« Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Samuel (son prénom a été modifié), 32 ans, raconte son coming out survenu dix ans plus tôt.
La première fois que j’ai compris que j’étais attiré par les hommes, j’avais 13 ans, et je me suis dit : « Merde, je suis le seul juif gay du monde entier. » J’ai grandi dans une famille juive et je n’ai jamais rencontré d’homosexuel pendant mon enfance. Je ne crois pas que le sujet ait été tabou, parce que ma mère m’avait emmené à une gay pride vers 8 ans, mais je n’avais aucun modèle. Pour moi, être gay, c’était ce qu’on voyait à la télévision : un personnage exubérant, très efféminé, le cliché de La Cage aux folles, en somme.
Dans ma famille, nous ne sommes pas très « religieux » mais on célèbre les fêtes principales, on fait shabbat le vendredi, à la maison on mange casher, par exemple. Mais mes frères, ma sœur et moi, on a eu une éducation assez ouverte et libre. Petit, je jouais aux Barbie et j’adorais faire des « spectacles », ce qui me valait quelques remarques. Je me souviens de cet oncle qui m’avait dit : « Fais attention, si tu continues avec tes spectacles, ton zizi va brûler et se transformer en minou. » Je devais avoir 6 ans, sa phrase m’a marqué.
Vers 12 ou 13 ans, je découvre le porno et je m’aperçois que les vidéos qui m’attirent mettent en scène des hommes. Suis-je moi-même gay ? Je ne veux surtout pas que ce soit vrai. J’essaye de me persuader que ce n’est qu’une passade. Je refoule complètement l’idée, parce que même si je viens d’une famille où je pense qu’avoir un fils gay ne serait pas une catastrophe, je fais partie d’un monde où ce sujet n’existe pas.
« Si je ne suis pas comme eux, que vais-je devenir ? »
Je suis ado, fils d’une famille juive et j’aspire à être dans le moule, comme tout le monde autour de moi. La plupart de mes amis sont juifs, ceux de mes parents aussi. Je fais partie d’une communauté qui s’est construite sur un modèle familial fort dans lequel je suis censé avoir une femme et des enfants. Si je ne suis pas comme eux, que vais-je devenir ? D’autant que pour moi faire son coming out implique de mener une sorte de conférence de presse en annonçant à tous ses proches, du haut d’un pupitre : « Voilà, je vous ai tous réunis pour vous dire que… je suis gay. » Terrifiant.
Du côté de mes amis, j’ai peur de la façon dont ce serait reçu, à cause de quelques remarques. Une copine balance un jour : « Ah mais moi si j’ai un fils homosexuel, je le renie ! » Un copain dit qu’il serait dégoûté d’avoir un ami gay et qu’il le frapperait. Je sais qu’il y a un côté provocateur, et je me dis qu’ils ne le pensent pas, que ça leur est juste étranger. Mais forcément, en plein questionnement de mon propre coming out, ça me fait peur.
Je m’interroge, jusqu’au jour où je craque à la récréation, je me mets à pleurer. Une copine vient me voir et m’interroge : je lui avoue que je pense être gay. Je suis en troisième, c’est la première fois que je le dis à voix haute. Elle n’est pas juive, peut-être que je l’ai choisie pour ça ? Toujours est-il que le soir même, elle me met en contact avec sa sœur qui connaît un gay et me dit qu’il n’y a rien de grave. C’est un premier moment libérateur.
Mais ce qui a changé ma vie, c’est de tomber sur le site Internet de l’association LGBT juive Beit Haverim. J’ai 15 ans. Ce jour-là, je comprends que je ne suis pas le seul juif gay, et qu’il doit même y en avoir pas mal pour en faire une asso ! Je ne les contacte pas, mais je sais dans un coin de ma tête qu’ils existent.
« Première histoire avec un garçon »
En terminale, je vis ma première histoire avec un garçon, juif aussi, rencontré sur Internet. Là, j’entame une double vie : d’un côté il y a lui et le groupe d’amis juifs gays qu’il me fait rencontrer. Avec eux, je suis heureux, je suis moi-même et j’ai enfin des personnes à qui m’identifier. Je suis rassuré : si mes amis me rejettent un jour en l’apprenant, je ne serai pas seul. De l’autre, il y a ces amis d’enfance qui ne savent pas encore, et qui me disent souvent : « Mais t’étais passé où ? » Avec eux je me crée un personnage hétéro en les mimant. Je fais croire que j’ai une copine que je ne veux pas présenter, je mens en disant que « ça y est, j’ai couché avec une fille », soulagé qu’on ne m’attende plus au tournant.
Le mensonge, ce n’est vraiment pas mon truc, je vis très mal cette période. Et je commence à me rendre à l’évidence que je suis gay. Alors je décide de l’annoncer. Je dis : « J’ai un copain », ça me semble plus facile. Ma mère le prend bien et me glisse : « Je m’y attendais un petit peu. » Mon père est lui aussi très accueillant. Ils me disent tous les deux que ce n’est pas la meilleure nouvelle qui soit, mais qu’ils m’aiment comme je suis, et que mon bonheur est plus important.
Quelque temps après se pose la question : le dit-on aux autres ? Et à qui ? J’avais demandé que ça reste entre nous, mais ma mère en parle à ma grand-mère. Elle qui disait « ça ne touchera jamais notre famille, ça » a d’abord beaucoup pleuré, puis accepté l’idée. Elle a quand même régulièrement essayé de me faire changer d’avis. Aux mariages, elle me disait souvent : « Mais regarde cette fille, elle est mignonne, tu veux pas essayer ? »
« Prêt à perdre ceux qui me rejetteraient »
Elle a abandonné ses tentatives quand j’ai rencontré quelqu’un avec qui j’ai eu une histoire sérieuse, autour de 22 ans. Cet amoureux est très assumé et du même milieu que moi, notre union me donne de la force. J’en ai marre de ma double vie, et je commence à être plus sûr de moi. Je suis même prêt à perdre ceux qui me rejetteraient. Alors j’en parle à mes amis les plus proches d’abord, avec des annonces très stressantes car j’ai l’impression de devoir me justifier. Les retours sont positifs, alors j’élargis le cercle et ça devient plus facile. Finalement, je ne perds personne.
Le plus complexe dans mon parcours, ce n’est pas le coming out en lui-même. C’est l’appréhension, en partie parce que mon univers ne m’offrait aucun modèle. Je voyais le fait d’être gay comme une tare. Comme si je partais avec une « dette de normalité ». Du coup, je me suis mis en tête qu’il fallait que je prouve à ma communauté que je pouvais rentrer dans le moule malgré ça. C’est ce qui m’a donné la force de faire des études de médecine, et je suis devenu médecin avec l’idée de démontrer que j’étais « quand même » quelqu’un de bien. Comme pour montrer que des juifs gays sérieux, ça existe.
Aujourd’hui je suis en couple et je me sens serein, au point d’en oublier que je suis gay. Le mariage pour tous et un suivi psy y ont participé. Le chemin du coming out a été long, mais il est loin. Je cherche maintenant à me créer mon propre modèle familial, en m’inspirant de ceux de ma communauté, mais aussi en trouvant ma normalité à moi.