Les élections législatives anticipées de novembre 2022 ont rendu à Benyamin Netanyahou son siège de Premier ministre d’Israël, mais n’ont pas pour autant mis fin à l’instabilité politique du pays. Une réforme judiciaire, très contestée, a mis à mal l’indéboulonnable « Bibi ». Au sein de l’opposition au projet de loi, auteurs et poètes n’étaient pas en reste.
À la tête du gouvernement « le plus à droite » de l’histoire d’Israël, qui inclut notamment des partis d’extrême droite, Benyamin Netanyahou a ouvert son nouveau mandat avec un projet de réforme judiciaire particulièrement contesté, présenté en janvier dernier.
Son texte propose la possibilité, pour le Parlement, d’annuler une décision de la Cour suprême, par un vote à la majorité simple, mais aussi un renforcement de la place des élus dans la désignation des juges. Autrement dit, la séparation des pouvoirs se trouve attaquée au cœur, alors que la position de Netanyahou, pour sa part, est confortée, voire protégée.
Après plus de quinze ans à la tête du pays — avec de courtes interruptions —, « Bibi », comme l’appellent ses soutiens, est également le premier chef de gouvernement inculpé en exercice pour des faits de corruption, fraude et abus de confiance. L’origine de la réforme judiciaire se comprend d’autant plus, en connaissance de ce contexte…
Des manifestations suivies
Le secteur de la justice, visé en premier lieu, s’indigne après la présentation de la réforme, mais la rue lui emboîte le pas promptement. Dès le 14 janvier, des manifestations massives prennent place dans les rues de Tel-Aviv, le centre économique, mouvement qui s’étend au cours du mois suivant à l’ensemble du pays.
La mobilisation ne faiblit pas en mars, et a contraint Benyamin Netanyahou, le lundi 27 mars dernier, à mettre en « pause » sa réforme judiciaire. Elle doit être réexaminée en juillet prochain, sans modifications annoncées, pour le moment.
Les auteurs dans la rue
Individuellement, des artistes, auteurs et autrices, traducteurs et traductrices, ont participé aux manifestations comme d’autres citoyens. Mais les prémisses d’une action plus organisée remontent à la fin du mois de février 2023, comme le raconte Haaretz.
Le 23, l’éditrice Ornit Cohen-Barak, figure de la maison israélienne Modan, envoie un message sur la plateforme WhatsApp pour inviter ses contacts à rejoindre un groupe, nommé « La manifestation des poètes ». Des centaines de nouveaux membres prennent part à la discussion, dans les heures qui suivent, et échangent sur la perspective d’une résistance coordonnée à la réforme de la justice.
Deux jours plus tard, une communauté littéraire sera visible dans une manifestation à Jérusalem. Les hommes et femmes de lettres mobilisés font aussi jouer leurs réseaux et leur notoriété : mi-mars, une missive collective est ainsi envoyée à des ambassadeurs anglais et allemand, à quelques jours d’une visite de Netanyahou dans ces pays.
Dina Azriel, traductrice et éditrice, fait partie de ceux et celles qui ont participé aux manifestations : « En tant qu’écrivains et poètes, peut-être sommes nous plus impliqués encore lorsqu’il s’agit de censure, de violation de la liberté d’opinion, le tout accompagné d’une propagande qui pointe toute critique en la qualifiant de trahison. En tant que gens de lettres, nous sommes attachés à la vérité de la langue, et celle-ci est attaquée quand les mots ne reflètent pas la réalité, qu’ils sont vidés de leurs contenus. »
Elle-même à l’origine de la création d’un groupe WhatsApp, elle est entrée en contact avec Ornit Cohen-Barak et l’écrivain Ilan Sheinfeld, lui aussi très engagé, pour fédérer les moyens et les actions.
Une Bibliothèque nationale à défendre
La communauté littéraire d’Israël s’est aussi retrouvée autour d’une cause bien particulière. Yoav Kisch, ministre de l’Éducation, a ainsi porté un amendement à une loi budgétaire faisant de la Bibliothèque nationale du pays, entité légale indépendante, une institution placée sous l’autorité de son ministère. En cas d’adoption, la direction de l’établissement patrimonial serait désignée par Kisch et ses successeurs.
La BN a rapidement dénoncé cet accroc à son indépendance. Sallai Meridor, à la tête du directoire, s’inquiétait d’une « demande de modification d’une loi unique, propre à la Bibliothèque nationale, [qui] constitue une menace sérieuse quant à la conservation des trésors du peuple juif par la Bibliothèque ».
Le 25 février 2023, une centaine d’auteurs israéliens, dont David Grossman, Eli Amir, Haim Be’er et Fania Oz-Salzberger, signent une tribune appelant le ministère de l’Éducation à retirer son amendement. Dans le cas contraire, ils menacent de mener une grève du dépôt légal, s’opposant à la remise de leurs livres à l’établissement par leurs éditeurs.
Après une intervention du ministère des Finances début mars, qui avait écarté l’amendement de la loi budgétaire, un accord a finalement été trouvé entre la Bibliothèque nationale et Yoav Kisch. Selon ce texte, le ministère de l’Éducation nommera un membre au sein du conseil d’administration, et un autre au comité d’audit de l’établissement.
Coups d’éclat et coup d’État
Malgré la répression et l’attitude dissuasive du gouvernement, les hommes et femmes de lettres — dont les possibilités de mobilisation et de grève sont souvent réduites — sont parvenus à quelques coups d’éclat.
Le 16 mars, la manifestation devant la bibliothèque Beit Ariela, à Tel-Aviv, a ainsi réuni plusieurs centaines d’artistes autour d’une même cause, la lutte contre la réforme judiciaire. Parmi eux, l’auteur Ilan Sheinfeld, qui a contribué à la rédaction de la tribune cosignée, notamment, par David Grossman.
Le 28 mars, il a supervisé l’organisation d’une lecture collective du Livre des Lamentations, écrit pour déplorer la destruction de Jérusalem, en 586 av. J.-C.. Les auteurs participants se sont retrouvés au Jardin des Roses de la capitale, situé non loin du Parlement, la Knesset. « En le lisant, nous avertissons qu’il est temps de mettre fin au coup d’État et de reprendre le cours de l’histoire qui nous unit tous, les Israéliens », a expliqué Ilan Sheinfeld.
Antoine Oury