Le résistant juif Szlama Grzywacz, membre de l’Affiche Rouge fusillé au Mont-Valérien le 21 février 1944, est enfin reconnu « mort pour la France ».
Il y a près de 80 ans, 23 résistants étaient condamnés à mort sur décision d’un tribunal militaire nazi, parce qu’ils avaient lutté, les armes à la main, pour la libération de la France. 22 d’entre eux furent fusillés le jour-même au Mont-Valérien, tandis que la seule femme du groupe était guillotinée en Allemagne. Ils différaient par la naissance, l’âge, la langue, la religion ; mais ils étaient unis par la même bravoure, le refus de la barbarie, et l’attachement farouche à leur idéal de liberté. Dans le sillage du poète et ouvrier arménien Missak Manouchian, ils rejoignirent ensemble les rangs de la Résistance.
Tous furent déclarés morts pour la France. Tous, sauf un : le juif polonais Szlama Grzywacz. Injuste oubli que le Président de la République décide, ce jour, de réparer.
Formé au métier de cordonnier par son père, Szlama Grzywacz dut gagner dès l’enfance de quoi subsister. Son engagement communiste lui valut cinq années de prison, qui n’affaiblirent ni ses convictions ni son activité militante. Pour échapper aux persécutions de la police polonaise, il gagna Paris en mai 1937, puis l’Espagne, où il combattit aux côtés des Républicains au sein des Brigades internationales. Quand il repassa les Pyrénées, il connut le sort de nombreux autres brigadistes, internés dans les camps de Gurs et d’Argelès par le gouvernement Daladier. Il parvint à s’en évader et à rejoindre Paris. C’est là, au sein des syndicats clandestins des travailleurs juifs de la fourrure, qu’il reprit son combat, multipliant les actions de sabotage pour empêcher les ateliers de produire des vêtements fourrés pour l’armée allemande.
En août 1942, il entra à la sous-section juive de la résistance communiste dans les rangs les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée), sous la fausse identité de Jean Jagodacz et le pseudonyme de Charles. Harcelant sans relâche l’occupant en s’attaquant à ses points névralgiques, convois de troupes, siège du Pariser Zeitung, train de ravitaillement, il finit par être arrêté par les inspecteurs de la BS2, le 29 novembre 1943. Commença alors la descente aux enfers nazis, succession de séances d’interrogatoires menées sous la torture, qui déboucha sur son incarcération à Fresnes, sa condamnation à mort et son exécution au Mont Valérien, à l’âge de 33 ans.
Mort pour la France, né juif en Pologne : comme tous ses compagnons d’armes, Szlama Grzywacz démentit par son héroïsme la propagande nazie, qui entendait lui dénier la qualité de combattant digne de la patrie des Lumières.
Il fut l’un des dix visages de cette affiche rouge sang, placardée en quinze mille exemplaires sur les murs des villes de France en guise d’humiliation et de blâme, afin de décourager les Français d’imiter les membres de cette « armée du crime », stigmatisée parce que constituée de juifs ou d’étrangers.
Mais au lieu de dissuader, l’affiche fit surgir des émules, parce que ces combattants venus d’Arménie, de Pologne, de Hongrie, d’Espagne, parlaient le langage universel de nos résistants, celui de la liberté.
Des fleurs furent déposées au pied des murs où elle était collée, des mains anonymes y tracèrent les mots « morts pour la France ». Louis Aragon la célébra en vers, Léo Ferré en musique.
Ce qui avait été conçu par les nazis comme un pilori devint un panthéon : l’affiche rouge se mua en étendard, nouvel appel à l’esprit français de résistance.
Le Président de la République salue la grandeur de ces hommes et de cette femme, et, au-delà, de tous ceux qui contribuèrent à défaire le nazisme, et à maintenir vivant l’esprit de la République, cet inlassable combat qu’il nous revient encore et toujours de poursuivre et porter haut.
Comme Szlama Grzywacz, plusieurs dizaines de fusillés du Mont-Valérien n’ont pas encore été déclarés « morts pour la France ». Ils ont porté leur part de la braise ardente des valeurs de la Résistance. Lumière doit être faite sur ces destins exemplaires, afin de leur rendre la reconnaissance que leur doit la République. Ces travaux sont engagés. Ils seront conduits sous l’autorité de la secrétaire d’Etat auprès du ministre des armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire.