Trois drones ont visé samedi un site militaire à Ispahan, dernière illustration de la nouvelle doctrine israélienne contre la République islamique.
Les explosions ont retenti dans la nuit, alors qu’Ispahan n’était pas encore tout à fait endormie. « C’est un drone ! C’est un drone ! » s’est exclamé avec son accent caractéristique un habitant de la ville millénaire du centre de l’Iran qui filmait la scène.
L’homme disait vrai. Trois quadricoptères, des appareils munis de quatre rotors, ont visé samedi à 23 h 30 une usine de fabrication de munitions, a annoncé à peine quelques heures plus tard le ministère iranien de la Défense, précisant que l’un des drones avait été détruit par le système de défense antiaérienne du site, tandis que les deux autres avaient explosé. N’ayant fait aucune victime, l’incident a entraîné des « dégâts mineurs à la toiture » du bâtiment et n’a « pas provoqué de perturbation dans le fonctionnement du complexe », assure le ministère de la Défense.
IMPRESSIONNANT. Le ministre iranien de la Défense a fait état samedi 28 janvier de l’intrusion de 3 drones dans un complexe d’usines militaires d’Ispahan (centre de l’#Iran) et affirme que 2 appareils ont « explosé » après être « tombé dans 1 piège » et qu’un 3e a été abattu. pic.twitter.com/G4KjoZB7dO
— Armin Arefi (@arminarefi) January 29, 2023
Guerre secrète
Huit mois plus tard, l’ombre d’Israël plane à nouveau sur les explosions qui ont secoué samedi le complexe militaire d’Ispahan. D’autant que les fuites organisées dans la presse américaine vont toutes dans le même sens. Le New York Times a ainsi indiqué dimanche que le Mossad, les services secrets extérieurs de l’État hébreu, était bel et bien derrière la dernière attaque qui a frappé l’Iran. Citant de hauts responsables du renseignement, au fait du dialogue entre Israël et les États-Unis au sujet de l’incident, le quotidien américain a rappelé que la ville d’Ispahan abritait de nombreux sites de production, de recherche et de développement de missiles, notamment des usines d’assemblage de missiles iraniens à moyenne portée Shahab, en capacité d’atteindre le territoire israélien.
L’État hébreu n’a pas pour habitude de laisser filtrer les opérations que ses services mènent à l’extérieur de ses frontières, à l’exception notable de la guerre secrète dans laquelle il est engagé contre l’Iran. Celle-ci avait jusqu’ici pour théâtre principal la Syrie, où trois salves de frappes aériennes réalisées à l’aide de drones ont encore visé dimanche soir et ce lundi des milices pro-iraniennes qui transportaient des convois d’armes dans l’est du pays, faisant au moins onze morts selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Depuis le début du conflit syrien en 2011, Tsahal a mené des centaines de frappes contre les positions des Gardiens de la révolution et des groupes qui lui sont inféodés (Hezbollah, milices chiites afghanes, irakiennes et pakistanaises…), faisant des dizaines de morts, dont des haut-gradés de l’armée idéologique du régime iranien. La République islamique assure pour sa part être présente en Syrie à l’invitation de Damas, qui a fait appel aux Pasdarans (Gardiens, en persan) dès le début du soulèvement pour mater les manifestations pacifiques antirégime, puis pour combattre les groupes rebelles opposés à Bachar el-Assad.
«Tête du serpent »
Mais cette présence militaire iranienne inquiète l’État hébreu, qui estime que l’Iran cherche en réalité à s’implanter à sa frontière nord dans le but de préparer un nouveau front contre Israël en cas de conflit ouvert. « L’Iran est la pierre angulaire de nos problèmes, la tête du serpent qui parraine les groupes terroristes autour de nous, d’Irak au Liban, en passant par le Yémen et Gaza », souligne un haut responsable militaire israélien sous le couvert de l’anonymat. « En Syrie, les Iraniens tentent de créer un Hezbollah II », ajoute-t-il en référence au mouvement islamiste armé, créé par les Gardiens de la révolution en 1982 au lendemain de l’invasion israélienne du Liban, et qui domine aujourd’hui la vie politique libanaise au nom de la lutte contre l’État d’Israël.
Doctrine « Octopus »
L’absence de riposte directe de Téhéran est en tout cas interprétée comme un signe de faiblesse à Tel-Aviv, qui a depuis étendu ses opérations au territoire iranien (Israël agissait jusqu’ici en Iran exclusivement pour saboter le programme nucléaire iranien et assassiner des scientifiques). Outre l’attaque contre une base de drones de Kermanchah en février 2022, Israël est ainsi fortement soupçonné d’être derrière le meurtre en mai 2022 à Téhéran de Sayyad Khodaï, un responsable des Gardiens de la révolution accusé de diriger une unité d’enlèvements et de meurtres de ressortissants israéliens à l’étranger.
La nouvelle doctrine israélienne vis-à-vis de l’Iran a un nom : « Octopus » (Pieuvre), ainsi que l’a révélé en juin 2022 à l’hebdomadaire britannique The Economist l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett. « Nous ne jouons plus avec les tentacules, avec les [groupes armés] affiliés à l’Iran : nous avons créé une nouvelle équation en optant pour la tête », expliquait à l’époque l’ancien chef du gouvernement. « Naftali Bennett a opté pour un changement de stratégie car il a compris qu’il n’était pas suffisant de frapper le Hezbollah au Liban ou l’Iran en Syrie pour lui faire payer le prix de ses actions déstabilisatrices dans le monde », explique Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya, en Israël. « Le seul moyen de dissuader l’Iran d’agir à sa guise est de le frapper sur le territoire iranien, d’autant que le régime est très sensible aux menaces directes qui visent ses intérêts. »