Un recueil de lettres inédites que l’écrivain autrichien avait adressées à sa secrétaire, qui deviendra sa femme, vient de paraître. Retour sur une histoire méconnue.
l y a 81 ans, l’écrivain Stefan Zweig et sa jeune femme Lotte Altmann se suicidaient. Tous deux juifs, ils avaient émigré au Brésil pour reconstruire leur vie, et c’est là qu’ils décident de mourir ensemble le 22 février 1942. L’éditeur Albin Michel publie un recueil de lettres inédites que Zweig a adressées à partir de 1934 à Lotte, son indispensable assistante devenue ensuite sa femme. Leurs échanges épistolaires titrés J’aimerais penser que je vous manque un peu permettent d’éclairer certains aspects de la personnalité de Zweig considérés jusqu’à aujourd’hui comme controversés.
Une série de photographies et de documents inédits permettent au lecteur d’accéder à certains détails de la vie du couple ; on découvre Zweig en photo, radieux à Salzbourg en compagnie du chef d’orchestre Toscanini, le questionnaire pour les étudiants non aryens rempli par Lotte, des photos d’entretiens à la BBC, des moments d’intimité ou des photos trahissant leur fatigue, leur accablement, quand les régimes nazis et fascistes prolifèrent en Europe.
Fidèle compagne
Une autre correspondance parue en 2019 chez Grasset témoignait des échanges du couple exilé entre 1940 et 1942 en Amérique du Sud, avec leur famille et leurs amis restés en Europe. Ce nouveau volume, édité par Oliver Matuschek, biographe de Zweig, révèle les sentiments de reconnaissance et d’affection de l’écrivain à l’égard de Lotte Altmann, sa fidèle compagne d’exil, de vie et de travail.
Recrutée à Londres grâce à l’organisme juif d’assistance aux réfugiés par sa première femme Friderike, Lotte venait de quitter l’Allemagne nazie. À ce moment, Zweig fêtait ses 53 ans, elle en avait 26. Il décide de se réfugier à Londres après avoir été victime d’une intrusion brutale à son domicile de Salzbourg. En effet, comme un an plus tôt chez Albert Einstein, la police fit une perquisition à la recherche d’armes.
Une secrétaire influente
L’écrivain recherchait alors une secrétaire et une assistante pour travailler à ses biographies historiques, et notamment à Marie Stuart. Il avait compris que l’Autriche serait la première cible du « monstre », comme il appelait Hitler, et il avait quitté sa résidence aristocratique de Salzbourg au moment opportun, notamment parce que sa relation avec sa première épouse Friderike, distinguée, cultivée et particulièrement envahissante, se défaisait.
Si dans les deux biographies rédigées par son ex-conjointe, la présence de Lotte était clairement relativisée, ces lettres permettent de mettre en lumière l’influence exercée et le rôle joué par cette jeune femme dans la vie de Zweig. Bénéficiant d’une formation académique solide, polyglotte et issue d’une famille juive de classe moyenne, Lotte est rapidement devenue une présence indispensable dans la vie de l’intellectuel autrichien. Dès les premières lettres, il affiche un ton plein de sollicitude, s’inquiétant de son état de santé. Lotte souffre en effet d’un asthme nocturne. Ce qui frappe le plus à la lecture de ces lettres est la façon dont Zweig, qui continue d’appeler sa future femme « Mademoiselle Altmann », évite soigneusement toute question personnelle. Malgré cet excès de réserve, des expressions cordiales d’empathie laissent transparaître leur lien affectif.
Une jeune femme qui me veut du bien
Peu de temps après l’avoir rencontrée, dans une lettre à Joseph Roth datée de 1934, l’écrivain, au sommet de son succès, évoque ce qu’il éprouve en compagnie de Lotte : « Encore une fois, j’ai perdu mes certitudes et je suis devenu curieux. D’ailleurs, il y a aussi une jeune femme qui me veut du bien, à moi qui ai cinquante-trois ans ! » Cette complicité joyeuse a le pouvoir d’embellir la perception de la capitale britannique aux yeux de l’écrivain : « refermée », « ni accueillante ni réjouissante » dans un premier temps pour Zweig, il écrira plus tard à Lotte avoir « envie de vivre complètement à Londres ».
L’énergie dégagée par cette liaison stimule une riche et importante production littéraire : entre 1934 et 1940 verront le jour Le Monde d’hier, Le Joueur d’échecs, Erasme, Magellan. D’autres événements s’enchaînent rapidement : en 1936, les livres de Zweig sont interdits dans le Reich allemand, le couple se marie en 1939 et les deux amants réalisent plusieurs voyages en Suisse, aux États-Unis, au Brésil. Déçu et déprimé par les évolutions géopolitiques du conflit en Europe, jusqu’à la fin de sa vie Zweig reçoit le soutien, le réconfort et la confiance indéfectibles de Lotte, qui, dans une lettre de juillet 1941, souhaitait « être comme ces personnes qui savent parler aux autres en leur insufflant de la gaieté et leur inspirer en quelque sorte courage et espoir ».
« J’aimerais penser que je vous manque un peu ». Lettres à Lotte 1934 – 1940 – trad. Brigitte Cain-Hérudent – Paru le 18/01/2023 chez Albin Michel