En cabine, le passager peut suivre sur écran l’itinéraire des avions. Dans certains cas, pour des raisons politiques, des compagnies escamotent des pays. Surtout au Moyen-Orient, mais pas seulement.
Le vol Bruxelles-Doha de Qatar Airways évitait ce jour-là le passage habituel au-dessus de la Turquie, puis la classique descente vers le golfe arabo-persique via les montagnes du Kurdistan irakien. Au lieu de cela, le Boeing 787 traversait la Méditerranée et cinglait directement vers Israël… La plupart des passagers ne remarquèrent rien, absorbés par les films et leur plateau-repas. Pourtant, l’écran visualisant l’itinéraire de la compagnie nationale qatarie comportait une omission de taille : nulle part il était fait mention d’Israël ou de Tel Aviv. En revanche, la ville d’Arich, chef-lieu du Sinaï égyptien, et celle de Tyr (Sour), dans le sud-Liban, étaient bien mentionnées. Exit donc Israël, ses dix millions d’habitants, Tel Aviv, Jérusalem de même que ses territoires palestiniens, passés également à la trappe. Le spectaculaire rapprochement opéré par Israël avec les Émirats arabes unis, le Maroc et Bahrein, sa tentative de normalisation avec l’Arabie saoudite, n’empêchent pas qu’apparaisse encore jusque dans la cabine des avions le lourd héritage du passé.
Malgré de bonnes relations commerciales avec Israël, comme c’est le cas du Qatar, plusieurs pays arabes continuent de s’inspirer de la fameuse résolution de Khartoum de 1967, adoptée après la Guerre des Six Jours. Elle établissait trois principes : non à Israël, pas de reconnaissance d’Israël, pas de négociation avec Israël. Aujourd’hui, Qatar Airways sert de la nourriture kasher à bord, mais omet de mentionner l’État d’Israël sur ses cartes d’itinéraire. La Libre a tenté d’en savoir plus sur les raisons de cette omission, mais un message à son service de presse n’a pas reçu de réponse.
Pour David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la fondation Jean Jaurès, l’attitude ambiguë du Qatar tient à la politique de médiation que l’émirat veut jouer sur la scène internationale. “D’une part, le Qatar entretient des relations commerciales avec Israël et joue le rôle de missi dominici auprès du Hamas dans la bande de Gaza”, dit-il. “D’autre part, il se sert de la cause palestinienne pour se positionner dans le monde arabe. Il veut en fait parler à tout le monde”.
Lors de la Coupe du monde de football, l’émirat a distribué des drapeaux palestiniens dans les stades, mais il a également autorisé des vols de supporters israéliens à Doha. Qatar Airways n’est pas la seule compagnie moyen-orientale à faire l’impasse sur l’État hébreu. Tout dépend de l’existence ou non de relations diplomatiques. Les compagnies étant le plus souvent publiques, elles s’alignent sur la politique officielle. Des pays comme l’Iran, la Syrie, le Liban ou l’Irak ne reconnaissent pas l’État d’Israël. Kuwait Airways a fait l’objet de plusieurs plaintes pour avoir refusé des citoyens israéliens. En revanche, depuis les accords d’Abraham qui encouragent les relations avec Israël, la compagnie émiratie Etihad a ouvert en 2020 une liaison avec Tel Aviv. Elle a été suivie en 2021 par la compagnie Gulf Air du Bahrein, qui il y a trois ans encore, se contentait de mentionner la Palestine et la bande de Gaza sur ses écrans en cabine.
Dans une étude malheureusement ancienne, datée de 2017, deux chercheurs américains, Joel Waldfogel et Paul Vaaler, ont analysé les cartes d’itinéraire de 111 compagnies aériennes pour découvrir les biais politiques, éventuellement antisémites, de leurs actionnaires. Leur conclusion est que le déni d’Israël semble “être motivé par les préférences de la clientèle et du propriétaire à propos de la reconnaissance d’Israël et des Israéliens”. Avec une nuance importante : les compagnies qui ont inclus des plats kasher pour leur clientèle sont davantage axées sur la non-reconnaissance de l’Etat hébreu que sur un rejet de ses citoyens.
Israël n’est pas le seul pays à disparaître des écrans des avions. La République de Chypre, membre de l’Union européenne, est régulièrement escamotée sur les cartes des avions de Turkish airlines. Motif : la Turquie ne reconnaît pas la République de Chypre et s’oppose à son adhésion à plusieurs instances internationales. En revanche, la compagnie nationale turque fait atterrir ses avions à l’aéroport d’Ercan, à Chypre du Nord, un pays qui n’est pas reconnu internationalement mais qui est considéré par la Turquie comme une sorte d’extension de son rivage sud. Dans un autre registre, la compagnie Oman Air a eu des problèmes en 2016 pour avoir indiqué sur ses écrans que l’avion survolait le “golfe persique”, et non le “golfe arabo-persique” comme le réclament les pays arabes, très chatouilleux sur cette question de rivalité avec l’Iran. La compagnie s’est excusée en expliquant que les avions avaient été loués à Kenya Airways. Parfois, c’est la modernité qui fait défaut : un avion de la Tarom, la compagnie roumaine, utilisait encore en février de vieilles cartes montrant la Yougoslavie, démembrée dans les années 90. En revanche, selon les deux chercheurs américains, “aucune des compagnies chinoises que nous avons analysées – Air China, Cathay Pacific, China Eastern Airlines, China Southern Airlines, Dragonair (disparue en 2020, NdlR), et Hainan Airlines – n’utilise des cartes d’itinéraire omettant Taïwan, un pays que la Chine ne reconnaît pas”
Christophe Lamfalussy