Tous les samedis soir, dans plusieurs localités du pays, les opposants à la réforme dite « judiciaire » se réunissent pour faire part de leur colère. Par Danièle Kriegel.
e mercredi après-midi, on a pu croire que le gouvernement de Benyamin Netanyahou mettait de l’eau dans son vin lorsqu’il a annoncé, à la Knesset, un report du vote en plénière de certaines lois incluses dans ce qu’il appelle la « réforme judiciaire », contre laquelle une partie de la population se soulève. Il invoquait ainsi un geste de bonne volonté en vue d’engager le dialogue prôné en début de semaine par le président de l’État, Isaac Herzog.
Mais, les heures passant, il a bien fallu se rendre à l’évidence : il ne s’agissait que d’un report de quelques jours concernant des textes « périphériques ». Face à cela, l’opposition a eu beau jeu de réaffirmer sa position de principe : « Pas de dialogue sans l’arrêt immédiat, et pour au moins deux mois, du processus législatif portant sur la refonte du système judiciaire », comme le réclame Yaïr Lapid le chef du parti Yesh Atid (Il y a un avenir).
La fin de la démocratie libérale en Israël ?
La situation est toujours bloquée ce jeudi. D’un côté, il y a une majorité bien décidée à avancer très rapidement pour réduire au minimum les pouvoirs de la Cour suprême et permettre à l’exécutif d’imposer ses diktats sur l’ensemble de la justice. De l’autre, une contestation de plus en plus forte face à ce que les formations d’opposition mais aussi une partie du public considèrent comme une véritable révolution, un changement signifiant la fin de la démocratie libérale en Israël. Une perspective inquiétante qui, depuis six semaines, fait descendre tous les samedis soir, parfois sous une pluie battante, des dizaines de milliers de manifestants, non seulement à Tel-Aviv, mais aussi à Jérusalem, à Haïfa et dans une quinzaine d’autres localités. Or, depuis quelques jours, cette contestation populaire a franchi un nouveau palier : répondant à l’appel lancé par plusieurs organisations pour une journée de grève et un grand rassemblement devant la Knesset, le parlement, ils sont venus, ce lundi, de tout le pays, par dizaines de milliers.
Beaucoup de jeunes, élèves des collèges, étudiants, ingénieurs high-tech, des familles aussi venues avec leurs enfants. Des laïcs, des religieux, des représentants des mouvements LGBT, etc. Une foule immense, brandissant l’emblème national ou des pancartes fabriquées à la hâte, parfois un simple carton collé sur un morceau de bois, sur lesquelles étaient inscrits des slogans : « Israël, ce n’est ni la Pologne, ni la Hongrie, ni la Turquie » ; « Pas d’universités sans démocratie », « Pas de start-up nation sans démocratie » ou bien, au plus près du conflit avec les Palestiniens, « Pour la démocratie, contre l’occupation ». Et toujours ce même mot, « démocratie », scandé par intervalles réguliers. Ils étaient 90 000 selon la police, 250 000 selon les organisateurs. Dans tous les cas, c’est du jamais-vu à Jérusalem depuis des décennies.
« Tous se trompent »
Cette contestation de masse ne semble faire trembler ni la coalition au pouvoir ni ses soutiens électoraux. Leur mantra reste le même : « Deux millions de personnes ont voté pour nous et nous ont donc donné toute légitimité pour légiférer comme nous l’entendons sans tenir compte des juges, qui, eux, n’ont pas été élus. » Peu importe que des personnalités de premier plan de la finance, les patrons de toutes les grandes banques, des scientifiques de renom, des Prix Nobel se retrouvent autour de la défense de la démocratie libérale et avertissent des dangers des lois en préparation, les ténors de la majorité répondent : « Tous se trompent et n’ont en tête qu’une idée : sauvegarder à tout prix leurs privilèges. »
Et pourtant, au sein de ce large consensus gouvernemental, on distingue déjà quelques fissures. Comme cette initiative, ce mercredi, prise par Yoav Galant, le ministre de la Défense, de donner l’ordre de déraciner des arbres illégalement plantés par un résident d’une colonie en Cisjordanie. L’opération a tourné à la confrontation entre les forces de sécurité et des dizaines de militants pro-colons. Accusé par deux ministres d’extrême droite, Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, de violer les accords de coalition, Benyamin Netanyahou a fini par ordonner l’arrêt de l’opération.
Dans ce contexte, Bezalel Smotrich, ignorant les condamnations américaines et européennes, avait, en début de semaine, fait la tournée en Cisjordanie des neuf avant-postes désormais autorisés par le gouvernement. À cette occasion, il a rappelé que son parti, le Sionisme religieux, « s’était engagé à légaliser l’ensemble des colonies et à annuler toutes les limitations imposées à la construction juive en Judée-Samarie (la Cisjordanie) ». D’où cette question : combien de temps le chef du gouvernement pourra-t-il gérer une opposition aux réformes de plus en plus importante et l’exigence de ses partenaires sionistes religieux et ultraorthodoxes de le voir appliquer tous les accords de coalition ?
Danièle Kriegel