A 63 ans, François Olivennes, gynécologue-obstétricien, spécialiste de la procréation médicalement assistée, revient sur la genèse de sa passion pour les bébés.
François Olivennes est issu d’une famille de rescapés de la Shoah. Fils de parents psychiatres, frère aîné des hommes de médias Denis et Frédéric Olivennes, il s’est pris de passion pour la gynécologie et est devenu un spécialiste réputé de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples stériles. Engagé pour son élargissement aux couples de femmes, pas hostile à la gestation pour autrui (GPA), il revendique son métier comme une forme de déclaration d’amour à la vie.
Je ne serais pas arrivé là si…
Si mon père ne m’avait pas fait une guerre totale pour que je fasse des études. J’ai quitté la maison à 17 ans car je voulais entrer dans la vie active. Un de mes oncles avait un magasin de bateaux à Arcueil (Val-de-Marne). Je suis allé le rejoindre pour travailler avec lui, on vendait des planches à voile et des dériveurs qu’on allait essayer à Trouville (Calvados). Ça me plaisait beaucoup.
Comme je logeais dans un petit appartement qui appartenait à mon père dans le 13e arrondissement de Paris, il m’a envoyé les huissiers pour me menacer de me mettre à la rue si je ne reprenais pas le chemin de l’université. Ça a été redoutablement efficace : je suis rentré dans le rang. S’il ne m’avait pas fichu cette pression, je vendrais encore des bateaux.
D’où venait votre aversion pour l’école ?
Je crois que j’étais surtout très fainéant. J’avais déjà été « sauvé » une première fois en terminale. Je m’étais enfermé chez moi avec la ferme intention de ne plus retourner au lycée où je m’ennuyais terriblement. J’avais été renvoyé de Louis-le-Grand et, comme j’étais plutôt manuel, je me suis retrouvé en filière technique où je faisais du tournage, du fraisage, du dessin industriel. Comme j’avais disparu, le surveillant général est venu à mon domicile pour me sermonner. Je suis retourné au lycée et j’ai fini par avoir mon bac un peu piteusement.
Après les dériveurs, je me suis souvenu d’une phrase de ma grand-mère : « Quand on ne sait pas quoi faire, on fait médecine. » Alors je me suis inscrit en médecine. Mais là encore, ça a été laborieux. J’ai raté la première année, et en deuxième année j’ai failli abandonner à nouveau. Ça a été douloureux jusqu’à ce que je fasse un stage avec un patron que j’ai adoré, ce qui m’a entraîné définitivement vers la médecine.
C’est la rencontre avec la gynécologie…
Après six années de médecine, j’ai fait un stage avec le professeur Emile Papiernik à l’hôpital Béclère et j’ai eu le coup de foudre pour la gynécologie. Ce qui me plaisait, c’est que les patients n’étaient pas malades. Les naissances, c’est joyeux.
C’est là que j’ai rencontré René Frydman, à l’origine du premier bébé issu d’une fécondation in vitro (FIV), Amandine, née en 1982. Quand je suis arrivé dans ce service, en 1985, il y avait une ébullition incroyable. J’étais très admiratif du parcours de Frydman. Il voulait développer deux axes : la fécondation in vitro et la médecine anténatale, c’est-à-dire le suivi des malformations utérines. Même si en gynécologie il y a parfois des moments durs, ça reste une discipline où il y a plus de bonheurs que de peines. Je n’étais pas paré pour affronter le malheur des gens.
Cette phobie de la mort est-elle liée à l’histoire familiale de vos parents ?
Sans aucun doute. Plus de 80 % de ma famille paternelle et maternelle ont été exterminés. Mes parents sont des survivants.
Du côté de mon père, mes grands-parents étaient juifs polonais et allemands, fourreurs à Berlin. Quand les Allemands ont commencé à persécuter les juifs, ils sont partis à Paris puis avec la guerre se sont réfugiés en zone libre à Lyon. Mon père a été caché dans un sanatorium à Chamonix (Haute-Savoie).
De quelle façon ces rescapés de la Shoah ont-ils vécu après la guerre ?
Après le retour, ma mère comme mon père et son frère ont fait des études de médecine où ils se sont rencontrés et se sont spécialisés en psychiatrie. Il y a sûrement un rapport avec la Shoah. On dit souvent en riant : « Les juifs sont soit médecins soit avocats », en tout cas il y a une envie, un besoin d’aider, de sauver les gens derrière ces parcours.
Pourquoi ont-ils choisi la psychiatrie ? Je ne le sais pas. En médecine, il y a une blague qui dit : « Les psychiatres, ce sont des médecins qui ont peur du sang. » C’est peut-être ça finalement : ils se sont orientés vers la psychiatrie pour les mêmes raisons que j’ai choisi la gynécologie. Dans cette famille où il y a eu tant de morts, nous avons choisi la vie.
Votre père a francisé son nom de famille, savez-vous pourquoi ?
Mes grands-parents avaient déjà francisé leur nom dans les années 1960 pour Olivenstin, puis mon père a officiellement changé Olivenstein en Olivennes, alors que mon oncle, Claude Olivenstein, devenu le grand psychiatre de la toxicomanie, l’a gardé. Nous portions donc trois noms différents dans la famille entre mes grands-parents, nous et mon oncle.
J’ai découvert très tard que moi et mon frère Denis sommes nés Olivenstein. Mon père a fait la démarche pour nous troisquand nous étions enfants. Un jour, nous lui avons demandé pourquoi il avait fait ça. Il nous a répondu qu’Olivenstein était compliqué à écrire, que personne n’arrivait à l’orthographier correctement et qu’il avait voulu nous épargner des tracasseries administratives en nous donnant un patronyme plus « commode ». Denis n’y croit pas, il pense qu’il y avait derrière ça une volonté de s’intégrer mieux à la nation française.
Votre père était quelqu’un de très particulier…
Il était malade, paranoïaque, avec des accès de délire. Quand nous étions enfants, ça nous faisait peur. Il s’attaquait à des gens sans que l’on comprenne pourquoi. Si un serveur lui avait déplu, il nous demandait de l’attendre dans la voiture, il le rossait et revenait couvert de sang. Il pouvait être très violent. Il a eu de nombreux problèmes à l’hôpital, il a fini par être mis à pied et a passé beaucoup de temps en arrêt maladie. Je pense que ma mère l’a quitté à cause de ça. On le voyait certains week-ends et en vacances.
Il s’occupait très bien de nous, il était « papa poule », adorable, très drôle, extrêmement cultivé. Il écrivait de la poésie, c’était un homme fantasque, excentrique, hors norme et qui se fichait de ce que les gens pensaient de lui. Si mes enfants voulaient une chèvre, il en achetait une, s’ils voulaient jouer à Tarzan, il faisait construire un pont avec des lianes.
Qui vous a élevé ?
Nous étions très proches de nos grands-parents car ma mère travaillait énormément et mon père est parti vivre en province après leur divorce quand j’avais 9 ans.
C’était une enfance assez étrange, car, en fait, nous vivions seuls. Ma mère partageait un appartement avec son compagnon et nous trois étions, avec notre petit frère Frédéric, dans celui d’en face qui abritait également son cabinet de psychanalyste. Une dame nous faisait à manger, ma mère ne dînait jamais avec nous. Elle pensait que pour que ses enfants s’épanouissent, il fallait les laisser grandir sans contraintes. Quand il y avait des problèmes, elle était là, mais c’était une mère à distance.
Votre oncle Claude Olivenstein a également été important pour vous…
Il dirigeait alors l’hôpital Marmottan. Il avait une certaine notoriété, ce qui ne l’empêchait pas d’être très présent pour nous. Même si je m’entendais bien avec mon père, ce n’était pas quelqu’un à qui on pouvait confier ses problèmes personnels, il était trop délirant. Il faisait des réponses sans queue ni tête, il ne pouvait pas me donner de conseils.
Quand j’avais un chagrin, c’était mon oncle que j’allais voir. Comme il travaillait avec des jeunes drogués, il s’intéressait aux ados, à la musique, au rock, et était donc très proche de nous et de nos centres d’intérêt. Il était à la fois sage et dans son temps.
Avec une mère qui s’appelle Landau, pouviez-vous devenir autre chose qu’obstétricien ?
On me l’avait jamais faite celle-là ! Ce que je sais, c’est que j’avais envie d’avoir des enfants dès l’âge de 18 ans. J’ai eu une petite amie qui est tombée enceinte et, comme elle était beaucoup plus intelligente que moi, elle m’a dit : « On ne le garde pas. » C’était elle qui avait raison bien sûr, mais sur le moment je n’ai tellement pas supporté cette idée que je l’ai quittée.
J’ai toujours raffolé des bébés. Ce qui me rend si empathique avec les couples infertiles, c’est que j’aurais été très très malheureux de ne pas avoir d’enfants. J’ai adoré m’occuper des miens. Mon ex-femme (l’actrice Kristin Scott Thomas) a dit un jour dans une interview : « Mon mari est une mère incroyable. » J’aurais pu être mère au foyer, j’ai un truc particulier avec les enfants que je ne sais pas bien définir, mais qui est très fort.
Après des années au côté du professeur René Frydman, vous décidez de prendre votre indépendance…
Je suis parti à Cochin pour diriger mon propre service. Ça a été très douloureux de quitter celui qui a été à l’origine de ma vocation. René Frydman a été une grande source d’inspiration. Je faisais des cauchemars rien qu’à l’idée de lui annoncer mon départ. Il l’a très mal pris. Pendant deux ans, nous ne nous sommes plus vus : j’étais triste de lui avoir fait de la peine. J’avais envie d’être mon propre chef, mais cette décision a été difficile à assumer.
Ce départ m’a énormément coûté psychologiquement. A la même époque, je me suis séparé de ma femme. Face à ce grand chambardement, je me suis dit qu’il était temps de faire le point sur qui j’étais et j’ai décidé de faire une analyse. Je suis allé consulter trois fois par semaine pendant sept ans, pour me remettre de tout ça.
Vous avez ensuite décidé en 2007 de quitter l’hôpital public…
J’ai très vite perçu la dégradation de l’hôpital. Un médecin est là pour soigner des gens, pas pour faire de l’administratif. J’avais l’impression que mon temps véritablement consacré à la médecine était de 20 %. En 2002 déjà, j’avais écrit une tribune dans Le Monde titrée « Les personnels vont craquer ». Je suis un des premiers à être allé m’installer dans le privé. C’était très mal vu alors, mais j’ai redécouvert dans mon cabinet l’immense plaisir de passer mes journées à ne m’occuper que des patients.
Quelles limites vous fixez-vous pour aider les couples stériles qui se présentent souvent à vous dans une grande détresse ?
L’enfant n’est pas un droit absolu et nous avons une loi en France qui fixe des règles. Nous sommes parfois confrontés à des projets délirants, comme cet homme de 84 ans qui est venu me voir avec un projet d’enfant. Je pense cependant que certains sont tentés d’établir des critères qui me semblent dangereux, tels que les conditions de ressources.
Je suis un homme tolérant, je reçois des femmes homosexuelles et je les aide. Je suis pour l’élargissement de l’accès à la PMA aux femmes seules. Je suis également en faveur d’une GPA solidaire. Je crois qu’une femme peut avoir envie de porter un enfant pour une autre femme et je crois sincèrement que ça peut bien se passer.
Comment vivez-vous les échecs ?
Aujourd’hui, j’ai davantage d’échecs que de succès pour une raison simple : en quinze ans, l’âge moyen des femmes qui se présentent à moi a augmenté de cinq ans. Avec mon expérience, j’attire les cas difficiles. C’est toujours compliqué d’annoncer à quelqu’un qu’il n’y a aucune chance ou qu’il faut arrêter d’essayer. Il m’arrive encore d’avoir les larmes aux yeux quand je suis face à des gens effondrés car on finit par partager leur désir d’enfant.
Il reste heureusement des satisfactions immenses : recevoir un test de grossesse positif, c’est un grand bonheur, il y a quelque chose de jouissif à réussir. Chaque faire-part ou photo envoyée me fait bondir de joie.
Les patients vous voient souvent comme un sauveur. Comment maintenez-vous vos distances ?
La semaine dernière encore une dame m’a dit : « Mon premier enfant, je l’ai eu avec vous. » Il y a des confusions, des transferts, forcément, car les couples infertiles sont d’une sensibilité extrême et je représente souvent pour eux le médecin de la dernière chance. Je m’applique à être vigilant, j’essaie d’impliquer le mari le plus possible. Quand le bébé est né et qu’on me demande une photo, je ne le prends pas dans mes bras, c’est une manière de signifier que ce n’est pas le mien.
Savez-vous combien de bébés vous avez contribué à mettre au monde ?
J’ai contribué à la naissance de 6 000 à 8 000 bébés, selon mes estimations. Mais je ne pense pas continuer très longtemps car le métier a changé. Le fait que les causes de la stérilité des couples tiennent surtout à l’âge de la femme nous contraint à faire de la psychologie ou à les orienter vers des pays qui ont d’autres techniques plus adaptées.
Nous devenons de plus en plus agents de voyages et psychologues. J’ai envie de travailler moins, mais toujours en relation avec les bébés !