position [de la LDH] », a appuyé Élisabeth Borne au Sénat, le 12 avril, tout en rappelant qu’elle avait « beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné ». La Première ministre pensait probablement à son engagement fondateur en faveur du capitaine Dreyfus.
Combats ambigus
C’était il y a cent vingt ans. Pour qui a suivi l’actualité plus récente de la LDH, Sainte-Soline n’est ni un accident ni un tournant. Ces dernières années, en effet, la vénérable Ligue a été de bien des combats ambigus. Elle a soutenu Tariq Ramadan, le comité Vérité pour Adama et l’imam frériste Hassan Iquioussen. Elle s’est mobilisée pour le droit de porter le burkini à la piscine ou le hijab sur les terrains de foot. Comme ses prédécesseurs, son président, Patrick Baudouin (élu en juin 2022), ne manque pas de rappeler qu’un soutien n’implique pas une adhésion. Iquioussen avait tenu des « propos antisémites absolument abjects », admet-il dans Le Monde du 14 avril, mais « la défense du respect des principes qui fondent l’État de droit » était en jeu.
Le problème est que la LDH a des indignations sélectives, et refuse de répondre aux questions du Point. Elle a un groupe de travail « extrême droite », elle n’en a pas sur l’extrême gauche. En 2021, elle a attaqué en justice la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), tout en applaudissant discrètement celle de son alter ego réactionnaire, Génération identitaire. Intraitable sur tout ce qui peut ressembler à l’islamophobie, elle était la grande absente des procès qui ont suivi les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de 2015. Statutairement attachée à la liberté d’expression, elle est allée jusqu’en cassation en 2019 avec le CCIF, après avoir perdu en première instance et en appel, dans l’espoir de faire condamner l’historien Georges Bensoussan pour « provocation à la haine raciale », car il avait parlé de la banalité de l’antisémitisme dans les familles musulmanes.
« Molle ou laxiste »
Appelant à « la résistance des valeurs de gauche », comme le disait sa revue Droits et Libertés en octobre 2022, elle adhère à leur définition de plus en plus étroite. Dans l’Ain ou le Var, des sections locales de la LDH se prononcent contre le nucléaire civil ou l’agriculture conventionnelle, sans prendre la peine d’expliquer en quoi ces activités menacent les droits de l’homme. La LDH n’en est pas encore à écrire que droits et droite ne vont pas ensemble, mais déjà, dans une tribune datant de 2018, le président d’une section locale (Ermont-Eaubonne) posait que « le libéralisme macronien n’est pas compatible avec les droits fondamentaux »…
L’avocat Cédric Porin avait adhéré à la LDH dans les années 1990. Il l’a quittée en 2006, « pour de multiples raisons », dont une porosité grandissante avec « la gauche de la gauche ». Selon lui, l’historienne communiste Madeleine Reberioux, présidente de 1991 à 1995, aurait renforcé des penchants pré-existants, la LDH n’ayant jamais été de droite. Plus gênant, aux yeux de Cédric Porin, dans les années 2000, la LDH aurait fermé les yeux sur la montée d’un antisémitisme musulman, distinct de l’antisémitisme d’extrême droite qu’elle avait si longtemps combattu. Elle se serait montrée « molle ou laxiste » face à de prétendus militants antiracistes qui avaient, en réalité, « des objectifs politiques religieux islamistes et intégristes ».
« On ne peut pas être Alfred Dreyfus et Tariq Ramadan en même temps », résume le journaliste Philippe Val. Selon lui, Élisabeth Borne se trompe en suggérant que la LDH a trahi ses idéaux. « Elle est composée depuis plus d’un siècle d’enfants du rousseauisme qui postulent que l’homme est bon et que le pouvoir l’opprime. Ils ont tendance à percevoir l’État de droit comme une vaste hypocrisie et, en retour, ils utilisent le droit contre l’État. »
Un grand malentendu
La LDH a souvent bien choisi son camp, en particulier en dénonçant la torture en Algérie. Mais elle a également eu des ratés désastreux, comme les procès de Moscou en 1936. Elle n’a pas compris qu’ils annonçaient la vague de terreur de 1937-1938. Elle n’a pas vu que les aveux des seize accusés avaient été extorqués par la torture. Elle a cautionné leur condamnation à mort – ce qui a créé un mouvement de contestation minoritaire en son sein. Raconté par Christian Jelen, journaliste au Point (décédé en 1998), dans son livre Hitler ou Staline. Le prix de la paix (Flammarion, 1988), ce raté a été passé par pertes et profits. Victor Basch, président de la Ligue de 1926 à 1944, est néanmoins passé à la postérité comme martyr, suite à son assassinat par la milice, en 1944.
Aujourd’hui encore, la LDH garde des militants sincères et une aura indéniable. Des centaines de personnalités ont signé un appel en sa faveur, publié par L’Humanité le 11 avril. Parmi elles, la maire de Lille, Martine Aubry, le député centriste Charles de Courson ou le scénariste du prochain Astérix, Fabrice Caro. Les déclarations de Gérald Darmanin auraient provoqué un afflux d’adhésions inédit dans les sections locales, selon l’ex-secrétaire national Jean-François Mignard, président de la fédération de la Haute-Garonne. Combien de temps resteront-ils, c’est toute la question. En 2022, la LDH comptait 8 196 adhérents. Ses effectifs fluctuent, depuis plusieurs années, entre 8 000 et 9 500 personnes, mais avec « un mouvement arrivées et départs toujours important, que nous n’arrivons pas à réduire », commentait son rapport annuel 2020. Peut-être y a-t-il un malentendu. Comme le dit Philippe Val, les sympathisants ouvrent la porte d’une section locale, pensant entrer dans « un pur mouvement soi-disant humanitaire, qui est en réalité hyperpolitique ». La crise en cours est peut-être une clarification.
Par Erwan Seznec et Clément Petreault
La gauche se définit par ce qu’elle met en avant, et entend imposer comme « universels », de prétendus « principes » politiques qui en réalité n’en sont pas :
— dans le meilleur des cas ce ne sont que des Ersatz de la véritable justice, qui consiste à proscrire la tromperie et l’agression, dans le cadre d’institutions qui ne peuvent éviter ni l’une ni l’autre.
— dans le pire ces cas ce sont des lubies littéralement impensables qui reposent totalement sur la tromperie et ont pour préalable l’agression.
Et comme la contradiction affecte également les premiers et les seconds, ses adeptes ne savent même pas, de ce point de vue, faire la différence entre les deux.
Que ses adeptes en aient conscience ou non, la gauche est de ce fait intrinsèquement criminelle.
Comme ces prétendus « principes » n’en sont pas, c’est de façon arbitraire, sélective et contradictoire qu’on la voit soi-disant les défendre, plus souvent que certains ne s’y attendaient.
Ce qui donne force occasions à ceux qui les partagent, ces prétendus « principes », de s’interroger qui sur l’impartialité de leurs soi-disant « defenseurs », qui sur leur portée véritable.