Si la République islamique accentue sa répression sur les femmes, elle opprime aussi des minorités ethniques ou confessionnelles. Signe d’une paranoïa croissante du régime…
Depuis plusieurs mois, la République islamique d’Iran accentue sa répression non seulement sur les femmes se libérant du tchador (et de la stricte interdiction de chanter et de danser) et leurs soutiens masculins, ainsi qu’à l’encontre des citoyens critiquant le régime ou suivant un culte « déviant » (tels les Bahaï), mais également sur les minorités ethniques ou confessionnelles situées aux frontières du pays. Parmi elles, à l’ouest, on compte les Kurdes dont le sort tragique se retrouve – bien que de façon différente – en Irak, en Syrie et surtout en Turquie orientale. Du reste, la jeune Mahsa Amini, dont le martyre a déclenché le mouvement « Femme, Vie, Liberté », était kurde et, dans les jours qui ont suivi, de grandes manifestations ont secoué sa région d’origine. Les Kurdes ne se contentent pas de faire craindre à Téhéran un séparatisme (largement fantasmé par les mollahs) et une volonté d’établir un vaste Etat souverain unifié, ils sont en outre sunnites et assez sécularisés dans un pays officiellement chiite et semi-théocratique. Trop de défauts décidément…
A l’extrême sud-est, voici les Baloutches, sunnites aussi, méprisés, accusés de tous les trafics et d’accointance avec le Pakistan voisin ; là aussi, la répression s’est abattue plus violemment encore ces derniers mois qu’à l’accoutumée. Et puis, au nord-ouest, l’Azerbaïdjan iranien (autour de Tabriz) est ultra-surveillé car le régime craint un irrédentisme en provenance de la République souveraine d’Azerbaïdjan, voisine et elle-même partenaire d’Israël.
Sans nul doute très insuffisamment défendues, ces communautés stigmatisées sont néanmoins connues. Mais qui se soucie d’une quatrième communauté réprimée, celle des Arabes ahwazis du Khuzestan ? Considérés comme traîtres depuis l’attaque de l’Irak de Saddam Hussein en 1980, ces arabophones pourtant majoritairement chiites subissent encore une répression tous azimuts : emprisonnements iniques avec tortures, dégradation volontaire de leur environnement via le rejet de déchets nucléaires, privations des droits civiques, absence de mesures d’approvisionnement hydrique par temps de pénurie, tirs à balles réelles lors de manifestations pacifiques, exécutions sommaires ou au terme de simulacres de procès, etc.
Les Gardiens de la Révolution, exécuteurs en chef
Selon Amnesty International, l’Abdorrahman Boroumand Center et l’Iranian Human Rights Organization, à l’heure où s’écrivent ces lignes et après plusieurs dizaines d’exécutions en 2022 sous le chef d’inculpation grotesque d’ »inimitié envers Dieu », une douzaine d’ »activistes » issus d’Ahvaz, Khorramchahr, Shavur ou encore Shoush attendent leur pendaison. A la manœuvre, les exécuteurs des basses œuvres du régime qu’incarnent les cruels et corrompus Bassijis, Gardiens de la Révolution qui ont vu en pleine crise économique leurs budgets accrus de 50 % par le fanatique président aux ordres du Guide suprême, Ebrahim Raïssi.
Constat humaniste lié aux droits de l’homme ? Pas seulement, tant la géopolitique est intimement liée au phénomène. Car si la répression concerne en effet des populations prétendument déloyales au pouvoir central perse, situées dans des zones admises comme sensibles – ainsi de la province de Kermanchah –, elle dit clairement quelque chose de la paranoïa croissante du régime. En toile de fond, celui-ci fait face à une contestation sans cesse montante de la population quant à sa politique socio-économique ; certes, les sanctions internationales (y compris de la part de Moscou et Pékin) déclenchées à partir de 2007 à cause du processus de nucléarisation potentiellement militaire entravent durement l’économie, mais les sommes considérables dépensées au profit des groupes armés extérieurs tels le Hezbollah au Liban ou les Houthis au Yémen d’une part, la corruption, la prévarication et l’impéritie du régime d’autre part et surtout, contribuent plus sûrement encore à la ruine de la population.
On rappellera qu’en 2009 et 2019, les manifestations géantes avaient eu pour ressort principal le pouvoir d’achat, l’inflation, le manque de soins, les pénuries… Dans un tel contexte, il convient pour Téhéran de pointer « l’ennemi intérieur », la « cinquième colonne » et les « mauvais citoyens », un grand classique de l’exercice. Or, c’est quand un régime dogmatique et autoritaire est aux abois qu’il est le plus dangereux.
Frédéric Encel