L’écrivain britannique explique souffrir de stress post-traumatique. Son agent littéraire Andrew Wylie avait révélé en octobre qu’il avait perdu la vue d’un œil et l’usage d’une main.
Pour la première fois depuis qu’il a failli mourir dans une attaque au couteau aux États-Unis l’été dernier, l’écrivain britannique Salman Rushdie a confié avoir beaucoup de mal à écrire et souffrir de stress post-traumatique. Le célèbre romancier d’origine indienne, naturalisé américain et qui vit à New York, s’exprime dans un long article publié lundi 6 février par le journal des élites culturelles, The New Yorker, à la veille de la sortie aux États-Unis de son dernier roman, Victory City, le «récit épique d’une femme» au 14e siècle.
The first photo of the unconquerable Salman Rushdie since his stabbing in August: In the new issue of the @NewYorker https://t.co/BVwDH4Nz30 pic.twitter.com/5jv443WCeB
— Oren Kessler (@OrenKessler) February 6, 2023
Ses confidences exclusives au rédacteur en chef du New Yorker, l’écrivain David Remnick sont titrées Le défi de Salman Rushdie et accompagnées d’une interview audio d’une heure et d’une sombre photo en noir et blanc de l’intellectuel de 75 ans, le visage marqué et portant des lunettes avec un verre noir à l’œil droit. Toutes les photos publiées par la suite ont été jugées par Salman Rushdie comme « fake ». Son agent littéraire Andrew Wylie avait révélé en octobre qu’il avait perdu la vue d’un œil et l’usage d’une main.
Fake quote. Not said by me, https://t.co/TzaZq158aJ
— Salman Rushdie (@SalmanRushdie) February 7, 2023
Alors que «Victory City» a été achevé avant son agression du 12 août 2022 dans le nord des États-Unis, Salman Rushdie dit avoir «trouvé très, très difficile d’écrire». «Je m’assois pour écrire et il ne se passe rien; j’écris, mais c’est un mélange de vide et d’âneries, des choses que je rédige et que j’efface le lendemain», confie l’écrivain qui vit depuis 1989 sous la menace de mort d’une fatwa émise par l’Iran, après la publication de son livre Les Versets sataniques. «Je ne suis pas encore tiré d’affaire», souffle-t-il en prévenant son intervieweur: «Le PTSD existe, vous savez», employant en anglais l’acronyme définissant le trouble de stress post-traumatique (TSPT).
David Remnick on the defiance of Salman Rushdie https://t.co/MgD6ieG1Ne
— New Yorker Fiction (@NYerFiction) February 6, 2023
Même «si sa guérison progresse», avait dit la semaine dernière son agent au journal The Guardian, Rushdie ne fera aucune promotion publique pour ce 15e roman, qui sort mardi aux États-Unis et jeudi au Royaume-Uni. Adulé par les élites en Occident, détesté par des extrémistes musulmans en Iran ou au Pakistan – certains s’étaient réjouis en août de son agression – Rushdie est une icône de la liberté d’expression et défend encore avec érudition et son style flamboyant la puissance des mots dans Victory City.
Le livre raconte l’épopée de Pampa Kampana, une jeune orpheline dotée de pouvoirs magiques par une déesse, qui va créer la ville de Bisnaga – littéralement «Victory City». Avec pour mission de «donner aux femmes une place égale dans un monde patriarcal», selon l’éditeur Penguin Random House, son héroïne et poète, qui vivra près de 250 ans, sera aussi le témoin de «l’orgueil de ceux qui sont au pouvoir», assistera à l’essor puis à la destruction de Bisnaga et subira l’exil. Son héritage au monde restera toutefois son récit épique, qu’elle enterre en guise de message pour les générations futures. Le roman se conclut: «Les mots sont les seuls vainqueurs».
Dans le New York Times, l’écrivain américain Colum McCann, ami de Rushdie, affirme qu’il «dit quelque chose de très profond dans Victory City». «Il dit “vous ne pourrez jamais enlever aux gens la faculté fondamentale de raconter des histoires”. Confronté au danger, même face à la mort, il réussit à dire que tout ce que nous avons, c’est le pouvoir de raconter des histoires.»
Né à Bombay en juin 1947, juste avant la partition de l’Inde, dans une famille bourgeoise musulmane laïque, Rushdie publie son premier roman Grimus en 1975 et devient une célébrité mondiale dans les années 1980 avec Les Enfants de minuit qui lui vaut le Booker Prize au Royaume-Uni. Malgré la fatwa iranienne jamais levée, Rushdie se sentait plus libre et avait repris une vie en société ces dernières années à New York.
Le 12 août dernier, il avait été invité à une conférence littéraire à Chautauqua, petite ville culturelle et bucolique prisée des retraités dans le nord-ouest de l’État de New York, près du Grand Lac Erié. Au moment de prendre la parole, un jeune Américain d’origine libanaise, soupçonné d’être sympathisant de l’Iran chiite, s’était jeté sur lui, armé d’un couteau, et l’avait poignardé une dizaine de fois. «J’ai connu mieux mais vu ce qui s’est passé, je ne vais pas si mal», assure aujourd’hui Salman Rushdie, ajoutant toutefois «tenir (son agresseur) pour responsable» de son état de santé.
Victory City sortira en septembre en France sous son titre original, chez Actes Sud.