Le régime iranien n’a pas apprécié les caricatures de l’ayatollah Khamenei publiées dans « Charlie Hebdo » et a décidé de prendre des mesures contre la France.
On se doutait déjà que les mollahs n’avaient pas d’humour, cela se confirme tous les jours… L’Iran a annoncé jeudi la fermeture d’un institut français de recherche basé à Téhéran et convoqué l’ambassadeur de France. Il s’agit là d’une première mesure de rétorsion pour punir le « gouvernement français » d’avoir laissé Charlie Hebdo organiser un concours de caricatures de l’ayatollah Khamenei, « un acte haineux, insultant et injustifié », a rapporté le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien.
Pour ce dignitaire, la France aurait « insulté ce qui est sacré pour les pays musulmans sous prétexte de liberté d’expression ». Il semble bien que les mollahs n’aient pas ri en feuilletant le dernier numéro de l’hebdomadaire satirique dans lequel figurent une trentaine de caricatures venues du monde entier, des dessins tournant en dérision le carcan moral insupportable et les violences infligées par le régime iranien à son propre peuple, notamment aux femmes.
Une réponse politique discrète mais ferme a été apportée par la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna. « Nous n’avons pas dans le droit français la notion de blasphème », a expliqué la ministre, qui en a profité pour rappeler qu’un régime qui prend des étrangers en otage et violente sa population n’est pas le mieux placé pour donner des leçons de savoir-vivre. Il est au passage fascinant de constater combien les régimes qui utilisent le délit de blasphème comme outil de contrôle social cherchent à en exporter le concept dans le monde entier… Cette crise intervient huit ans jour pour jour après que la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée par des islamistes qui, eux non plus, n’avaient pas le sens de l’humour. Riss, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo explique pourquoi il ne renoncera jamais.
Le Point : Pourquoi avoir organisé un concours de caricatures de l’ayatollah Khamenei ?
Riss : On s’est demandé ce qu’on pouvait faire en écho à ce qui se passe en Iran. On voulait organiser quelque chose pour aider ceux qui se battent contre une problématique qui nous touche évidemment aussi. Lorsqu’on voit des gens qui se révoltent contre un régime politique théocratique qui les oppresse au nom de la religion, on ne peut pas rester indifférent. À Charlie Hebdo, on montre qu’on est solidaires de ce mouvement, avec un moyen d’expression qui nous est propre, le dessin. Nous avons sollicité des dessinateurs dans le monde entier pour évoquer ce qui se passe en Iran à travers la personne du guide suprême. Nous avons reçu plus de 300 dessins.
Le régime des mollahs, mis en difficulté par la rue, a pris des mesures de rétorsion contre la France à la suite de votre numéro spécial. N’est-ce pas là un moyen de faire diversion ?
Ce régime ne pouvait pas réagir autrement. C’est une stratégie classique, ils essaient de verrouiller tout ce qui de près ou de loin peut les critiquer… Mais je ne suis pas sûr que cela fasse diversion. Au contraire, je crois que cela donne encore plus d’ampleur à tout ce qui se passe là-bas.
Vous êtes l’auteur du dessin de une qui a semble-t-il particulièrement déplu au régime. On y voit des religieux faire la queue pour rentrer dans le sexe d’une femme dévoilée avec la légende « Mollahs, retournez d’où vous venez ». Pourquoi ce dessin ?
Un des enjeux en Iran, comme partout ailleurs dans le monde, c’est la place des femmes dans la société. On le sait, mais il faut sans cesse le rappeler : il n’y a pas de société libre sans femme libre. Et la situation en Iran est spectaculaire de ce point de vue-là. Le dessin de couverture ne pouvait tourner qu’autour de la femme, qui prend toute la place, alors que les mollahs sont réduits à de petites créatures rampantes.
Les menaces ne vous atteignent pas ?
Du tout. C’est même l’inverse. On se demande comment on peut prolonger ce combat qui n’est jamais terminé. Si l’on tenait compte des irritations, on ne ferait rien. Les démocraties ne doivent jamais tenir compte des intimidations.
Vous vous sentez suffisamment soutenu par les politiques ?
On a entendu une prise de parole de Catherine Colonna, mais on n’a pas entendu grand-chose de la part du reste de la classe politique… Ce qui est évident pour nous ne l’est pas pour tout le monde. On a constaté avec étonnement l’inconfort de certains mouvements féministes dès le début des événements en Iran. Même des cercles politiques, dont on pouvait attendre des réactions claires et franches, se sont fait des nœuds au cerveau pour ne pas avoir à désavouer leurs positions sur le voile ou la religion… Contrairement à ce que l’on croit, ce genre d’ambiguïté ne s’éclaircit jamais dans les moments de crise. Il n’est pas confortable de défendre Charlie Hebdo quand on est un politique… Tant qu’il s’agit de défendre des grands principes, tout va bien. Mais lorsqu’il s’agit de cas concrets, c’est tout de suite plus compliqué, surtout chez ceux qui ne sont pas en responsabilité.
Demain, samedi 7 janvier, cela fera très exactement huit ans que des islamistes ont assassiné 12 membres de la rédaction de “Charlie Hebdo”. Vous n’êtes jamais tenté de renoncer ?
Nous ne voyons aucune raison de renoncer, bien au contraire. Huit ans après les attentats qui nous ont touchés, nous sommes fidèles à nos valeurs et toujours combatifs. Depuis que Charlie existe et depuis que le régime des mollahs existe, on a toujours fait des dessins pour dénoncer ce régime. Ceux qui entrent dans l’âge adulte aujourd’hui étaient trop jeunes pour comprendre ce qui s’est passé en 2015. Ça n’était pas un fait divers, mais un événement historique. Nous devons transmettre cette histoire aux générations qui grandissent et leur faire comprendre le sens profond de cet événement…
Le recteur de la Mosquée de Paris a eu l’intention de porter plainte contre Michel Houellebecq pour incitation à la haine contre les musulmans, avant de renoncer à la suite d’une médiation. Que vous inspire cette histoire ?
Lorsqu’on avait republié les caricatures en 2020, le recteur de la Mosquée de Paris avait dit qu’il ne fallait plus s’arc-bouter là-dessus. Il semblait plus ouvert qu’il ne l’avait été lorsqu’il était l’avocat de la Mosquée de Paris, qui avait porté plainte lors de la première publication des caricatures. Et tant mieux. Là, ce n’est pas une question de caricature ou d’offense, mais d’incitation à la haine raciale. Pour moi, les propos de Houellebecq me semblaient discutables, car il faisait des amalgames et des généralisations inacceptables. Il semble avoir voulu préciser et nuancer sa pensée depuis, mais je ne sais pas si cela suffira à apaiser les esprits.