Et maintenant, un ministre entrerait dans la danse ? Si l’ex-animateur est en situation d’épicer la bouillie médiatique de l’affaire Palmade sur le plateau de Cyril Hanouna, c’est parce que Vincent Bolloré, patron du groupe, le veut bien.
Vous savez quoi ? Dans cette affaire Palmade, «y a un truc qui va pas. Qui sent le pâté». C’est l’ex-animateur Karl Zéro qui parle, sur le plateau de l’animateur Cyril Hanouna (C8). Le «truc qui sent le pâté», c’est que Pierre Palmade n’a pas encore été entendu par la police sur «le volet pédopornographique de l’affaire». Car déjà c’est un «volet». Après le volet accident, voici le volet pédopornographique. Vous n’êtes pas au courant ? Vous n’avez écouté ni BFM ni CNews ? Selon un témoignage, on aurait vu Palmade visionnant des images de viols d’enfants. A peine le temps de digérer l’info, surgit un second témoin de ce visionnage. Ou d’un autre, on ne sait pas bien. Mais s’il fallait attendre de savoir !
«Quand il y a un coup d’arrêt bizarre, continue Karl Zéro, c’est que ça va remonter quelque part où il faut pas que ça aille. D’ailleurs, “qui sont les deux qu’étaient dans la maison” [de Palmade, lors de l’accident, ndlr] ? On parle de deux fils de “personnalités connues” [guillemets avec les doigts], on parle d’un ministre aussi.» Zéro ne souhaite pas le malheur de Palmade : «S’il se suicide, on ne pourra que penser à d’autres personnalités, [Jeffrey Epstein]. Ça veut dire qu’il en sait trop lui-même.» «Sur quoi ?», lui demande-t-on. «Sur qui il a croisé dans ce genre de trucs» (on a glissé d’un simple visionnage à une éventualité de partouzes). Protestations déontologiques sur le plateau : «T’arrêtes pas de dire peut-être !» Karl Zéro, définitif : «Ben oui, le journalisme c’est poser des questions.»
Un gros croûton dans une soupe d’eau de vaisselle
«On parle d’un ministre.» Le bout de phrase surnage comme un gros croûton dans une soupe d’eau de vaisselle. Ce n’est qu’une allégation, au milieu de la bouillie médiatique Palmade, cette bouillie d’interviews exclusives des voisins, du boulanger, de la pharmacienne, des voisins de la pharmacienne et de la chienne du boulanger. C’est balancé brut, aussitôt contesté sur le plateau, mais c’est lâché. Le «ministre dont on parle» peut s’envoler vivre sa belle vie de rumeur glauque sur les réseaux sociaux.
Karl Zéro est l’auteur de quelques-uns des scoops les plus frelatés de la télévision française. En 2003, son émission le Vrai Journal, sur Canal+, avait fait écho aux accusations délirantes du tueur en série Patrice Alègre contre l’ex-maire de Toulouse Dominique Baudis, d’avoir participé à des «soirées barbares». Encore auparavant, en 1997, la même émission avait fait écho aux accusations tout aussi délirantes lancées contre les élus François Léotard et Jean-Claude Gaudin d’être les commanditaires de l’assassinat de la députée frontiste Yann Piat. Bref, c’est un multirécidiviste de l’accusation sans preuve, et de l’invention de «réseaux» fantasmatiques.
Pourquoi, en 2023, une chaîne de télévision donne-t-elle encore la parole à monsieur «C’est pas net» ? Pour de simples raisons de course à l’audience ? Mais ce n’est pas seulement une affaire Karl Zéro. Si l’ex-animateur est en situation d’épicer la soupe sur le plateau de Cyril Hanouna, c’est parce que Cyril Hanouna l’a invité. Et si Cyril Hanouna l’invite, c’est parce que Vincent Bolloré, patron du groupe, le laisse l’inviter (Zéro a été convié à plusieurs reprises dans la période récente sur les plateaux du groupe Canal+, notamment depuis qu’il a lancé un magazine titré l’Envers des affaires).
Comme il est apparu dans l’affaire Boyard, Cyril Hanouna ne fait rien sans l’aval de Vincent Bolloré. C’est pour cette raison qu’il a insulté le député LFI Louis Boyard, qui avait mis en cause les activités de Bolloré en Afrique. Ces insultes ont poussé l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à infliger à C8 une amende record de 3,5 millions d’euros. Cette amende record a conduit la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak à rappeler CNews et C8 à leurs obligations, et à évoquer la possibilité d’un non-renouvellement des attributions de fréquences à ces chaînes Bolloré. Ce qui a entraîné, sur le thème de la liberté menacée, une contre-offensive du groupe en forme de tapis de bombes : 24 débats en quatre jours sur CNews, ainsi que des articles à charge dans le Journal du dimanche et Paris Match.
La petite phrase «il est question d’un ministre» peut-elle être considérée comme l’une des bombinettes du tapis de bombes ? Peut-être. C’est une hypothèse qu’envisage implicitement le Monde, en conclusion d’une analyse sur le tapis de bombes. Mais en l’absence de preuve formelle, rien ne permet bien entendu de l’affirmer.
par Daniel Schneidermann