Nouilles dans le slip d’un collaborateur, humiliations des chroniqueurs, mais tapis rouge pour les invités complotistes et extrémistes… Télé-poubelle ? Télé-ordures ? Télé-crachats ? Les mots sont faibles pour qualifier « Touche pas à mon poste ». Déjà condamnée à de multiples amendes, l’émission de C8 ne recule devant aucune limite pour gagner la bataille de l’audimat. À la fin, c’est toujours l’abject qui l’emporte.
Quand un bouffon n’est plus drôle, il se radicalise dans l’espoir de faire rire à nouveau. La trajectoire de Cyril Hanouna et de son émission Touche pas à mon poste (TPMP) illustre cette loi. Ivre de lui-même, autoproclamé porte-parole du peuple (« mes fanzouses, mes chéris, mes chatons »), le bateleur s’est lancé dans une course insensée pour maintenir son audimat : en moyenne 1 million de téléspectateurs quotidiens. L’émission, dont il est aussi producteur, est un modèle de management sadique. Hanouna invective, ridiculise et nargue tous ceux qui osent s’aventurer sur son plateau, à commencer par ses chroniqueurs. Quand il ne verse pas un bol de nouilles dans le slip de Matthieu Delormeau, dont l’homosexualité est régulièrement moquée, il exige de Benjamin Castaldi de dévoiler le moindre détail de ses dettes, allant jusqu’à lui faire miroiter un éventuel prêt, pour finalement le lui refuser.
TPMP, c’est aussi l’univers du vide, le rendez-vous des influenceurs venus vendre l’eau de leur bain (véridique). Constante dans la nullité, l’émission ne se contente pas de donner une image dégradante du divertissement télévisuel français. De superficielle à ses débuts, en 2010, elle a muté vers une véritable radicalité politique à force de servir de caisse de résonance cathodique au pire des réseaux sociaux. Alors que les directions de chaînes de télévision doivent » maîtriser leur antenne « , selon les critères de l’Arcom, TPMP fait exactement le contraire : chercher le plus spectaculaire de ce qu’Internet fournit et y donner de l’écho. Toutes les picrocholines guerres d’influence passent par son bac à sable.
TPMP répand un populisme sournois, qui pourrait participer à l’avènement d’un régime nationaliste autoritaire.
Cet access prime-time (18-21 heures) répand un populisme sournois, qui pourrait participer un jour à l’avènement d’un régime nationaliste autoritaire. Comme dans un troquet, de minables polémiques deviennent nationales grâce au comptoir d’Hanouna. Les complotistes se muent en experts et le mensonge en opinion légitime, voire subversive.
Le 9 mars, l’attraction du jour s’appelle Gérard Fauré, un ancien dealer condamné pour trafic de drogue et braquage de banque, un homme qui accuse le pape » de prendre de la coke à la louche « , reconverti dans la dénonciation complotiste depuis sa sortie de prison en 2018. Dans une vidéo, alors que l’affaire Palmade régale TPMP , il sous-entend que l’animateur donneur de leçons est lui-même consommateur de drogue. Hanouna a-t-il invité Fauré pour mieux le pousser à retirer ses propos ? Une fois à l’antenne, il le passe au gril : » Pourquoi tu as dit ça et qui te l’a dit » Le trafiquant bredouille : « C’est un policier qui me l’a dit.Mais aujourd’hui ce policier est mort . » Hanouna tient son démenti et laisse en échange le conspirationniste dérouler sa propagande Tout y passe.
A l’en croire, l’affaire Palmade dissimule une montagne de complots impliquant des élites pédocriminelles, dont les membres enlèveraient des enfants pour boire leur sang et se régénérer ! Ce vieux délire paranoïaque et antisémite a été remis au goût du jour par l’extrême droite américaine proche de QAnon. Celle qui a cru qu’une pizzeria de Washington était le QG d’un trafic d’enfants orchestré par ces mêmes élites pédocriminelles, Hillary Clinton en tête. Un » Pizzagate » qui a convaincu des électeurs de voter pour Trump, poussé un homme armé à attaquer la pizzeria, avant que des militants de cette mouvance ne participent à l’attaque du Capitole du 6 janvier.
En France, en 2021, un réseau complotiste imprégné de ces théories a enlevé la petite Mia. Ses adeptes étaient convaincus de la sauver d’un trafic pédophile souhaitant boire son sang pour consommer de » l’adrénochrome « . Le mot prononcé sur le plateau de TPMP par Gérard Fauré ! Il désigne une molécule aux propriétés fantasmées dans Las Vegas Parano , un roman paru en 1972. Produite par l’oxydation de l’adrénaline, elle est dénuée de vertu psychotrope ou régénératrice, et se trouve en vente libre dans certains pays. Ce qui n’empêche pas Gérard Fauré d’imaginer que des personnalités enlèvent des enfants pour en consommer, sans être contredit, sur un plateau à une heure de grande écoute ! Effarant.
Loin de le calmer, Hanouna l’encourage : » C’est très important ce que dit Gérard. Il y a énormément de gens sur les réseaux sociaux qui disent que ce qu’il dit est réel. » Fauré poursuit : » L’adrénochrome, c’est du sang que l’on prélève sur les enfants. Céline Dion, elle en prend [sic]. » Myriam Palomba, chroniqueuse de l’émission, ancienne rédactrice en chef de Public devenue militante antivax, embraye : » Je ne vais pas confirmer exactement ce que dit Gérard, mais j’ai fait un article dans le magazine Choc là- dessus, et ce n’est pas totalement dément » On sombre. La suite est du même acabit. L’ancien trafiquant, en roue libre, va jusqu’à prétendre qu' » il y a une histoire d’adrénochrome dans l’affaire Palmade »
Accuser puis se défausser
Ce n’est que lorsqu’il prononce le nom de Macron qu’Hanouna rend l’antenne, dans un sourire. Le mal est fait. La dangereuse théorie complotiste a atteint le Graal : une tribune à la télé. 2,2 millions de personnes ont regardé la séquence, sans compter les replays et les partages sur les réseaux. La chaîne C8, qui sent venir l’amende, tente de se dédouaner sur Twitter tout en se félicitant des audiences de l’émission : » Suite à la séquence avec Gérard Fauré lors de l’émission de ce soir, nous rappelons que ses déclarations n’engagent que lui. Nous condamnons les propos tenus par notre invité à l’antenne. » Une prise de distance forcément moins vue que l’émission. Pas courageux, Hanouna se défausse le lendemain sur sa chroniqueuse Myriam Palomba, qui déclare » ne pas savoir si le trafic d’adrénochrome est quelque chose de réel « , avant de donner la parole à un professeur pour démonter la théorie conspirationniste. C’est la recette de ce cirque : prêcher le faux pour augmenter l’audience, puis démentir pour se couvrir. La désinformation, elle, reste et surnage. à force d’être répétée dans cette émission, l’idée d’une élite prédatrice commence à infuser.
En février, Hanouna recevait un autre paranoïaque bien connu : l’ancien journaliste Karl Zéro, reconverti dans la dénonciation de » complots pédophiles « . L’affaire Palmade est déjà au cœur de l’actualité. Dans le cadre de l’enquête ouverte pour détention d’images pédopornographiques, l’état de santé de l’humoriste a été jugé incompatible avec une nouvelle garde à vue. Explication trop rationnelle pour Zéro, qui affirme : » Tout est bizarre dans cette histoire. » Chien truffier, Hanouna sent qu’il tient sa séquence du jour et relance : » Tu penses que, pour l’instant, on ne veut pas qu’il y ait de garde à vue parce que, pour pas, voilà quoi. » Dire sans dire, c’est un métier. Karl Zéro s’y engouffre allègrement » On parle d’un ministre présent au moment des faits. Il y a des réseaux organisés, cette affaire remonte quelque part où l’on ne veut pas que ça aille. Peut-être que Palmade en sait trop »
Des ministres ? On y est. En une séquence, nous voilà passés du vieil amalgame entre homosexualité et pédophilie à la rumeur d’Orléans, imaginant en 1969 des enlèvements d’enfants pour satisfaire des notables. Depuis cette insinuation, aucune vidéo pédopornographique n’a été retrouvée chez Palmade et il a fait un AVC, ce qui confirme la fragilité de sa santé. Mais ces faits-là n’intéressent pas TPMP , déjà occupé à lancer d’autres soupçons, comme envisager que des stars ou Macron effraient des enfants pour consommer leur adrénochrome !
Sadisme et coups bas
Depuis cette séquence, les critiques pleuvent sur l’émission, et son roi, Hanouna, ne les supporte pas. La flèche décochée par Sophia Aram dans sa chronique de France Inter à propos de la façon dont Hanouna a modéré Gérard Fauré dit tout : » Quand on attend d’un décérébré qu’il régule un autre décérébré, c’est un peu comme nettoyer du vomi avec du vomi « . Réponse de l’intéressé ? Du vomi. » D’habitude je ne fais pas, mais là je suis obligé « , lance l’animateur, sadique, avant d’envoyer son coup bas : rappeler avec délectation les condamnations pour escroquerie de la mère de Sophia Aram, dont on ne peut évidemment pas tenir l’humoriste responsable. Une attaque répétée, qu’adorent employer à son encontre l’extrême droite et tous les passionnés de procès en génétique.
Hanouna s’en prend également régulièrement au budget alloué aux chaînes du service public, faisant croire à un scoop alors qu’il est voté chaque année lors de la loi de Finances. Il va jusqu’à menacer la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak lorsqu’elle ose rappeler C8 à ses obligations dans un entretien au Monde . La » maîtrise de l’antenne » en fait partie. Mais c’est l’Arcom, gendarme du PAF et autorité indépendante, qui est chargée de ramener l’émission à la raison. Elle l’a fait en condamnant TPMP à une amende de 3,5 millions d’euros pour la séquence où Hanouna coupe et insulte le député Louis Boyard (qu’il a contribué à faire émerger) pour avoir critiqué Vincent Bolloré : » Tu viens ici faire le malin. Ferme ta gueule. Abruti. Si t’es député, c’est grâce à moi. Tocard. » Fidèle à la doctrine d’une émission qui sert à régler ses comptes, Hanouna publie les chiffres des cachets touchés par Boyard lorsqu’il était chroniqueur à TPMP.
Quatre jours plus tard, le drame de Lola est au cœur de l’actualité. Dabhia. B. est soupçonnée du meurtre de la collégienne, et les enquêteurs tentent de savoir si elle était ou non consciente de ses actes. Le procureur Hanouna, lui, a déjà tranché : » Si on a toutes les preuves, c’est perpétuité directe. Je suis désolé. Il n’y a pas d’altération ni de non-discernement. C’est le genre de cas où, fou ou pas fou, elle doit être en prison. Elle ne doit pas être soignée. Pas consciente de ses actes ? C’est une loi qui doit être révisée. » La justice sans procès, l’Iran le fait, Hanouna voudrait visiblement l’importer. Irresponsable. Mais rentable. Le lendemain de cette tirade honteuse, une fête a lieu sur le plateau pour fêter le record d’audience.
La veille, TPMP a réuni un peu plus de 2 millions de téléspectateurs pour une part de marché de 9,2%. De quoi célébrer le fait de décérébrer! De quoi surtout rester dans la course aux audiences de la tranche horaire, carrefour stratégique pour attirer les annonceurs.
La concurrence est rude, mais la dynamique est bel et bien dans le camp de TPMP. Sur le même créneau, selon une moyenne d’audience établie par Le Parisien, Quotidien sur TMC reste leader avec 1,17 million de téléspectateurs en moyenne, devant C à Vous sur France 5 et ses 1,07 million de fidèles. Touche pas à mon poste arrive juste derrière, avec 1,03 million de » fanzouses « . Des trois, c’est le programme qui progresse le plus : 13 % en un an. L’enjeu arrive en fin d’émission, lorsque C à vous se termine et que TPMP reste seule face à Quotidien .
Les sujets les plus polémiques sont programmés à ce moment-là. L’envolée des audiences doit beaucoup au mouvement des Gilets jaunes. Hanouna sent monter la vague et surfe sur la colère, conviant les plus fous, ceux qui se disent » maltraités par les médias « . Les scores culminent. En particulier quand un gilet jaune et un policier masqué s’invectivent. La méthode démagogique est bien rodée lorsque le Covid arrive.
L’émission accueille alors tout ce que les réseaux sociaux comptent de covidosceptiques et d’antivax. TPMP devient le troquet préféré de personnages comme Fabrice Di Vizio, avocat de Didier Raoult, leader antivax et anti-pass sanitaire, suspendu six mois avec sursis par l’ordre des avocats pour des propos jugés outranciers et tendancieux (tenus notamment chez Hanouna). C’est également sur ce plateau qu’Oliv Oliv, figure de la mouvance covidosceptique française, s’est fait remarquer. De même pour Richard Boutry, ancien journaliste reconverti dans le complotisme, qui a repris à son compte la théorie du » great reset « , un délire selon lequel la crise du Covid serait la répétition générale avant la fin du monde, et l’avènement d’un autre monde. à plusieurs reprises, sur le plateau de TPMP , cet invité a expliqué que la France était une » dictature « , gouvernée par des » assassins « .
Blanchir les conspis et leur donner une crédibilité ne suffit pas. Encore faut-il que cela serve l’extrême droite ? Toutes les franges de la droite haineuse, du Rassemblement national à Eric Zemmour, défilent sur ce plateau en majesté : Mathieu Goyer, président de Civitas Paris, Vincent Vauclin, président de La Dissidence française. Et lorsque le gouvernement dégaine le 49.3 pour passer en force sur la réforme des retraites, c’est à Jordan Bardella, l’un des invités favoris de TPMP que Cyril Hanouna demande, tel un enfant à un professeur de droit, de lui expliquer les institutions ! Mis en valeur, il en profite pour annoncer que le RN, en cas de dissolution, ne présentera pas de candidat face aux députés LR ayant voté la motion de censure. Une tribune inouïe, là aussi répétitive.
Chercheuse au CNRS, Claire Sécail a étudié l’émission à l’orée de la séquence électorale de 2022, scrutant les temps de parole accordés aux différentes familles politiques et la sémantique employée à leur endroit. Le résultat est sans appel: 52% de l’espace a été occupé par des invités d’extrême droite. Elle relève qu’Eric Zemmour a « toujours été présenté comme celui que l’on veut faire taire et qui dérange le système ». C’est encore plus visible dans « Face à Baba », l’émission présidentielle animée par Hanouna. Avec Marine Le Pen, c’est un festival de complicité caustique : » Vous en êtes où avec votre papa ? » » On applaudit Marine Le Pen sur TikTok ; » » Vous avez un mental d’acier, Marine Le Pen. » Dès qu’un chroniqueur défend une politique en cours, il se fait traiter par l’animateur de » suceur de gouvernement « .
En revanche, quiconque affirme que la France est une dictature (ou voit dans les gouvernants actuels des prédateurs pédophiles) est applaudi. Hanouna prétend incarner le « Français moyen », mais son sentiment de toute-puissance va au-delà. Ses convictions, confuses, ressortent chaque fois qu’il touche un sujet sensible. Un mélange de populisme de droite et de communautarisme de gauche, que seules une très grande démagogie et une mégalomanie sans borne parviennent à faire cohabiter. D’une main, il semble prêt à rétablir la peine de mort pour la meurtrière de Lola. De l’autre, il légitime qu’on s’en prenne à Charlie Hebdo (dont « les dessins, mine de rien, jettent de l’huile sur le feu ») ou à la jeune Mila (qui vit sous les menaces pour avoir critiqué l’islam) : » C’est une ado de 16 ans qui devrait se faire oublier pendant plusieurs mois. Elle a dit des mots inadmissibles, je ne supporte pas ce genre d’insultes. J’aime pas trop qu’on rigole ou qu’on insulte des religions. Je sais que c’est le droit au blasphème, mais elle ferait mieux de se calmer et rester dans son coin. » Le point commun entre ses prises de position ? Hurler avec la meute.
Mais que fait l’ARCOM
En se donnant l’air de divertir, TPMP est devenue un amplificateur du pire. à quoi ressemblera notre démocratie si cette émission continue de grignoter cerveaux et parts de marché?
Les amendes infligées par l’Arcom semblent des obstacles faciles à sauter au regard des profits engrangés. Selon nos informations, l’émission coûte 38 millions d’euros par an à produire mais en rapporte environ 48 de publicité. Ce qui laisse une marge confortable de 10 millions d’euros pour faire face aux pénalités. Autre sanction possible : l’Arcom peut décider de réexaminer la charte que C8 a signée avec son ancêtre, le CSA. Il y est indiqué que la chaîne ne doit pas » inciter à des comportements dangereux » et qu’elle doit » faire preuve de retenue dans la diffusion d’images ou de témoignages susceptibles d’humilier les personnes « . Cette » non-maîtrise de l’antenne « , systématique, pourrait nuire à la chaîne dont la fréquence arrive à échéance en 2025 et que l’Arcom peut attribuer à un meilleur dossier. à l’approche de cet ultimatum, Cyril Hanouna sera-t-il toujours à l’antenne ?
Par David Medioni et Stéphane Encel