En Israël jusqu’à cette crise, il fut toujours périlleux de comparer quoi que ce soit au nazisme, ou à ses méthodes. Le seul qui s’en était sorti indemne en émettant une assimilation possible entre les Juifs ou Israël et le nazisme était le grand penseur ortho de type libéral superstar, le Professeur Yeshayahu Leibowitz (1903-1994).
Les terroristes palestiniens qui s’y étaient trouvés ne peuvent ni ne doivent servir de prétexte à une liquidation collective. Donc en 2023, pour la première fois en interne, l’invraisemblable s’est imposé à nos consciences. Se pose alors la question de savoir comment ce concept de «judéo-nazi» prédit par le grand penseur, a-t-il pu être atteint dans un pays civilisé qui cultive des valeurs humaines et juives.
Avant d’écrire cet article, il a fallu surmonter le handicap civilisationnel qui s’interposait, À savoir la loi de Godwin. Loi, qui a juste titre s’applique en Israël plus qu’ailleurs. Cette loi implique que dans toute intervention publique et dans tout débat, et pour toute discussion sérieuse, il convient de se limiter et de ne pas friser l’exagération et de qualifier n’importe quoi de nazi. Ainsi la loi de Godwin affirme notamment que : «Plus une discussion en ligne se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un».
Dans un débat, atteindre le point de Godwin revient à discréditer toute personne qui finit par se bloquer en finissant par accuser abusivement : «c’est du nazisme». Or justement, avec la déclaration haineuse de Smotrich, c’est en l’espèce le pire des scénarii possibles qui vient de nous tomber dessus. Comment pour emboîter le pas à un mini-pogrome formé par un déchaînement de violences collectives par des Juifs contre le bourg de Huwara, à la suite d’un odieux attentat, voilà que le ministre du cabinet profère des paroles de soutien à une tentative de crime de guerre, tentative d’incitation au génocide. Dont Israël avait tout fait pour s’en éloigner.
C’est gravissime et hautement irresponsable, Ces soutiens prononcés le 23 mars, le ministre Smotrich venait officiellement encourager et confirmer le projet criminel de détruire ce bourg. «Je pense que Huwara devrait être anéantie», a déclaré le ministre, «je pense que c’est ce que devrait faire l’État d’Israël». Cette déclaration est révélatrice des fantasmes bien connus à l’avance d’un certain groupe de dirigeants actuels mais provisoires. Cette déclaration a fait frémir, et a souligné en plein jour le degré de faiblesse morale et religieuse dans lequel nous sommes tombés. Il ne devrait pas y avoir de place dans l’État juif pour une extrême-droite qui frise le fascisme, voire pire. La désignation déplorable et maléfique de dirigeants, imperméables aux leçons de l’Histoire, risque de continuer encore. Il y a bien eu ici une abdication de la morale humaine. Certainement pas inéluctable. Car nous finirons par comprendre qu’il nous faille réétudier la dimension historique moderne du processus qui a permis l’impensable Shoah.
Durant les trente glorieuses et un peu au-delà, il était admis dans le monde que la Shoah avait discrédité définitivement l’antisémitisme. C’est toujours vrai en partie, mais la peste antisémite moderne pointe son museau. Pour ce qui concerne le Peuple juif, les leçons de l’Histoire et des mécanismes qui ont conduit l’Europe allemande de la Aufklarung vers la Solution finale, étaient supposées bien connues. Mais il s’avère avec les politiciens irresponsables de tendance kahaniste qu’aucune leçon n’a été apprise ni assimilée et ni enseignée. Mais le mal n’est pas inéluctable.
Le professeur Yeshayahu Leibowitz, grande figure intellectuelle israélienne orthodoxe, presque assimilée au Rambam, mais contestée, avait émis l’hypothèse, alors irréelle que la société israélienne aurait une trajectoire nous conduisant à une certaine deshumanisation, jusqu’à qualifier le stade ultime de notre présence de «Judéo-Nazis» en nature. La qualification était et même reste révoltante. C’était une expression politiquement incorrecte, surtout ici, et elle ne semblait pas en 1967 et après, relever de la texture imaginable d’un peuple éduqué, cultivant des valeurs morales, sociales, religieuses. Ce peuple ayant lui-même survécu à l’impensable et au pire. La catastrophe qui nous était tombée dessus, avait justement commencé par des slogans puis s’était vite métamorphosée finalement en Solution finale, justement à cause de la large diffusion de quelques slogans primitifs, dégénérés, colportés par des leaders de bas étage moral, mais avec les micros de la radio entre les mains du pouvoir.
Ces slogans simplistes et réducteurs dans lesquels la moitié du pays d’Israël ne voit pas qu’il pourrait tomber, ont atteint le comble avec la cachérisation et la sublimation disséminés en grand public le ministre Smotrich. La proclamation du ministre de slogans de type quasi génocidaire est précisément due à la vulgarisation extrême du langage, par une trahison des valeurs humanitaires des ministres sécuritaires actuels. Il s’agissait pour Leibowitz en 1967 surtout d’une provocation pour nous mettre en garde contre des dérives non prévues par la Déclaration d’indépendance, ni inscrite dans les textes de nos prophètes aspirant depuis près de 3000 ans à une humanité ou un Peuple qui ne tirerait plus l’épée l’un contre l’autre.
M’étant impliqué activement moi-même, au plus près des victimes de la terreur, en tant qu’avocat dans des batailles juridiques pour dissuader la terreur, (1), il ne m’est pas difficile de comprendre les douleurs du double meurtre au village de Hawarah ces derniers jours. Je me forçais jusqu’à mercredi dernier, le 28 février 2023, à me rassurer en caractérisant les grossières et dangereuses manigances de notre gouvernement d’un peu moins gravissime que cela paraît. Notamment car la machine à hacher la démocratie ne pourra jamais tenir de façon perpétuelle, n’étant pas irréversibles.
Mais voilà que le soir du même mercredi, le film «1942» sur Arte m’a rappelé la phraséologie nazie à Prague en 1942, qui voulait détruire la ville de Lidice après le meurtre du scélérat Reinhard Heydrich, de sinistre mémoire, par deux résistants. Cet enfilage, cet emboîtage si explosif, diffusé à la télé le même jour, de deux événements si distincts n’aurait pu se déclencher dans les profondeurs de mes entrailles sans les propos officiels de Smotrich qui involontairement calquait la bête immonde qui nous a broyés alors sans pitié. La pitié ne ferait-elle plus partie des attributs du judaïsme ?
Les kahanistes sont tellement et parfaitement contre-productifs de l’intérêt d’Israël. Justement sur la scène internationale, Israël doit se défendre en permanence et justifier son auto-défense si mal comprise. Smotrich devrait aussi s’employer à éteindre l’incendie qu’il a allègrement allumé. Le mini pogrome récent prémédité collectivement par des habitants de villages juifs en Judée Samarie contre tout ce qui existait à Hawara, a bien déclenché chez Smotrich un effet de se saupoudrer par un slogan terrible de destruction finale. Quel chantre maléfique. Oui, la question de judéo-nazisme est subitement devenue une interrogation légitime, ici en Eretz Israël.
Conclusion
Par certains de ses leaders actuels notre pays s’est dangereusement approché trop près du mode de pensée des élites allemandes aux temps de leurs abdications à la morale entre 1930 et 1945. Que pouvons-nous retenir de la prédiction de la Superstar intello le Prof. Leibowitz de nos jours après une déclaration ministérielle infamante pour nous tous ? Qui croire après la déclaration scandaleuse d’un ministre en écho à un mini pogrome ? Pour Leibowitz, il ne s’agissait pas d’une provocation quand il évoquait le concept possible de judéo-nazisme. Smotrich a bruni et assombri l’horizon. Ses fantasmes quasi génocidaires doivent être combattus. Son abdication à la morale juive et humaine doit rester circonscrite. Revenons-en à la Déclaration d’Indépendance. Les élites allemandes dans les années 30 avaient elles, abdiqué leur indépendance. Ne l’oublions pas. Ne l’oublions plus. Sachons préserver nos valeurs fondamentales.
Maitre Roland ROTH