La cour d’assises spéciale de Paris a entendu, jeudi 13 avril, des victimes, laissées dans l’oubli, venues raconter, 42 ans après, l’horreur de l’attentat devant la synagogue de la rue Copernic le 3 octobre 1980.
Des témoins au dos voûté et des orphelins aux cheveux gris. Ce jeudi 13 avril 2023, victimes et familles endeuillées sont venues témoigner devant la cour d’assises spécialement composée de Paris lors du procès de l’attentat de la rue Copernic, survenu en 1980. L’accusé, Hassan Diab, membre présumé d’un ancien groupuscule terroriste palestinien, n’est pas présent et est jugé par défaut. Plus de quarante ans après, le temps a passé, mais le chagrin et la douleur n’ont pas pris une ride.
« J’ai cru qu’il pleuvait dans la synagogue »
Le 3 octobre 1980, il y a du monde dans la synagogue de la rue Copernic, dans le 16e arrondissement de Paris. En plus de célébrer le shabbat, cinq enfants fêtent leur bar-mitsvah. En pleine cérémonie, une déflagration se fait entendre. Bourrée d’explosifs, une moto garée devant l’édifice religieux vient d’exploser. « Je me souviens très bien qu’il était près de 18h35, nous étions en pleine liturgie, raconte à la barre Mickaël Williams, le rabbin qui officiait ce jour-là, bientôt âgé de 80 ans. J’ai cru qu’il pleuvait dans la synagogue. C’était la verrière qui venait de s’effondrer. »
Pour Corinne Adler, qui avait 13 ans et qui devait fêter sa bat-mitsvah, impossible d’oublier : « J’ai encore le bruit de l’explosion dans ma mémoire auditive. Je me souviens m’être cachée derrière l’autel, car je pensais qu’il y allait avoir des rafales de mitrailleuse. C’était une entrée un peu brutale dans la vie adulte. Ça m’a fait prendre conscience que l’histoire se répète ». L’attentat de la rue Copernic est le premier attentat visant la communauté juive en France depuis la guerre.
« J’ai continué l’office »
Si la peur secoue l’assemblée dans la synagogue, une forme de flegme est présente, dans cette France située entre l’Occupation et les attentats du Bataclan. « J’ai poursuivi l’office après l’explosion, mais j’ai finalement fait sortir les fidèles un peu après. Je leur ai dit « à demain 10 heures ! » comme si de rien n’était », raconte Mickaël Williams.
« Elle ne s’en est jamais remise »
À côté de la synagogue, un magasin d’électroménager tenu par un couple et ses deux fils est touché par l’explosion. L’un des fils s’est exprimé, ému, à la barre, des larmes perlant sur ses traits tirés par l’âge : « J’ai ressenti une électrocution. J’avais le corps secoué. Mes parents étaient gravement blessés. J’ai cru à une fuite de gaz. On a mis les clients à l’abri dans la cour. Un médecin qui habitait dans la rue est venu s’occuper de ma mère. Elle est restée traumatisée et ne s’en est jamais remise ».
Une prise en charge inexistante
En ce début des années 1980, la prise en charge des victimes était réduite au strict minimum. « Avec d’autres blessés, nous avons été emmenés à l’hôpital Ambroise-Paré dans un camion de police. Les agents ne connaissaient pas Paris et j’ai dû leur indiquer comment se rendre à l’hôpital », explique le commerçant en électroménager. Mickaël Williams se rend dans ce même établissement le lendemain pour voir les victimes : « Un médecin m’a barré la route et m’a dit que, tout ça, c’était ma faute », soupire le rabbin.
Financièrement, une bataille commence. « Nous avons fondé une association pour réussir à toucher des indemnités après l’attentat. Mairie et préfecture se refilaient la patate chaude. Nous avons finalement eu des dédommagements en tant que victimes de manifestations », indique l’ancien gérant à la barre. « Depuis plusieurs mois, nous nous sommes plongés dans ce dossier, et nous avons été sidérés de la prise en charge de l’époque », s’est exclamé l’un des avocats généraux.
Des proches de victimes endoloris
Il y a les blessés, mais aussi les morts. Quatre personnes, qui se trouvaient dans la rue, sont décédées lors de l’explosion. Parmi elles, une présentatrice TV israélienne : « Mon père n’a jamais refait sa vie et mes grands-parents sont décédés peu après », s’est exprimé le fils de la victime accompagné d’un traducteur allemand. « Je me souviendrai toujours de ce 3 octobre, où tu n’es jamais rentré pour m’embrasser », déclare la fille de Jean-Michel Barbé, chauffeur garé devant la synagogue et mort sur le coup.
Pour les deux autres défunts, pas de témoignages à la barre. Le temps a fauché ces proches en quête de vérité. « Les parents de Philippe Buissou, âgé de 22 ans et tué alors qu’il se rendait à moto voir sa fiancée, venaient tous les ans se recueillir devant la synagogue », raconte Mickaël Williams. Autre souvenir, un article du Monde de 1982 où le père de la victime, pétri de désespoir, était jugé pour avoir insulté un magistrat. Il est aujourd’hui décédé.
Le temps qui passe a aussi rendu cet attentat lointain dans la mémoire collective : « On est aujourd’hui bien loin de la moto qui a fauché mon père. L’arsenal est encore plus violent désormais. Cet événement qui a bouleversé ma vie prend des proportions dérisoires à côté du 13 novembre 2015 » , constate la fille de Jean-Michel Barbé dans son témoignage.
Après ces témoignages, l’audience s’est poursuivie avec l’audition de Jean-Marc Herbaut, juge d’instruction ayant enquêté sur l’affaire de la rue Copernic. Le verdict du procès est attendu le 21 avril 2023.
Par Antoine Blanchet