On retrouve cette semaine l’auteur israélien Dror Mishani. Ancien journaliste, ex-éditeur, il enseigne la littérature, et en particulier l’histoire du roman policier, à l’université de Tel Aviv. Son nouveau livre, « Un simple enquêteur », met en scène, pour la quatrième fois, son personnage fétiche.
Le commissaire Avraham. Bientôt 44 ans, depuis quinze ans dans le même commissariat de Holon dans la banlieue sud de Tel Aviv. Là où est né son créateur. Et lui aussi grand amateur de romans policiers. Au début du livre, il lit Henning Mankell. Et il ressemble un peu au héros de l’auteur suédois, le fameux inspecteur Wallander. Avraham est un homme sensible, fragile même, un homme qui doute, rien à voir avec l’enquêteur hard boiled, dur à cuire, du roman noir américain. Un flic attentif aux hommes, sans cesse à l’affût de leur part d’innocence. Quels sont les chemins qui conduisent au crime ?, voilà la question qui l’intéresse. Et c’est lui qui donne la couleur tendre et mélancolique des romans de la série, leur consistance, leur épaisseur, leur rythme.
Au début de ce quatrième épisode, Avraham voudrait changer de fonction
Il est fatigué des affaires qu’il traite, ces crimes de tous les jours qui lui paraissent banals et sans importance. Il rêve d’intégrer un service tourné vers l’International, comme celui de la lutte contre le crime organisé ou la corruption. Peut-être même une agence de renseignement. C’est ce qu’il tente d’expliquer à sa femme, Marianka, en évoquant les affaires qu’il a résolues dans les romans précédents…
En attendant une éventuelle mutation, Avraham va devoir conduire une double enquête
La première concerne la disparition d’un touriste au passeport suisse, dans un hôtel sur le front de mer. Deux hommes se disant membres de sa famille sont venus récupérer ses bagages et payer la note. Mais son cadavre est bientôt retrouvé en mer et sa fille, qui habite Paris, prétend qu’il travaillait pour le Mossad, un des services de renseignement israélien. Avraham aurait-il trouvé l’enquête dont il rêvait ? En tous cas, le voilà qui néglige, dans un premier temps, la seconde affaire. Un nouveau-né abandonné dans un sac à proximité d’un hôpital. Une femme est vite soupçonnée, dénoncée par des voisins et repérée par les caméras de surveillance.
Une femme qui s’est préparée à la confrontation avec la police et se réfère constamment à la Bible. Et une affaire qui rappelle les thèmes de prédilection de Dror Mishani, la famille comme scène de crime, les violences intra-familiales. On se souvient en particulier de cette réplique du commissaire dans le deuxième volume de la série : « Je ne pense pas que l’on puisse sauver les enfants de leurs parents ». Les deux enquêtes vont se croiser, à Paris, où Avraham va devoir se rendre… Et le conduire à une décision très personnelle…
Avraham va se rendre compte que les affaires soi-disant banales sont les plus importantes pour lui. C’est à leur hauteur que l’on voit les visages des êtres humains. En demeurant un « simple enquêteur », il est au cœur de ce qui l’anime.
Ce quatrième volume de la série a ainsi toutes les qualités des précédents. Une formidable humanité, une rare finesse psychologique. Et un sens aigu du jeu avec le lecteur. Mishani s’arrange pour que celui-ci en sache plus, en permanence, que son enquêteur. Pour qu’il pense pouvoir le précéder dans la découverte de la solution des intrigues. Peine perdue évidemment. Et heureusement. C’est tout le paradoxe du polar. On s’acharne à deviner la fin. Mais quelle déception ce serait si on y parvenait !
Le roman policier est un art de la manipulation du lecteur. Et Dror Mishani, un orfèvre en la matière.
Un simple enquêteur, de Dror Mishani, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, est paru chez Gallimard, dans la collection Série noire