Le nouveau président du Crif, l’organe de représentation politique de la communauté juive en France, Yonathan Arfi, était dimanche et lundi à Strasbourg pour rencontrer la communauté juive et les élus de la région.
Il a dû renoncer au vélo depuis qu’il a pris ses fonctions à la tête du Conseil des institutions juives de France (Crif) en juin dernier, sécurité oblige. Mais Yonathan Arfi a toujours la tête du père de famille affairé – il a trois enfants en bas âge – prêt à remonter en selle.
Génération Ilan
Plus jeune président de l’histoire du Crif, à 42 ans, le voilà en Alsace pour une tournée marathon. Plutôt communautaire dimanche, avec une conférence à la grande synagogue de Strasbourg, son agenda s’est fait plus politique lundi : eurodéputés (Anne Sander et Fabienne Keller), député (Bruno Studer), président de Région, représentant de la CEA, maire de Strasbourg, préfète… Soit douze rendez-vous calés entre deux TGV.
« Ma femme a des origines alsaciennes, du côté de Diemeringen », sourit-il. Mais Yonathan Arfi est né à Toulouse, qui commémore un triste anniversaire : voilà onze ans, entre le 11 et le 19 mars 2012, Mohammed Merah tuait sept personnes, dont trois enfants et un enseignant à l’école juive Otzar Hatorah. Lui-même se décrit comme un enfant de « la génération Ilan Halimi », ce jeune Français juif de deux ans son cadet, mort brûlé après avoir été séquestré et torturé pendant 24 jours par des geôliers réclamant une rançon délirante. Un électrochoc dans la France de 2006, qui découvre la résurgence violente de l’antisémitisme.
« L’antisémitisme, baromètre de santé démocratique »
« Je ne serais pas le même aujourd’hui sans l’affaire Ilan Halimi. Mon engagement militant vient de là », avoue-t-il. «De quelques dizaines d’actes antisémites par an dans les années 90, nous sommes passés à plusieurs centaines depuis les années 2000 [époque de la seconde Intifada palestinienne au Proche-Orient N.D.L.R.]. Depuis, nous n’avons jamais pu faire rentrer le diable dans la boîte. » Et l’antisémitisme, rappelle-t-il, touche au-delà de la petite communauté juive : « C’est un baromètre de santé démocratique. Quand il y a de l’antisémitisme, il y a du complotisme, de l’homophobie, du racisme, du sexisme… »
Ses causes modernes ? « Une forme d’importation du conflit israélo-palestinien, un affaissement des digues politiques, une montée de la radicalité. » À l’extrême gauche par « porosité avec l’islamisme et la haine d’Israël », analyse-t-il, visant nommément La France Insoumise et les « indigénistes ». « De l’autre côté, le Rassemblement National instrumentalise le combat contre l’antisémitisme par calcul, en affirmant qu’il ne viendrait que de l’islam radical. »
Une société « désintermédiée » par les réseaux sociaux
C’est ce positionnement ni-ni qui vaut au Crif les critiques virulentes d’une frange de la communauté juive, parfois séduite par le phénomène Zemmour en France et la dérive raciste et droitière du gouvernement Netanyahou en Israël. Un pays dont le Crif s’est toujours fait l’avocat : « Israël est le seul État dont on remet en cause l’existence. C’est un laboratoire des démocraties. Il est confronté au terrorisme en permanence et à des ennemis extérieurs qui veulent le détruire. L’Iran est au seuil de l’arme nucléaire… » Diplomate, il dit porter un regard « attentif et inquiet » mais « solidaire » sur l’État hébreu.
Histoire millénaire
Dans une France désintermédiée par les réseaux sociaux, le Crif se veut un de ces « corps intermédiaires fondamentaux », à l’instar des syndicats secoués par la réforme des retraites. Yonathan Arfi se distingue peut-être de ses prédécesseurs par son « regard positif » sur le judaïsme français.
« Réduire la question juive à l’antisémitisme est politiquement dangereux. Les Juifs ont une histoire millénaire en France. Cet enracinement mériterait d’être mieux connu. Une date est symbolique : le 27 septembre 1791, jour du décret d’émancipation des juifs de France. Et même ici, en terre concordataire, les juifs français sont très attachés à la laïcité. Les Anglo-saxons pensent que nous sommes contre, pas du tout! La loi de 1905 nous a donné le cadre pour nous épanouir durablement. Le judaïsme français doit rester un projet d’avenir. »
Catherine Piettre