David L’Epée, ancien proche des antisémites Soral et Dieudonné qui a déjà participé à un colloque du Rassemblement national en janvier, doit intervenir à nouveau devant la formation lepéniste sur le thème du wokisme.
Qu’on ne se méprenne pas : la croisade lancée par le Rassemblement national (RN) contre le wokisme «se fonde sur les valeurs républicaines : égalité, universalité, liberté académique, le refus de la discrimination raciale pour les réunions en non-mixité…» C’est Philippe Olivier, eurodéputé et beau-frère de Marine Le Pen, qui l’a assuré la main sur le cœur, mercredi, lors du lancement de l’association transpartisane contre le wokisme, à l’Assemblée nationale.
Joignant aux paroles les actes, la très républicaine formation d’extrême droite organise un colloque sur le sujet le 21 avril, où devraient pontifier des personnalités aussi brillantes qu’Olivier Vial, syndicaliste étudiant âgé de 48 ans, qui glosait déjà sur les «violences d’extrême gauche» pour Reconquête la semaine dernière. Mais aussi Sami Biasoni, docteur en philosophie qui a démenti dès le lendemain sa présence à l’évènement. Ou encore un député hongrois dont le RN n’arrivait plus, mercredi, à se rappeler le nom et enfin… un certain David L’Epée, qui est déjà intervenu devant la formation lepéniste, en janvier au Parlement européen, sur le thème du wokisme.
Caricatures antisémites
Agé de 40 ans, l’homme, de nationalité suisse, a eu ces vingt dernières années un parcours long comme un bras tendu au sein des droites les plus radicales. Venu de la gauche et des mouvements antifascistes, il se rapproche rapidement d’Alain Soral et de son très rouge-brun collectif «Egalité et Réconciliation». En 2007, L’Epée fonde d’ailleurs en Suisse un club de réflexion, appelé Unité populaire, qui ambitionne de mener le même travail de «réinformation» que l’association masculiniste et antisémite soralienne. L’Helvète réalise pour sa boutique des interviews complaisantes d’Alain Soral et de Dieudonné. Sans surprise, on trouve sur le site internet du club, actif de 2008 à 2014, des caricatures antisémites, dénoncées à l’époque par l’association suisse de Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation.
Libé a pu consulter un de ces dessins, datant du 11 mai 2009 et illustrant un article intitulé «Israël-Occident : les liaisons dangereuses». On y voit un juif, teint blafard, nez crochu et dents carnassières, opprimer des hommes de couleurs pour le compte d’un homme blanc. Du pur soralisme. Une enquête de la Télévision suisse romande (TSR), datant de 2010, a mis au jour de nombreuses positions xénophobes et homophobes sur le site d’Unité populaire. Un recours en diffamation avait à l’époque été déposé contre la TSR auprès de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision, mais les plaignants avaient finalement été déboutés.
«Plan mondialiste»
Est-ce de cette période que David L’Epée tire le carburant de son combat antiwoke ? Notre homme est en tout cas un farouche contempteur de la «cancel culture»… qui, à en lire ses publications, commence très tôt. Dans un entretien avec le complotiste belge Jean Bricmont, paru en décembre 2021 dans la revue Eléments, il déplore le «retour du délit d’opinion», les «écrivains incarcérés», les «personnalités et termes bannis des réseaux sociaux» et l’«activisme frénétique d’associations déposant des plaintes à tout-va, procès en cascade». «Dans le viseur, louange L’Epée dans son introduction, les lois Pleven et Gayssot [réprimant les propos, actes et discriminations racistes, antisémite ainsi que l’apologie des crimes contre l’humanité, ndlr.], les dérives liberticides du “devoir de mémoire”, le chantage permanent à l’antisémitisme…» On ne peut plus rien dire !
Sur le site soralien Egalité et Réconciliation, on trouve en 2013 un entretien avec Marion Sigaut, ancienne proche de Soral passée chez les intégristes de Civitas, complotiste comme il se doit, et spécialiste des dissertations sur le «plan mondialiste de destruction de l’enfance et de la famille». Avec L’Epée, Sigaut déplore «les nouveaux inquisiteurs». A l’époque, on ne parle pas encore de wokes.
En 2013, toujours, L’Epée interviewe, pour sa chaine YouTube, le dessinateur Zéon (Pascal Fernandez de son vrai nom), qui pose fièrement à côté de sa «quenelle d’or» 2013, décernée par un autre antisémite, l’humoriste Dieudonné. Pourfendeur du «Shoah business», le dénommé Zéon est l’heureux lauréat, en mai 2016, du premier prix du «Concours international de caricatures sur l’Holocauste», organisé par le journal iranien Hamshahri, notoirement proche du régime des mollahs. Pour l’un de ses dessins, il a été condamné avec Alain Soral en 2017 par le tribunal correctionnel de Bobigny à 3 000 euros d’amende. On y voit une caisse enregistreuse, surmontée de la porte d’entrée du camp d’Auschwitz, remplie de billets de banque et affichant le chiffre de six millions. La clé du tiroir-caisse est une étoile de David. Vraiment : on ne peut plus rien dire !
Dans les milieux de la Nouvelle droite
En 2017, on retrouve David L’Epée dans les allées du très néo-droitier colloque de l’Institut Iliade. Il est interviewé par une autre figure de la droite radicale, Daria Douguina, la fille du théoricien néo-eurasiste russe Alexandre Douguine, assassinée en 2022. La dénonciation du wokisme n’est jamais très loin. Il dit : «Le jour où on nous aura fait croire qu’il n’y a plus d’homme ni de femme, qu’est ce qui nous poussera à fonder des familles, à régénérer nos peuples ? On aura plus de raisons de le faire. Et c’est pour ça que des groupes comme Soros ou d’autres groupes mondialistes ont intérêt à financer certains projets, décourager la famille occidentale pour la remplacer car il y a ensuite une substitution de peuplement qui se fait car on n’encourage pas le renouvellement démographique à travers un discours familialiste.» Le wokisme, une machination ourdie par le financier d’origine juive Georges Soros, cible de toutes les extrêmes droites et des complotistes, pour favoriser le grand remplacement. On ne fait pas mieux, sur le marché des «valeurs républicaines» !
S’il a quitté le giron soralien depuis quelques années, David L’épée a ensuite prêté sa plume à une autre feuille, tout aussi radicale, mais version nationaliste-révolutionnaire : Rébellion, la revue de l’Organisation socialiste révolutionnaire européenne. On y parle moins de national-socialisme que du national-bolchévisme de l’extrémiste russe Edouard Limonov, auquel la revue voue un culte.
S’adoucissant – très relativement – avec l’âge, notre homme est ensuite allé grenouiller dans les milieux de la Nouvelle droite, devenant un proche d’Alain de Benoist, qui lui confie début 2020 la rédaction en chef de sa revue Krisis. Il collabore également abondamment avec le bimestriel Eléments. C’est par ce biais qu’il s’est rapproché du RN, via le beau-frère de Marine Le Pen, Philippe Olivier. L’argument financier n’y serait pas pour rien : après un internement en asile psychiatrique, L’Epée aurait activé ces réseaux néo-droitiers pour rechercher des partenariats rémunérés. A condition, bien sûr, de rester au service des valeurs républicaines.
par Nicolas Massol, Maxime Macé et Pierre Plottu