Peintre, sculpteur et illustrateur de talent, Michel Polizer continue toujours de créer et d’affirmer ses convictions. Créateur de génie, sa tendresse et son humanisme se dévoilent dans ses œuvres. Eden Levi-Campana l’a rencontré chez lui. Il lui a parlé de la Corse, de Piana, du hameau de Vistali, de la résistante Danielle Casanova, l’amie de ses parents Georges et Maï Politzer, et de leur arrestation le 15 février 1942.
Un véhicule file à toute vitesse sur la D17B entre Auray et Plumergat, dans le Morbihan. Trop vite ? Je sais que mon ami, le conducteur du véhicule customisé est un monsieur de 90 ans, mais je ne suis pas inquiet. Il a le geste précis, aussi vif que l’esprit, un brin nerveux et au bout du compte rassurant. Les mains sur le volant, Michel Politzer prend même le temps de me parler de la Corse, de la résistante Danielle Casanova, l’amie de ses parents Georges et Maï Politzer, et de leur arrestation le 15 février 1942 : « Danielle a réussi à transmettre un courrier à sa mère, Marie Hyacinthe Périni, en lui disant : Avec moi se trouvent deux amis que j’aime, Georges Politzer et sa femme. Ils ont un petit garçon de huit ans, Michel, qui vit avec ses grands-parents et ils sont sans ressources. Aussi, ma chère maman, je de demanderai de t’intéresser à lui comme s’il était mon fils », Michel ajoute, sans quitter la route des yeux : « et sa maman s’est occupée de moi comme son fils. Marie Hyacinthe, pour nous c’était mémère. Après la guerre, je passais – tous les ans – trois à cinq mois à Vistali, le petit hameau de la commune de Piana, berceau de la famille Périni. La plage de Ficaghjola c’était le Paradis. Il y avait beaucoup de filles dans la bande, j’étais le chef, enfin le seul garçon à la table des enfants. Les plus belles années de ma vie. Bucéphale ombrageux à longue crinière, c’était mon surnom de chevalier à Vistali. Il y avait des joutes homériques chez les enfants, sur nos ânes, mais également chez les adultes. A leur table il y dînait souvent Laurent Casanova, l’époux de Danielle, Maurice Choury, Arthur Giovoni et d’autres grands résistants. Des repas qui finissaient souvent en franches engueulades, la politique c’était du sérieux dans cette maison. »
L’homme pressé
Né le 24 août 1933 à Biarritz, Michel Politzer étudie à l’École Normale de dessin de Paris ; où il rencontre Annie qui deviendra son épouse. Graphiste, il travaille pour les éditions Denoël et Robert Laffont. En 1963, il est l’illustrateur de l’oeuvre de Louis Pergaud au Mercure de France, puis du recueil de poésie « Adieu la lune » d’Alain Bosquet chez Calmann-Lévy. En 1968, Michel illustre « les carnets de croquis de Robinson Crusoé » paru chez Cuenot-Seghers et réédité chez Gallimard. Annie est auteure. Son parcours est indissociable de celui de Michel. Elle écrit des contes et aventures pour la jeunesse que Michel illustre. Toujours active en 2023, Annie travaille actuellement sur une série de romans historiques dont le point de départ se situe en Egypte ou en Israël.
Michel, le géant roux, dont la longue barbe et la tignasse sont devenues blanches avec le temps, est lui aussi toujours actif. Il prépare une rétrospective de ses œuvres. Auteur, poète, peintre, sculpteur ses connaissances sont multiples. Erudit, il annonce à qui veut l’entendre qu’il manque de culture, un comble pour un puit de connaissances. Une des œuvres de Michel, que j’ai eu le loisir de filmer dans le cadre d’un projet cinématographique, s’intitule « l’homme pressé ». Il s’agit d’une sculpture, un homme qui court le buste en avant, sur une passerelle qui représente le fil de la vie, sinueux comme une route de Bretagne. Un thème que l’on retrouve dans de nombreux tableaux de l’artiste.
Auschwitz, les fusillés, les présences
« J’ai longtemps tenu mes parents à distance. Comment se construire dans l’ombre de Georges et Maï Politzer sinon ? » me lance-t-il : « et puis un jour des présences sont arrivées sur mes tableaux. Je n’ai rien voulu, rien prédestiné. Il n’y avait aucun calcul de ma part. J’ai écrit un livre, « Les trois morts de Georges Politzer », et mes toiles suivantes étaient submergées par l’histoire de mes parents. Je suis persuadé que si j’ouvrais mes toiles, si je travaillais sur des plus grands formats, je convoquerais vite 200 personnes, les miens, ma communauté élargie, ceux qui sont morts sous les bottes du IIIème Reich ». Le livre est une de ces enquêtes familiales, au cœur de la Shoah. Nombreux sont les enfants des victimes à avoir entrepris la démarche, reconstruction oblige. Michel retrace le parcours exceptionnel de ses parents et leur sacrifice ultime. Il évoque son enfance. Dès l’âge de neuf ans, après la mort de Georges et Maï,
Michel a vu s’effacer la mémoire de son enfance. Alors il s’interroge. Qui furent ses parents ? Comment György, un juif hongrois, un lycéen révolté qui participe à 16 ans le fusil à la main à la révolution des Conseils hongrois de 1919, devient-il Georges, un brillant agrégé de philosophie propulsé au centre de la vie intellectuelle parisienne ? Comment cet admirateur de Descartes rencontre-t-il ensuite sa future épouse, Maï, qui vénère Pascal, dans un train du pays basque ? Quelle fut la vie de ces deux militants communistes et résistants, dévorée par l’étude, l’action et la rédaction d’une œuvre philosophique singulière ? Une vie qui valut à Georges de tomber sous les balles nazies en 1942. Grâce à quelques photos et à de rares témoignages qui lui ont permis de retrouver une partie de sa famille restée dans l’ombre, après un voyage dans la Hongrie natale de Georges, Michel recompose le portrait de ses parents, héros d’une génération d’intellectuels engagés. Et puis la tragédie. Maï et Georges sont arrêtés par les brigades spéciales à « Victoire 3 », du nom d’une de leur planque dans le 18e arrondissement de Paris. Le lendemain Danielle Casanova est prise dans la souricière alors qu’elle ravitaille en charbon ses amis les Politzer. L’hiver est sombre et rude cette année-là, à plus d’un titre.
Maï reste au dépôt jusqu’au 23 mars, puis est détenue au secret à la prison de la Santé. C’est là qu’elle voit une dernière fois Georges, avant qu’il soit fusillé. Elle est ensuite transférée au Fort de Romainville en août 1942. Le 24 janvier 1943, elle est déportée à Auschwitz dans le convoi symbole des 3100, composé de résistantes françaises. Maï porte à Auschwitz le numéro 31 6802. Danielle Casanova, est encore avec elle pendant le voyage et au moment de rentrer dans le camp. Fait unique, les partisanes font leur entrée dans le camp en chantant la Marseillaise. Danielle devient une des médecins du camp. Elle arrive à trouver à Maï un poste similaire.
Michel freine, rétrograde, puis accélère à nouveau. Il revient sur une anecdote de la détention de Maï, juste avant la déportation : « C’est incroyable les coïncidences. Tu imagines que ma mère, le dernier soir et jusqu’au matin, a tenu la main à une toute jeune femme, pour la rassurer. Des années plus tard, un de mes fils a épousé sa fille ». Incroyable, en effet.