Plus de 160 lycéens d’Occitanie sont partis en voyage de classe à Auschwitz (Pologne) ce 29 mars, aux côtés de Carole Delga. Ils ont visité le site mémoriel où plus d’un million de Juifs ont été assassinés, alors que la banalisation de l’antisémitisme imprègne dangereusement les jeunes générations.
C’est un voyage éprouvant que réalisent chaque année plus de deux millions de visiteurs (chiffre avant Covid). Le Musée d’Auschwitz accueille en moyenne 65.000 Français par an, une bonne partie des lycéens ou des collégiens qui tentent de toucher du doigt, à 2.000 kilomètres de chez eux, l’horreur absolue que fut la Shoah.
Et au-delà du choc émotionnel, la leçon d’Histoire et la réflexion à porter en 2023 sur le devoir de mémoire et la lutte, permanente, contre l’antisémitisme. C’est pour cela que Carole Delga, a pour la première fois accompagné les élèves, en conclusion de l’opération lancée par la Région ce mois-ci autour de l’éducation contre le racisme et l’antisémitisme.
« Auschwitz est unique. Cela n’est pas un résumé de la Shoah, ni une synthèse de ce que furent les camps de la mort« , résume Olivier Lalieu, responsable des projets externes du Mémorial de la Shoah dans l’un des quatre bus qui conduisent les élèves à Oswiecim, le nom polonais d’Auschwitz. Auschwitz est en effet le plus grand concentrationnaire nazi, le plus criminogène et aussi celui où le plus de Juifs de France ont péri. 1,3 million de personnes y ont été déportées dont 230.000 enfants, 1,1 million y sont mortes. 90% des victimes étaient juives.
Six heures sur place, c’est deux fois plus que la plupart des Juifs assassinés
Leur avion est parti mercredi à l’aube de Toulouse-Blagnac, retour prévu dans la soirée. En tout, 163 adolescents issus des lycées Alain Fournier de Mirande, D’Artagnan de Nogaro (le seul lycée pro), ORT Maurice Grynfogel de Colomiers, Barral de Castres, Paul Valéry de Sète et Georges Pompidou de Castelnau-le-Lez. Un voyage express en 15 heures chrono au bout de l’Europe vers Cracovie au sud de la Pologne, puis à une heure en autocar, le complexe d’Auschwitz-Birkenau.
Il fait six degrés à l’arrivée, il faudra en tout marcher 10 kilomètres au sein du complexe, entre le Musée et ses blocks (Auschwitz I), et les chambres à gaz situées sur le site Auschwitz II, qu’on appelle Birkenau. Le site Auschwitz III, ancienne usine pétrochimique se situe plus loin. Les nazis avaient tout prévu en grand, l’ensemble du complexe d’Auschwitz mesure près de 50 kilomètres carrés.
Un voyage de classe très loin des sorties à Paris, Londres ou dans les Pyrénées. L’ambiance est moins légère, les troupes plus disciplinées, admirablement attentives aux propos encyclopédiques de Dorotea, la guide polonaise parfaitement francophone. « Vous avez l’impression de faire une visite express en restant six heures à Auschwitz ? La plupart des Juifs qui arrivaient ici n’y passaient que deux ou trois heures avant de mourir dans les chambres à gaz« , lance-t-elle d’entrée.
C’est elle, Dorotea, qui glissera pendant la journée ces anecdotes qu’on ne lit pas dans les manuels, comme ces quinze orchestres dont un, uniquement composé de femmes, et mené par la nièce de Gustav Mahler, Alma Rosé. L’histoire aussi plus connue des Toulousains du nageur Alfred Nakache qui a perdu à Auschwitz sa femme et sa fille de deux ans, Annie. La guide n’épargne pas les détails sordides.
« L’agonie dans les chambres à gaz durait entre 20 et 45 minutes selon la taille. Les déportés vomissaient et saignaient par tous les orifices de leurs corps« . Comme elle raconte aussi les belles histoires, le récit héroïque de ces quatre femmes juives qui en volant de la poudre dans leur atelier ont permis à des déportés de faire des explosifs et de détruire une chambre à gaz lors d’une révolte. Tous et toutes ont été exécutés. Ça ne finit jamais bien à Auschwitz.
Les 34 enfants Juifs déportés du Tarn à Auschwitz
Comprendre la grande Histoire par les petites histoires, par le prisme du local. C’est la noble tâche à laquelle se sont astreints les élèves par leurs divers projets. Ceux du lycée Barral de Castres travaillent depuis plus d’un an sur l’histoire de ces 34 enfants de 3 à 17 ans raflés à Lacaune (Tarn) et assassinés à Auschwitz. Leurs noms sont inscrits dans la synagogue de Castres. « Les élèves n’en avaient jamais entendu parler« , détaille Valérie Pietravalle leur référente « classe Défense », « tout comme ils ignoraient même l’existence d’une synagogue à Castres« .
Chaque élève s’est « attribué » un enfant dont il a tenté de lever le mystère pendant un an au gré de diverses démarches comme la visite aux archives du Mémorial de la Shoah à Paris. Et leurs 34 noms et âges ont été égrenés dans la forêt de Birkenau, devant une ruine de chambre à gaz. Sans qu’on sache réellement où précisément ont été assassinés ces enfants dans le camp polonais.
Leur trace a été perdue une fois qu’ils ont été raflés. « L’administration française considérait que les enfants juifs n’avaient pas besoin d’être fichés, preuve peut-être du destin funèbre qu’elle leur réservait« , étaye l’enseignante tarnaise. Ils appartenaient à des familles belges, allemandes, hollandaises qui s’étaient réfugiées dans la France libre pensant y trouver un asile. Mais dans cette zone Sud, l’Etat leur a assigné des villes de résidence. En septembre 1942, ces 34 petits font partie des 223 Juifs livrés par le préfet du Tarn.
C’est le pendant sudiste de la rafle du Vel d’Hiv qui a eu lieu moins de deux mois avant à Paris. « Je retrace le parcours d’Ilda Salomon, 12 ans« , explique, émue, Perrine. « Cela me permet de comprendre ce qu’elle a vécu, on les fait exister, on leur redonne leur humanité« , rajoute sa copine Lilou, qui elle a choisi Edith Schulman, 16 ans, elle aussi raflée à Lacaune et exterminée à Auschwitz. « Il ne faut surtout pas les oublier ».
Emmener 160 élèves à Auschwitz coûte 80.000 euros
Un tel voyage a un coût. L’opération, renouvelée chaque année, coûte 80.000 euros selon Olivier Lalieu du Mémorial de la Shoah. L’équivalent de 60.000 euros est pris en charge par la Région, le reste par le Mémorial. Les familles contribuent symboliquement à hauteur de 50 euros. « C’est un choix politique, appuie Olivier Lalieu, la moitié des Régions métropolitaines font ce choix-là« .
Fin janvier, Elisabeth Borne a annoncé un grand plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Parmi les recommandations, celle d’un voyage sur un lieu lié à la Shoah pour chaque collégien ou lycéen. « J’approuve, mais j’espère qu’il y aura les financements qui vont avec, répond présidente socialiste de l’Occitanie, Carole Delga. Parce que jusque-là ce sont beaucoup les régions qui paient. Mais c’est indispensable, ces nouvelles générations n’ont pas de témoignage autour d’eux, car les rescapés des camps de la mort sont décédés. Il leur faut venir pour constater que c’était bien vrai ». La Région est par ailleurs propriétaire dans les Pyrénées-Orientales du Mémorial du camp de Rivesaltes où 7.000 juifs ont transité. « C’est un peu le Drancy du Sud comme disait Serge Klarsfeld, sauf qu’en zone Sud,, il n’y avait aucun soldat allemand, rappelle sa directrice Céline Sala-Pons dont c’est le quatrième voyage à Auschwitz. Nous n’oublions pas que 2.289 femmes, enfants et hommes Juifs de Rivesaltes sont partis à Auschwitz et qu’aucun n’est revenu« .
Il n’y a pas de compte officiel, mais on estime qu’il reste une petite centaine de survivants juifs de France d’Auschwitz. Mais à peine une dizaine témoigne encore.