Plusieurs livres et une exposition au Centre Pompidou mettent en lumière l’apport décisif de Serge Gainsbourg à la langue française. Un Musée Gainsbourg doit par ailleurs ouvrir ses portes à Paris en 2023 et un disque a été tiré d’un spectacle de la Comédie-Française.
« Je t’aime moi non plus » ; « les dessous chics » ; « sous le soleil exactement ». Nombre d’expressions de Gainsbourg ont nourri la langue française. L’auteur-compositeur-interprète s’était nourri de littérature autant que d’art et de pop culture, rappelle l’exposition « Serge Gainsbourg, le mot exact » à la bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou. Les collections privées exposées, prêtées par Charlotte Gainsbourg, se retrouveront dans le musée consacré à son père, qui doit ouvrir ses portes cette année à Paris.
Des livres, des manuscrits et des coupures de presse, des mots couvrant les murs du sol au plafond, un dandy posant chez lui au milieu de ses ouvrages, l’exposition de Beaubourg pourrait laisser croire qu’elle honore un écrivain. Une succession de pièces d’un noir d’encre, comme les murs de son domicile rue de Verneuil, s’ouvre par sa bibliothèque : Alphonse Allais s’y acoquine avec Snoopy et Charlie Brown des Peanuts, Adolphe de Benjamin Constant y voisine avec Marilyn Monroe, Miles Davis y croise les personnages de BD Placid et Muzo, Jodorowsky trouve une place près de Maupassant.
Brasser les mots avec romantisme et fièvre
Gainsbourg lisait, dévorait des livres, on s’en doutait. On n’écrit pas 550 chansons aux formules poétiques et saisissantes, on ne brasse pas les mots avec tant de romantisme et tant de fièvre sans avoir fréquenté Rimbaud et Baudelaire, Shakespeare et Edgar Allan Poe. Plus inattendu, Gainsbourg travaillait avec une obstination furieuse. Un acharnement à tordre les phrases pour mieux les faire étinceler, à chercher les rimes les plus sonores et les plus fines, c’est ce que montrent ses brouillons.
De ses manuscrits raturés, ponctués de listes de rimes, d’aphorismes choisis puis biffés, surgit l’image d’un bourreau de travail cachant son obsessionnelle recherche du mot juste derrière l’apparente facilité d’un faux désinvolte et vrai provocateur. La chanson, qu’il a décriée comme un « art mineur » lors d’une célèbre dispute télévisée avec Guy Béart, ce lettré l’a prise bien plus au sérieux qu’il ne voulait le dire. « On s’aperçoit que son œuvre est infusée de toutes ses références littéraires, jamais paraphrasées mais toujours présentes », souligne Anatole Maggiar, l’un des commissaires de l’exposition.
« Il était ultra-clivant de son vivant »
« Il a été le premier à redynamiser la langue française pour qu’elle colle aux musiques comme du rock anglo-saxon », ajoute-t-il. Les césures de « Sous aucun pré/texte/je ne veux/avoir de ré/flexe/malheureux », de la chanson Comment te dire adieu, interprétée par Françoise Hardy ; les onomatopées de Brigitte Bardot dans Comic Strip ; les rythmes funky de l’album Love on the Beat ; l’inspiration reggae de sa Marseillaise, Aux armes et cætera ; le français/anglais de Jane Birkin sur Baby Alone in Babylone attestent la modernité linguistique de l’artiste décédé en 1991.
Gainsbourg, en héritier de Boris Vian, se posait en éclaireur de toutes les tendances, explique Sébastien Merlet, l’un des commissaires. Il était ultra-clivant de son vivant. Il choisissait des thèmes polémiques : féminicide dans L’Homme à tête de chou, détournement de mineures… Mais s’il reste toujours présent aujourd’hui, c’est que, au-delà de ses provocations, il accompagne les mouvements sociétaux à l’œuvre, de la révolution sexuelle au nationalisme… », analyse-t-il.
« Je suis un mythe vivant »
Catalyseur des débats de son temps, l’artiste – et son double Gainsbarre – a fait couler beaucoup d’encre. L’abondance des coupures de presse utilisant ses titres, que l’artiste conservait chez lui, le prouve. « Le titre Je t’aime moi non plus a été utilisé 2 300 fois par la presse, dans des contextes très divers », souligne Caroline Raynaud, commissaire pour la BPI. La Croix l’écrivait encore sur sa une du 24 janvier 2023 !
Ses formules, connues ou oubliées, s’écoutent dans le disque tiré du spectacle de la Comédie-Française Les Serge (Gainsbourg point barre), où des comédiens interprètent chansons et extraits d’interviews. On y retrouve son humour grinçant, ses provocations douteuses et autres reparties cinglantes. « J’ai jamais été misogyne, j’suis pudique », déclare-t-il à une pugnace journaliste. « Mais pas très tendre », riposte-t-elle. « Pas très tendre ! Vous croyez qu’avec ma gueule, je peux être tendre ? », se justifie-t-il. Un autre dialogue voit l’artiste, interrogé sur sa célébrité, ironiser : « Je suis un mythe vivant, c’est quelques degrés au-dessus d’une star. »
Des mots et des notes
♦ L’exposition : « Serge Gainsbourg, le mot exact ». Du 25 janvier au 8 mai 2023 au Centre Pompidou à Paris. Concerts le 20 février et le 13 mars.
♦ Les livres : Serge Gainsbourg. Écrire, s’écrire, de Pierre-Julien Brunet, PUR, coll. « Épures », 128 p., 9,90 €.Les Petits Papiers de Serge Gainsbourg, de Laurent Balandras, Textuel, 528 p., 59 €.
♦ Le disque :La Comédie-Française chante Gainsbourg. D’après le spectacle Les Serge, (Gainsbourg point barre), mis en scène par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, un CD Alpha Classics/Outhere Music.
♦ Le musée : la Maison Gainsbourg doit ouvrir en 2023, rue de Verneuil à Paris. »
Nathalie Lacube