Sylvain Vergara, mort à Nîmes en 1993 et reposant au cimetière protestant, avait écrit un texte poignant sur son témoignage de tout jeune déporté à Buchenwald entre mars 1944 et avril 1945. Un récit jamais publié jusqu’à l’automne 2022. Sa fille, Anne Vergara, témoignera vendredi au Festival de la biographie.
« Il n’était pas heureux. Il faisait des cauchemars terribles, il était dépressif. C’était douloureux pour lui de ne pas pouvoir témoigner ». Anne Vergara témoignera à la place de son père Sylvain, ce vendredi 27 janvier (1), jour anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Et pourtant Sylvain Vergara, mort à Nîmes en 1993, avait écrit, avec une rare puissance littéraire, le récit de sa vie de jeune homme déporté dans le camp de Buchenwald.
Le soutien d’Elie Wiesel
Un texte qu’il n’a, de son vivant, jamais réussi à faire publier si ce n’est à compte d’auteur, malgré le soutien du prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel, qui lit le manuscrit en 1985 et écrit à son auteur « je le trouve bouleversant, vibrant de vérité, il faut le publier ». Près de quarante ans après ce message d’encouragement d’un homme qui fut également déporté, le récit de Sylvain Vergara est enfin devenu un livre. L’éditeur Ampelos, une petite maison d’édition spécialisée, a décidé de donner enfin vie à ce récit intitulé « Les chemins de l’aube ».
Ses parents reconnus comme Justes
« Mon père est né en 1924, à Asnières-sur-Seine, son père était pasteur au temple de l’Oratoire du Louvre. Il est le dernier d’une fratrie de sept enfants, et a une soeur jumelle Sylvie. Son père, le pasteur Paul Vergara, avec sa femme Marcelle, sauve des enfants juifs. Ils recevront la médaille des Justes, et le 12 février une plaque sera dévoilée à Paris en leur mémoire. Leur gendre, Jacques Bruston est aussi un résistant actif, il sera déporté à Mathausen et exécuté » raconte Anne.
Prisonnier « nacht und nebel »
Le jeune Sylvain est envoyé à l’Institut protestant de Glay, dans le Doubs. Y commet-il des actes de résistance, malgré son très jeune âge ? C’est possible même s’il n’en a jamais fait le récit. C’est à Paris le 23 octobre 1943 qu’il est arrêté par la Gestapo. Il est emprisonné à Fresnes jusqu’en février 1944 puis envoyé dans un camp de transit, à Neue Bremm (près de Sarrebruck en Allemagne) où il reste trois semaines avant d’arriver le 15 mars 1944 à Buchenwald (près de Weimar en Allemagne). Il fait partie des prisonniers Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard), destinés à être envoyés dans le néant.
C’est le récit de Sylvain, qui s’est rebaptisé ici Emmanuel, et qui croise des compagnons d’infortune, évoqués sous leur vrai nom. Son très jeune âge suscite la pitié. Léon Cardyn par exemple, un médecin belge, le sauve de la dysenterie en lui faisant ingurgiter du charbon et quelques miraculeux grammes de sucre. Le désespoir atteint chaque homme, certains préfèrent abréger leurs souffrances. L’adolescent repère dans les regards déjà vides ceux qui ne vont pas survivre.
Le camp libéré le 11 avril 1945
Malgré l’horreur et la promesse des nazis que personne ne reviendrait pour raconter, le camp de Buchenwald est libéré par les Américains le 11 avril 1945. Sylvain n’est rapatrié que le 9 mai où il arrive dans le chaos de l’hôtel Lutetia à Paris. Il retrouve ses parents, et se remet physiquement peu à peu.
« Il épousera Yvonne, ma mère, qui était la meilleure amie de Sylvie la soeur jumelle de Sylvain. C’est assez incroyable qu’il fonde une famille, nous sommes six enfants, trouve un emploi etc., après avoir vécu ça », souligne Anne. Las de la vie parisienne, le couple achète une maison en viager dans les Cévennes, sur les hauteurs d’Anduze. Sylvie, la soeur, s’installe avec son mari Henri Génolhac au château de Montmoirac, à Saint-Christol-les-Alès. Sylvain et Yvonne cultivent des glaïeuls, se lancent dans les vers à soie. « Ils sont fauchés, ils mangent des biscuits, ils jouent aux dames sur le carrelage en damier du château et le dimanche, si mon père va à Anduze, il achète du pain, une rose pour ma mère et un billet de loterie ! » sourit Anne.
« Les camps, c’était tout le temps là »
L’hiver 1956 fait geler les cultures de fleurs et le couple retourne à Paris. Après le rêve cévenol, retour à la réalité. Ils reviendront à Nîmes à la fin de leur vie. À ses enfants qui grandissent, Sylvain Vergara ne cache rien de ce qu’il a vécu. « À 8 ou 9 ans, nous avons entendu des récits glaçants. Il était très favorable à l’Europe, il savait l’importance de construire la paix. J’ai lu son texte quand j’avais 20 ans. Mon père était hautement traumatisé. Les camps, c’était tout le temps là… »
« Editer ce livre était une obligation » estime Eric Peyrard, des éditions Ampelos
Comment ce livre est-il arrivé jusqu’à vous ?
Par hasard, par un ami, qui avait rencontré Anne Vergara car il s’intéressait plutôt à l’histoire du pasteur Paul Vergara. Et puis Anne lui avait remis le texte de Sylvain et cet ami a eu un choc. Pour ma part, des textes sur la résistance et les camps, j’en lis beaucoup, c’est notre coeur de sujet. Ampelos existe depuis 15 ans, au départ sur l’histoire du protestantisme, et désormais sur l’histoire des minorités résistantes. Bref, je fais comme de coutume je lis ce texte, avant de le soumettre à un comité de lecture à géométrie variable.
Mais vous êtes déjà convaincu ?
Oui. Ce texte est un choc. Il est très dur, et extrêmement original, plein de poésie bien qu’en prose. Je comprends aussi que Sylvain a été sauvé par ses codétenus qui veulent qu’il survive pour témoigner : c’est le sens même du devoir de mémoire. On doit le publier. Je le soumets à la journaliste Ariane Chemin, du Monde, qui se passionne pour ce sujet et écrira une page dessus.
Comment expliquer les refus essuyés par Sylvain Vergara ?
Dans la littérature des camps, il y a des périodes de refus, des périodes d’oubli. On a quelques best-sellers, le récit La Nuit d’Elie Wiesel… Mais lui a trouvé portes closes ce qui l’a miné. Pour nous, on ne pouvait pas ne pas le publier.