Le Libanais Hassan Diab, ancien enseignant de sociologie au Canada, sera jugé en son absence à partir de lundi. Il est le seul accusé poursuivi après l’explosion à la bombe qui avait fait 4 morts en 1980.
C’est le dossier le plus ancien de l’antiterrorisme français qui arrive en procès. Il convient donc d’en redessiner tout un décor pour en comprendre le contexte. Ce vendredi 3 octobre 1980, quatre passants gisent sans vie face à la synagogue de la rue Copernic dans le 16e arrondissement à Paris. A l’intérieur, 46 fidèles sont blessées, parfois grièvement, par le souffle de la bombe et l’effondrement d’une verrière. Aux alentours, la rue n’est plus formée que de façades grises. La France se fige, sidérée par ce terrorisme à la forme inédite.
A cette époque, les attentats de l’OAS qui ont suivi la fin de la guerre d’Algérie sont déjà loin. Ceux de Carlos ou d’Action directe, clairement identifiés. Ceux des indépendantistes corses, bretons ou des militants de différents groupuscules d’extrême droite également, sans mystère. Toutes ces menaces sont gérées par la DST, l’ancêtre de la DGSI, qui enquête en secret. La justice n’est pas encore dotée de la moindre section antiterroriste. Cela ne viendra qu’avec les lois de 1986. Dans l’Hexagone, ce terrorisme venu du Moyen-Orient s’écrit alors sur une page vierge.
Soir de shabbat
Ce vendredi d’octobre 1980, les questions de la signature de l’attentat se greffent à toutes les autres urgences. Qui a pu commettre ce bain de sang ? Qui a pu placer l’explosif – du pentrite – dans les sacoches d’une moto neuve garée à proximité ? Qui a pu mobiliser tant de moyens pour faucher le public des fidèles réunis un soir de shabbat où, de surcroît, étaient programmées les bar-mitsva de trois adolescents et les bat-mitsva de deux jeunes filles ? Quel groupe antisémite est passé à l’action ? A l’époque, c’est la première fois depuis la fin de l’occupation nazie à Paris que des juifs sont pris pour cible dans la capitale.
Comme pour l’attentat de la rue des Rosiers, dans le quartier juif du Marais à Paris, deux ans plus tard, une mauvaise piste égare les premiers instants. Après la tuerie frappant le restaurant de Jo Goldenberg en 1982 (6 morts, 22 blessés), une fausse revendication d’Action directe avait plané quelques heures, obligeant le groupe d’extrême gauche à démentir sa participation, tandis que les enquêteurs établissaient, de leur côté, la piste palestinienne du Fatah-Conseil révolutionnaire d’Abou Nidal. La confusion n’avait pas duré très longtemps.
Fausses pistes
Ce 3 octobre 1980, en revanche, l’Etat semble tomber des nues. A son sommet, dans une phrase incroyable, le Premier ministre Raymond Barre dénonce « un attentat odieux qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à cette synagogue et qui a frappé des Français innocents » ! La considérable émotion nationale provoquée par l’attaque et les réactions politiques se focalisent, quant à elles, sur la piste de l’extrême droite. Un correspondant anonyme n’a-t-il pas appelé l’Agence France Presse pour revendiquer la tuerie au nom des Faisceaux nationalistes européens (FNE) ? Les enquêteurs eux-mêmes suivront cette piste brune quelques semaines avant de l’abandonner, en raison notamment du caractère fantaisiste de l’appel.
Dès le mois de novembre, en revanche, ils sont sur une autre piste. Le commando était composé de cinq hommes. Après l’attentat, ils ont fui Paris pour rejoindre Beyrouth en avion. Un seul de ces auteurs présumés sera finalement identifié et aujourd’hui renvoyé à partir du 3 avril devant la cour d’assises spécialement composée de Paris : Hassan Diab, 69 ans, un Canadien d’origine libanaise, poseur présumé de la bombe, professeur de sociologie à l’université d’Ottawa.
« La France a mis quarante-trois ans à aboutir mais au moins il y aura un procès », confie aujourd’hui à « l’Obs » Bernard Cahen, l’avocat historique des victimes de la rue Copernic. « Il y a une volonté que la justice passe. Toute la communauté nationale devrait se réjouir qu’on ne laisse pas un attentat impuni. Cela a un grand sens. Quel message donnerait-on sinon aux auteurs d’attentats ? », abonde David Père, avocat de l’Association des Victimes françaises du Terrorisme (AFVT) et d’une des rescapées de la tuerie, Corinne Adler qui, ce vendredi de 1980, était venue à la synagogue célébrer sa bat-mitsva.
« Absence d’éléments »
Hassan Diab ne sera pas présent à son procès. Depuis Ottawa (Canada), où il vit, ce dernier a indiqué lors de l’interrogatoire d’identité préalable au procès, mené par le président de la cour d’assises, qu’il ne répondrait pas à la convocation de la justice française. Il ne répondra pas non plus à distance en visioconférence, comme on aurait pu l’imaginer.
Ses avocats qui ont, eux aussi, fait référence à l’importance historique des faits et à la nécessité que la justice soit rendue, plaideront l’acquittement. Ils mettent en avant le non-lieu qui avait été obtenu par M. Diab en 2018 avant que le dossier ne soit relancé. « C’est une situation exceptionnelle puisque après un acte tragique, qui a été suivi d’une série d’attentats terribles, les juges d’instruction chargés des affaires antiterroristes ont travaillé de façon considérable avant d’aboutir à un non-lieu. La justice doit tirer les conséquences de l’absence d’éléments à l’encontre de l’accusé », observe William Bourdon qui, aux côtés d’Appolline Cagnat, défend l’accusé.
Multiples rebondissements
C’est, en effet, à la suite d’une très longue procédure, jalonnée de multiples rebondissements, qu’Hassan Diab va – en son absence, donc – être jugé pour répondre de l’attentat de la rue Copernic. Alors que les faits remontent à 1980, ce n’est qu’en 2008 que l’universitaire est inquiété.
Les investigations des juges Jean-Louis Bruguière et Marc Trévidic, menées avec la DST (devenue en 2008 la DCRI puis la DGSI) et les services américains, ont entretemps exploré les archives des groupuscules palestiniens, les notes de renseignement et le long cheminement d’un passeport déclaré volé pour remonter jusqu’à Hassan Diab… Des études graphologiques sur une fiche d’hôtel en 1980, plusieurs comparaisons photographiques et l’audition de témoins, ainsi que des notes parvenues à la DST en 1999, permettront alors d’asseoir la conviction des enquêteurs et d’incriminer Hassan Diab.
Ce rebondissement n’est que le premier d’une longue série. En 2008, le professeur de sociologie est arrêté. Mais il faut attendre encore six ans avant que son extradition vers la France ne soit signée. Conduit à Paris, le Canadien est mis en examen, placé en détention provisoire. Il garde le silence durant une grande partie de l’instruction avant de se décider à se défendre. Il assure de son innocence. Jure qu’en octobre 1980, il se trouvait au Liban…
Blanchi et libéré
Dossier trop fragile ? Notes de renseignement confidentielles extrêmement catégoriques mais indices factuels incertains ? Les nouveaux juges d’instruction parisiens de l’antiterrorisme chargés du dossier pèsent chaque élément et, en 2018, ils se décident finalement à un non-lieu. « Les charges pouvant être retenues contre Hassan Diab ne sont pas suffisamment probantes et elles se heurtent à trop d’éléments à décharges pour pouvoir justifier un renvoi devant la cour d’assises », écrivent-ils… Blanchi et libéré, le suspect repart au Canada.
Hassan Diab ne reviendra pas en France. Ni à l’automne 2020 pour l’audience de contestation du non-lieu suite à l’appel formé par l’accusation et les parties civiles ni le 21 janvier 2020 pour la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Reprenant également chaque point du dossier à charge et à décharge, celle-ci annule le non-lieu pour renvoyer l’affaire devant la cour d’assises. A charge pour elle désormais d’examiner publiquement les éléments réunis durant l’enquête. Le procès doit se prolonger jusqu’au 21 avril.