La chronique d’Éliette Abécassis, sur le livre du psychologue et auteur Samuel Dock, « L’Enfant thérapeute ».
C’est violent, l’enfance », écrit le psychologue et auteur Samuel Dock, dans son livre L’Enfant thérapeute (1). À l’heure de l’enfant roi, où l’on met en avant l’importance et la nécessité de la protection et du soin des enfants, il reste pourtant tant d’enfants maltraités et on a toujours tant de mal à les protéger face à leurs bourreaux que cet aphorisme fait froid dans le dos. Soit que l’arsenal juridique ne soit pas suffisant pour préserver l’enfance, soit que la société elle-même permette ou encourage à la briser par des lois qui privilégient hypocritement les adultes – comme la garde alternée –, soit encore que les enfants soient les victimes de violences domestiques de la part de leurs proches, et parfois ces proches sont leurs parents.
Récente, l’histoire de Samuel Dock est vraie, même si elle peut paraître incroyable. Par un témoignage prenant, il conclut avec le lecteur un vrai pacte autobiographique qui le rend aussi littéraire que documentaire, sur une ligne de crête étrange où le récit plane, comme en apesanteur. Comme une pièce de théâtre, tout se déroule en deux actes. Le premier est celui où l’adulte – l’auteur et narrateur – se perd dans les méandres de sa vie erratique, à la recherche d’un sens et de l’aide qu’il pourrait apporter à ses proches et moins proches, ceux qui sont désespérés. Psychologue, il soigne les gens malades et en particulier les enfants, les adolescents. Chaque Noël, il a du mal à retourner vers cette région de l’Est où il a grandi, avec ses souvenirs d’enfance effrayants, sa peine face à sa sœur qui souffre de problèmes psychiatriques, « petite sœur monstrueuse et cassée », son père divorcé avec qui il entretient des rapports plus que distants, et sa mère : isolée, désolée, dévastée, perdue.
Quelle force, quelle ressource, pour sortir de toutes ces enfances maltraitées ? La sienne, celle de sa sœur et celle de sa mère, dont il découvre l’histoire après qu’elle a fait un travail avec un psychiatre pour dépasser son état de précarité mentale et économique. Car l’acte 2 de ce livre est celui de cette femme, petite dernière d’une famille de 14 enfants, confiée à la Ddass à l’âge de 5 ans, car elle subissait les coups d’une sœur psychotique – à l’image de sa propre mère battue par son mari. Que faire de ce lourd passé alors que, comme le dit l’auteur, « les relations humaines ne sont pas des ardoises magiques que l’on peut effacer quand la colère est passée ». Subir, arrêter de subir, écrire, car « c’est la seule manière de vivre d’autres vies que la mienne » : elle est la réponse de sa vie.
Sa vie est comme un livre en effet : un puzzle avec deux parties qui s’emboîtent, se répondent et entrent en résonance l’une avec l’autre. La première avec cette écriture au cordeau, à vif, un jeu de mots avec le néant, des personnages qui crient, s’agitent, se blessent, se heurtent, remplis de violence, de rancœur, de haine, un peu à la manière de ceux du dramaturge Jean-Luc Lagarce, pris dans une anxiété folle qui devient paroxystique au moment de Noël où les familles se recomposent. Et soudain le voile se déchire, la mère se révèle. La deuxième partie, écrite par une voix féminine qui se raconte dans une écriture qui évolue, simple au départ car c’est une petite fille de 5 ans, puis de plus en plus élaborée et consciente au fur et à mesure qu’elle grandit et sort de cette enfance épouvantable. La lumière pour elle fut celle de la rédemption au sens religieux, puisqu’elle fut accueillie, soignée et protégée par des sœurs qui ont soigné ses plaies au sens propre et au sens figuré, l’ont pansée, l’ont aimée, et en l’aimant lui ont appris l’amour.
Cette confession comme il y en finalement rarement en littérature, sans concession, dans le sillage de Rousseau, est d’une grande violence, et d’une humanité éblouissante lorsque Samuel trouve un moyen de sortir de cet abîme : par la lumière calmante de son compagnon, par les mots, par l’écriture, par la narration à la limite du supportable, par la bonté de ces figures maternelles qui sauvent, par la psychanalyse, et le fait de donner un sens à sa vie : pour Samuel, à travers sa mission, qui est sa passion, de réparer l’enfance des autres à défaut de réparer celle de sa mère, irréparable. Le mot qui revient le plus souvent dans ce livre, c’est « passé ». L’enfant que l’on fait pour se soigner est un enfant thérapeute – mais le titre offre aussi un autre sens. Cet enfant va devenir un thérapeute, et le thérapeute cherche à travers l’enfant qu’il soigne, à guérir l’enfance maltraitée. L’enfant thérapeute est devenu un thérapeute de l’enfance. Le thérapeute est devenu un écrivain qui fait vivre le passé par ses livres thérapeutes.
(1) – L’enfant thérapeute – Plon
Eliette Abecassis