Primé lors d’une cérémonie des Golden Globes en perte de crédibilité, le long métrage du cinéaste signe la fin d’une ère et échoue à trouver le public qu’il aurait mérité. On ne peut que se désoler que ce très grand film ne s’adresse finalement plus qu’aux cinéphiles.
«Je fuis cette histoire depuis que j’ai 17 ans.» Grosse émotion, des deux côtés du pupitre, dans le discours de Steven Spielberg au moment de recevoir lundi soir le Golden Globe du meilleur réalisateur de l’année, qu’il a d’emblée dédié à ses trois sœurs, à son père et à sa mère, Leah Adler, «exultante de fierté» en yiddish dans le texte (kvelling). Le moment était opportun pour cet autographe à ses proches, puisque The Fabelmans, qui aurait pu s’appeler «The Spielbergs», les raconte sans filtre et selon les souvenirs intimes du cinéaste, à l’époque où ils étaient une famille unie, dans les années 50 et 60. Film autobiographique et fantasmagorique d’un seul geste, récit d’apprentissage qui narre à travers le voile infime d’une fiction de polichinelle (Fabelman signifie littéralement «ceux de la fiction») la découverte du cinéma, du secret, de l’amour et du désamour, The Fabelmans, qui sort le 22 février dans les salles françaises, a irradié la critique depuis sa sortie qui y voit un film somme, entérinant le statut du cinéaste américain, ex-enfant terrible du box-office qu’on désignait il y a trois décennies comme le fossoyeur du cinéma artistique, en monstre sacré, descendant direct de John Ford et Stanley Kubrick.
Disons-le tout net, puisque nous l’avons vu, cet honneur fait au film, également lauréat du Golden Globe pour le meilleur film dramatique, est plus que mérité. The Fabelmans est un très grand film aux innombrables ramifications, un memoir (au sens littéraire) formidable sur la naissance d’un artiste, un essai saisissant sur le cinéma lui-même – et ce dès sa scène d’introduction, découverte traumatisante et émerveillée de concert par le tout jeune Sammy, de Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille. Mais c’est aussi un film sombre, coécrit comme Munich et West Side Story, avec le dramaturge Tony Kushner, dont les lézardes optimistes sont autant d’écarts ironiques de la réalité, facilement reconnaissables pour qui connaît un peu la vie de Spielberg, ses films et le jeune homme qu’il a été ; un film désenchanté, voire amer surtout dans sa manière d’évoquer cet art dont on s’attendrait à ce qu’il le célèbre sans ambiguïté, ce cinéma dont le jeune protagoniste découvre, après la catharsis de l’enfance, qu’il peut détruire, diviser, aliéner. «Tout le monde me perçoit comme une success story […] mais personne ne nous connaît vraiment avant que nous ayons le courage de nous révéler», s’est livré le cinéaste devant l’assistance, et c’est aussi la déficience de son cinéma, du cinéma en général qu’il semblait alors évoquer.
Spielberg sait bien qu’Hollywood est en train de changer en profondeur, qu’il y a de moins en moins sa place, qu’il ne s’adresse désormais plus au plus grand nombre, ce grand public qui n’a plus d’yeux que pour les films de franchise. Ces derniers n’ont plus rien à voir avec ses blockbusters d’un autre temps (le dernier en date, le fantastique Ready Player One, a été un semi-échec cuisant). C’était le moment ou jamais pour Spielberg de se consacrer enfin à cet autoportrait du cinéaste en jeune homme, et de dire avec ce récit de ses premiers pas au cinéma qu’il sera bientôt temps de lui dire au revoir. Pour lui, pour nous peut-être – The Fabelmans, comme son West Side Story avant lui, comme Babylon de Damien Chazelle, évocation autrement furieuse de l’enfance du cinéma, est un échec énorme au box-office américain, où il n’a rapporté depuis sa sortie en novembre que 13 millions de dollars pour un budget de 40. Cette consécration aux Golden Globes, cérémonie démonétisée après les scandales à répétition pour absence criante de diversité dans ses palmarès comme son équipe dirigeante, porte ainsi sa propre ironie tragique : une médaille en chocolat pour le film immense d’un des derniers géants du cinéma de sa génération, qui ne s’adresse plus qu’à une niche.
par Olivier Lamm
Est ce la traduction qui est mauvaise ou l’auteur qui ne sait pas s’exprimer ? Pénible lecture