Après six ans de combat judiciaire, l’association Maison des potes a obtenu de se constituer partie civile après le saccage de 250 tombes du cimetière juif de Sarre-Union en 2015, ce qui lui avait été refusé jusque-là.
La Cour de cassation a rectifié, mardi 4 avril, une curiosité du code de procédure pénale, qui semblait interdire aux associations qui luttent contre le racisme et l’antisémitisme de se constituer partie civile, après l’important saccage d’un vieux cimetière juif – et il aura fallu six ans de combat judiciaire.
Un mois après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, le pays découvre avec consternation le 12 février 2015 que le vieux cimetière juif de Sarre-Union, dans le Bas-Rhin, a été lourdement profané. Près de 250 tombes ont été dégradées, des stèles renversées, des caveaux ouverts, et le monument aux victimes de la Shoah brisé. « Jamais un cimetière juif n’a été profané avec cet acharnement, jamais avec cette intensité, jamais avec cette frénésie », s’est indigné le président de la République François Hollande, venu sur les lieux.
Cinq jours plus tard, un adolescent vient se dénoncer à la gendarmerie et donne le nom de ses quatre copains, tous mineurs, âgés de 15 ans à 17 ans, qui nient hautement être antisémites. Mais il apparaît bien vite que l’un d’eux a écrit, après les attentats de 2015, « et ces fils de pute de journalistes qui transforment ça en attentat antisémite. Attends que j’aille les enculer ces juifs de merde ». Les enquêteurs découvrent dans leurs téléphones des croix gammées, des propos négationnistes ou la promesse de « nettoyer toute la sous-race ».
Dans le cimetière, Pierre B. dit à ses amis, « bienvenue à Juifland », crie « Heil Hitler ! » et « Sieg Heil ! ». Ils urinent sur les tombes avant de les démolir consciencieusement. « J’ai fait le rituel que Pierre avait imaginé, dit l’un des jeunes, tirer une latte de cigarette, cracher sur la tombe, et faire tomber la cendre sur la tombe. » Le copain lui avait dit, en parlant de la cendre, « c’est pas grave, c’est de sa famille »…
« Du jamais-vu »
Les cinq mineurs ont été condamnés le 15 septembre 2017 par le tribunal de Saverne (Bas-Rhin), à huis clos, à des peines de huit mois à dix-huit mois de prison avec sursis, et cent quarante heures de travail d’intérêt général – des peines modérées. Quarante familles s’étaient portées partie civile, ainsi que le consistoire israélite du Bas-Rhin, propriétaire du terrain. Et sept associations des droits de l’homme, dont le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), SOS-Racisme ou la Maison des potes. Mais lorsque le tribunal a statué sur les intérêts civils, le 28 septembre 2018, c’est-à-dire sur les demandes de réparations, elles ont toutes été déboutées, sauf la Licra. Après une lecture particulièrement étroite de la loi.
« Pour la première fois depuis 1972, dans un cas où le caractère raciste d’un délit a été établi par le tribunal, les associations sont déboutées, s’est indigné Samuel Thomas, président de la Maison des potes. C’est du jamais-vu. D’autant plus que c’est la plus importante affaire de profanation à caractère antisémite en France. » Il a fait appel, comme le MRAP, qui s’est désisté en cours de route. La démonstration du tribunal est remarquablement pointue : les cinq adolescents ont été condamnés pour deux infractions : « violation de sépultures en raison de l’ethnie, la nation, la race ou la religion », et « dégradation du bien d’autrui » – avec deux circonstances aggravantes, en réunion et sur « des biens destinés à l’utilité publique » –, mais pas en raison de la race ou de la religion.
Or, les associations peuvent se constituer partie civile en vertu de l’article 2-1 du code de procédure pénale, qui énumère les infractions qui leur donnent le droit d’ester en justice : la violation de sépulture n’y est pas. « Par conséquent, dit le tribunal, aucune des associations n’est recevable à se constituer partie civile concernant ces faits. » Quant à la dégradation du bien d’autrui, elle n’est « pas liée à l’appartenance à une religion déterminée ». Exit les associations, sauf la Licra, dont les statuts prévoient de défendre les déportés, ce qui figure dans l’article 2-5 du même code, justement pour les violations de sépulture…
La cour d’appel a confirmé en tout point le jugement, le 6 juillet 2021, un raisonnement balayé par la Cour de cassation : la cour de Colmar n’a pas recherché « si les faits de dégradations ont été commis à raison de l’appartenance des victimes à une ethnie, une race ou une religion déterminée », et donc « n’a pas justifié sa décision ». Le procès a été renvoyé devant la cour d’appel de Metz.