Le chercheur israélien Kobi Michael estime qu’une Intifada vise actuellement aussi bien Israël que l’Autorité palestinienne. Propos recueillis par Armin Arefi.
haque jour a son lot de drames au Proche-Orient. Lundi, deux attaques au couteau perpétrées par deux adolescents palestiniens ont coûté la vie à un policier israélien et blessé un jeune de 17 ans à Jérusalem-Est. Dimanche, c’est un adolescent palestinien de 14 ans qui est décédé après avoir été visé par des tirs à balles réelles de l’armée israélienne lors d’un raid mené dans la ville de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Cette nouvelle flambée de violences en Israël et dans les territoires palestiniens a coûté la vie depuis le début de l’année 2023 à 47 Palestiniens (dont des membres de groupes armés et des civils, dont des mineurs), 10 Israéliens (9 civils, dont 3 mineurs, et un policier) et une femme ukrainienne, selon un décompte réalisé par l’Agence France-Presse. Elle survient alors que le processus de paix israélo-palestinien est à l’arrêt depuis neuf ans et la rupture des dernières négociations bilatérales en 2014, tandis que la colonisation en territoire palestinien, pourtant illégale selon le droit international, se poursuit tous azimuts, menaçant la viabilité d’un hypothétique futur État palestinien.
Chercheur à l’Institut pour les études sécuritaires nationales (INSS) à Tel-Aviv, un centre de réflexion affilié à l’Université de Tel-Aviv, Kobi Michael a servi en tant que directeur général adjoint et chef du bureau palestinien au ministère israélien des Affaires stratégiques. Invité à Paris par l’Europe Israel Press Association (EIPA), ce fin connaisseur du conflit israélo-palestinien répond aux questions du Point.
Kobi Michael : Non, pas du tout. Il ne s’agit pas d’après moi d’une vague de terrorisme comme certaines personnes l’affirment, mais d’une campagne de terrorisme palestinien fort bien orchestrée et organisée, soutenue par l’Iran et le Hezbollah à l’extérieur, et par le Hamas et le Djihad islamique à l’intérieur, avec l’appui de l’Autorité palestinienne.Cette dernière n’a-t-elle pas renoncé à la lutte armée depuis les accords d’Oslo en 1993 ?
L’Autorité palestinienne contribue à ces attaques en glorifiant tous les martyrs, en accusant Israël de crimes de guerre… Elle a, en réalité, perdu depuis longtemps sa légitimité et son soutien auprès des Palestiniens, mais ce phénomène s’est accentué au cours des deux dernières années. Elle se distancie désormais d’Israël et du processus politique ; de toute mesure effective en termes de gouvernance ; de son peuple et de ses aspirations nationales. Paradoxalement, l’Autorité palestinienne demeure aujourd’hui le plus grand obstacle à l’établissement d’un État palestinien.
Les dernières attaques ne sont-elles pas plutôt liées aux raids meurtriers de l’armée israélienne menés ces dernières semaines contre plusieurs camps de réfugiés situés en territoires palestiniens ?
Je ne suis pas certain qu’il y ait une corrélation directe entre les deux événements. Je pense qu’il est nécessaire de comprendre le phénomène et la réalité de la campagne de terreur dans laquelle nous vivons depuis dix mois. Pour les assaillants palestiniens, la jeune génération qui participe à cette campagne, nous sommes déjà dans une situation d’Intifada. Et que signifie ce mot ? Qu’ils rejettent l’ordre établi et qu’ils veulent démanteler la réalité en cours, qui est l’occupation. Il s’agit du mot-clé mais les gens ne comprennent pas qu’aux yeux des Palestiniens, cette situation d’occupation possède deux causes principales : la présence de l’armée israélienne en Cisjordanie et l’Autorité palestinienne, dont ils estiment qu’elle collabore avec l’occupation israélienne. Par conséquent, lorsqu’ils résistent contre cette situation, ils luttent aussi bien contre Israël que contre l’Autorité palestinienne, ce qui rend cette dernière encore plus faible et illégitime aux yeux des Palestiniens. Mais le problème est qu’ils n’ont pas d’idée claire sur l’alternative qui pourrait exister. Du point de vue israélien, nous ne sommes pas encore dans une Intifada, car la masse palestinienne n’est pas encore activement impliquée. Mais je pense que c’est une mauvaise interprétation. La population palestinienne soutient largement et fermement la résistance armée contre Israël. D’après les derniers sondages, 84 % des Palestiniens y seraient désormais favorables. Mais s’ils soutiennent la lutte armée, c’est au niveau idéologique, à distance, pas en participant activement à la campagne de terrorisme.
Les dernières attaques palestiniennes ne seraient-elles pas davantage l’œuvre de loups solitaires ?
Non, il n’y a pas de loup solitaire. Nous ne sommes pas dans le même scénario que celui qui s’est joué lors de l’Intifada des couteaux entre 2015 et 2016. Il s’agit d’une campagne de terrorisme orchestrée au départ par le Djihad islamique qui agit entièrement pour le compte de l’Iran. Le but de la République islamique est de développer une équation de dissuasion vis-à-vis d’Israël en construisant et en renforçant des fronts contre lui. Les Iraniens contrôlent déjà quatre capitales arabes et possèdent beaucoup d’influence sur la scène palestinienne. Aujourd’hui, ils travaillent très dur pour renforcer leur présence à l’intérieur d’Israël, notamment auprès de leurs citoyens arabes, car ils pensent qu’en occupant Israël simultanément sur cinq fronts – le Sud Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen, la scène palestinienne – et en y ajoutant la scène intérieure israélienne, ils pourront alors dissuader Tsahal d’attaquer l’Iran sur son sol.
L’action du Djihad islamique et du Hamas n’est-elle pas cantonnée à la bande de Gaza, où ils demeurent sous blocus israélo-égyptien ?
La composante la plus forte du Djihad islamique palestinien est en effet située dans la bande de Gaza. Bien plus faible que le Hamas, celle-ci s’est néanmoins considérablement renforcée au cours des dernières années. Mais cette organisation possède un autre bastion en Cisjordanie, qui est situé à Jénine, ville qui a d’ailleurs toujours été considérée historiquement et traditionnellement comme une zone rebelle, radicale et abandonnée. L’Autorité palestinienne y est absente et ce vide gouvernemental a permis au terrorisme de s’y développer. Le renforcement du Djihad islamique dans cette ville est également dû à la décision israélienne de ne pas y intervenir en lieu et place de l’Autorité palestinienne. Ce groupe a ainsi pu bénéficier de livraisons d’armes de contrebande de la part de l’Iran et du Hezbollah par le biais de la Syrie, de la Jordanie et du Jourdain, pour arriver à Jénine. L’Iran se trouve donc aujourd’hui en Cisjordanie par le biais du Djihad islamique palestinien. Toutes les armes, tout le savoir-faire sur la production d’armes sur place, l’argent – que ce soit des billets ou de la cryptomonnaie –, les renseignements et les directions à prendre viennent de Téhéran.
Les récentes attaques seraient donc d’après vous totalement déconnectées de l’impasse politique dans laquelle est plongé le processus de paix ?
Cette campagne de terrorisme a commencé le 22 mars 2022, alors que le gouvernement israélien était bien plus modéré que l’exécutif actuel. J’aimerais également vous rappeler que l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz, a invité le président de l’Autorité palestinienne Abou Mazen dans sa résidence privée. Il lui a également rendu visite à plusieurs reprises. Les canaux de discussions sont restés ouverts entre les deux camps. L’ancien gouvernement israélien a tout de même autorisé pour la première fois en vingt ans l’entrée en Israël de 20 000 travailleurs palestiniens en provenance de la bande de Gaza. Cela n’a donc rien à voir à mon sens avec l’impasse politique actuelle. Pour comprendre la situation, il faut revenir à l’essence même du Djihad islamique palestinien qui ne voit aucun intérêt dans les négociations ou un quelconque processus politique. La raison d’être de cette organisation est la résistance armée contre Israël. C’est l’organisation djihadiste palestinienne la plus radicale et extrémiste qui existe et elle souhaite massacrer autant de Juifs que possible. Elle n’a aucune intention de construire un État palestinien.
L’impasse politique actuelle dans les territoires palestiniens ne favorise-t-elle pas ce type d’organisation ?
Dans un sens, oui. Mais le phénomène le plus significatif est le fait que les assaillants palestiniens ne sont pas nécessairement affiliés à des organisations telles que le Djihad islamique ou le Hamas. Ce sont elles qui tentent souvent de récupérer les attaques terroristes en revendiquant leur responsabilité, une fois que les assaillants ont été neutralisés. Or, ceux-ci ne sont pas nécessairement affiliés à ces groupes. Ils sont en revanche soutenus par eux.
Quelle est la différence ?
La différence tient dans le fait que le Hamas ou le Djihad islamique palestinien donnent au futur assaillant de l’argent et des armes dans le but de commettre son attaque, bien que celui-ci ne soit pas directement affilié à ces organisations. Ces jeunes ne s’identifient pas à ces groupes mais à l’idée de résistance armée afin de changer la réalité actuelle du terrain et démanteler l’occupation.