Les départs successifs des juifs d’origine russe et ukrainienne de leurs pays d’origine montrent à quel point la guerre en Ukraine a transformé le paysage culturel et religieux de ces deux pays. Une transformation d’autant plus radicale que la présence juive sur ces terres remonte à l’Antiquité.
En 2020, l’Institute for Jewish Policy Research recensait environ 40 000 juifs en Ukraine et 150 000 en Russie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs milliers ont quitté ces pays, notamment pour Israël. Pour l’ancien grand rabbin de Moscou, « l’antisémitisme de gouvernement augmente en Russie »
La présence de la population juive dans ces territoires remonte à plusieurs siècles. Claire Le Foll, historienne spécialisée dans l’histoire et la culture des juifs d’Europe de l’Est à l’université de Southampton, en Angleterre, confirme qu’il existe depuis l’Antiquité des « traces de communautés juives présentes le long de la mer Noire et du royaume khazar », (dans le sud de la Russie, jusqu’à la mer Caspienne).
Un passé commun douloureux
Poussés hors de France et d’Espagne à cause des politiques antisémites au XIIIe siècle, des juifs avaient trouvé en Ukraine une terre d’accueil favorable à la pratique religieuse : « Ils ont été très bien accueillis en Ukraine et disposaient d’un degré d’autonomie très important jusqu’au XIXe siècle », confirme la chercheuse, membre du Centre d’études des mondes russe, caucasien, & centre-européen. Rapidement, ils s’intègrent dans le milieu socio-économique du pays et travaillent comme gérants de grands domaines dans les « shtetl » – communautés villageoises juives d’Europe de l’Est.
L’Ukraine va devenir le berceau du hassidisme, un courant mystique du judaïsme (dont les loubavitch sont une branche) fondé par le rabbin Israël Ben Eliezer, connu sous le nom de Baal Shem Tov ou Besht, né en Podolie au XVIIIe siècle (à l’époque, cette région était en Pologne). Des milliers de juifs hassidiques viennent chaque année en pèlerinage se recueillir à Ouman (au sud de Kiev), sur la tombe d’une autre figure de premier plan du hassidisme, le rabbin Nahman de Bratslav.
La population juive ukrainienne prospère dans la région jusqu’au XIXe siècle : « À partir de l’industrialisation de l’Ukraine, elle est victime de pogroms, notamment à Odessa. » Par la suite, les années 1920-1930 sont marquées par la mise en place de mesures qui jettent les prémices de l’Holocauste. La Shoah est particulièrement meurtrière pour les juifs ukrainiens : leur nombre passe de 2,5 millions en 1939 à environ 840 000 en 1959. De même, l’URSS a aussi adopté des traitements discriminatoires que Claire Le Foll qualifie « d’antisémitisme ordinaire ».
« Les histoires des juifs de ces deux pays s’écrivent différemment »
Pour la chercheuse, il « n’y a aucun sens à distinguer les juifs russes et les juifs ukrainiens ». Les deux groupes sont ashkénazes. Cette identité, qui les distingue du reste de la population grâce à une langue singulière – le yiddish – et un judaïsme différent de celui des Séfarades, a participé à la création d’une conscience nationale juive.
Cette unité ethnique n’exclut pas les différences de réalités entre les deux groupes. Alors que leurs confrères ukrainiens s’intègrent rapidement dans les milieux socio-économiques du pays, les juifs de Russie vivent dans des « zones de résidence ». Situées dans les grandes villes comme Saint-Pétersbourg, ces zones formaient jusqu’en 1917 des « ordons sanitaires » qui refoulaient la population juive aux marges occidentales de l’Empire russe.
Longtemps, les juifs russes n’ont eu aucun contact avec le reste de la population, et n’étaient pas considérés comme russes. Ainsi, « beaucoup d’historiens ont questionné la pertinence du nom de “juifs russes” avant le XXe siècle », ajoute l’historienne. Ce n’est qu’après la révolution de 1917 que ceux-ci parviennent à intégrer l’intelligentsia soviétique, malgré un antisémitisme persistant.
Leur départ, à cause de la guerre en Ukraine, risque de renforcer la distance entre les deux communautés : « Comment continuer d’écrire cette histoire, quand la population part ? », s’interroge la chercheuse.
Emmanuelle Ndoudi
Hélas… Hélas…! Les juifs d’Europe ont toujours eu à subir un antisémitisme rampant à l’inverse des juifs séfarade qui pouvaient vivre en harmonie avec le monde musulman et chrétien du moyen orient…