A Caen, des lycéens ont enquêté sur la vie de Zalie, déportée à Auschwitz

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Des élèves de terminale normands ont investigué un an sur la vie d’une déportée du Convoi 77, parti de Drancy pour Auschwitz, afin d’élaborer sa biographie écrite et audio. Une autre manière d’étudier la Shoah.

31 juillet 1944. Alors que la fin de la guerre approche, l’officier SS Alois Brunner fait partir l’un des derniers convois du camp de Drancy, direction Auschwitz. C’est le convoi 77. A l’intérieur, 1 306 juifs. Des enfants, des femmes, des hommes. Seuls 250 ont survécu. Parmi eux, Zalie Glowinski.

Près de quatre-vingts ans plus tard, le visage de la jeune fille, cheveux ondulés et timide sourire aux lèvres, apparaît sur l’écran d’une salle de classe du lycée agricole Institut Lemonnier à Caen (Calvados). Les 18 élèves de terminale en filière «Laboratoire contrôle qualité» terminent un travail de fourmi, entamé en septembre 2021, pour retracer la vie de «Zalie». Leur professeur d’histoire, Thierry Bogacki, avait une idée en tête depuis un moment : «Comment enseigner autrement la Shoah à mes élèves pour qu’ils s’imprègnent de cette histoire par le biais d’un récit plus intime ?» Il a trouvé la réponse grâce à l’association Convoi 77 qui confie à des collégiens et lycéens le soin de rédiger les biographies des déportés de ce convoi.

Selon un sondage Ifop réalisé en 2018, plus de 20 % des 18-24 ans disent ne jamais avoir entendu parler de l’Holocauste. Voilà pourquoi Georges Mayer, le fondateur de l’association, estime important de revoir l’enseignement de la Shoah : «L’idée est d’oublier les cours classiques dans lesquels on parle aux élèves de façon frontale des six millions de juifs assassinés, et de leur proposer à la place une démarche active en enquêtant sur le destin d’un déporté qui a vécu là où ils vivent aujourd’hui», explique ce fils d’un déporté du Convoi 77. Cela permet aux élèves de mieux retenir l’histoire de ce conflit «et de participer à un projet international de mémoire pour raconter la vie de toutes ces personnes dont la grande majorité n’est jamais revenue des camps de la mort». Depuis le lancement du projet en 2015, près de 350 biographies (250 autres sont en cours de réalisation) en anglais et en français, ont ainsi été écrites par des élèves dans une vingtaine de pays d’où étaient originaires ces déportés.

Actes de naissance, lettres manuscrites, documents d’arrestation

Au départ donc, les élèves du lycée agricole de Caen n’avaient qu’un nom. Zalie Glowinski. Et des questions sans réponse : quel âge avait-elle lors de sa déportation ? Qui était sa famille ? Comment était-elle à son retour des camps ? Plus qu’un début de piste, la classe est allée franchir les portes de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC) du Service historique de la défense, à Caen. «C’était quelque chose de découvrir ces papiers anciens, confidentiels parce qu’on rentrait tout à coup dans sa vie intime. On a rassemblé les pièces du puzzle en se concentrant sur chaque étape de sa vie», se souvient la dynamique Clémentine, 17 ans, qui garde un souvenir précis des quatre heures passées à éplucher les documents administratifs de toute la famille de Zalie. Avec ses camarades, Clémentine doit trier les actes de naissance, de décès, déchiffrer les lettres manuscrites, les documents d’arrestation et de transfert d’Auschwitz au camp de Chrastava (à l’époque en Tchécoslovaquie) où elle attrape le typhus, comme le prouve un examen médical.

Jules agite ses doigts comme s’il tenait encore les précieux papiers entre ses mains : «C’était des documents comme sortis d’une autre époque, enveloppés dans des pochettes. On avait la liste des convois de juifs, des documents écrits par les nazis. On avait les preuves de ce qu’il s’est passé.» Des preuves que les élèves ont prises en photo puis imprimées. Ce jour-là les feuilles sont éparpillées sur les tables de la classe. Elles leur ont servi de base de travail avant d’écouter le long récit que Zalie Glowinski avait livré en 1995 à l’USC Shoah Foundation, organisation fondée par Steven Spielberg en 1995 qui conserve les témoignages vidéo des survivants de l’Holocauste. Face caméra, elle y raconte sa vie durant quatre heures trente. Son enfance à Paris, sa relation privilégiée avec son père qui se sentait protégé en France avant d’être déporté et gazé à Auschwitz, comme sa mère. Puis son départ à Alençon, à une centaine de kilomètres du lycée Institut Lemonnier, où l’adolescente entre en résistance.

«Elle ne pesait que 27 kilos, on voyait la forme de ses os»

C’est à ce moment-là qu’elle est arrêtée, avant d’être enfermée dans le camp de Drancy, puis déportée. Les élèves ont pleuré en écoutant son récit. Puis ils ont suivi sa trace : Alençon, Drancy, Paris, dans la rue des Rosiers où elle habitait : «C’était étrange de voir son immeuble et ce quartier qui semblait avoir oublié la rafle du Vél d’Hiv», remarque Ethan, 17 ans. Ce passionné d’histoire a trouvé «ce travail de reconstitution hyperintéressant» parce qu’il fallait notamment recouper les informations récoltées. Les élèves ont ainsi découvert que Zalie s’est trompée sur quelques dates. Elle avait aussi oublié son passage à l’hôtel Lutetia, à Paris, transformé en centre d’accueil pour une grande partie des rescapés des camps de concentration. «Elle ne pesait que 27 kilos, on voyait la forme de ses os. Ses voisins ne l’ont même pas reconnue», raconte Inès, encore marquée par cette scène décrite par Zalie, décédée en 1998. Aliénor pourrait parler d’elle durant des heures : «C’est comme si elle faisait partie de notre famille alors qu’on ne l’a jamais rencontrée», confie l’adolescente.

Les élèves ont fait de sa biographie un projet radiophonique, transformé en ce début d’année en une série documentaire présentée en fin de semaine dans un cinéma de Caen, en présence de la fille de Zalie et de son petit-fils. Une fierté pour ces terminales. «On va sûrement leur apprendre des choses sur elle», glisse Inès, qui s’est prise de passion pour ce travail qui lui a permis «de ressentir l’horreur de ce qu’il s’est passé. Grâce à ça, on va transmettre ce que l’on a découvert aux générations suivantes pour ne pas oublier la Shoah. On doit garder ça dans un coin de la tête quand on voit qu’il y a toujours la guerre en Europe, en Ukraine». Leur documentaire, déjà mis en ligne, s’achève sur un témoignage audio de Zalie qui lance d’une voix douce : «J’ai eu beaucoup de chance mais pourvu que ça ne revienne pas.»

par Cécile Bourgneuf