L’enseigne avait suscité la polémique en retirant de ses rayons, en novembre, un jeu de société antifasciste avant de revenir sur sa décision. «Libération» est allé faire un tour entre les rayons et déniché une foule de titres antisémites, négationnistes ou complotistes.
«Nous comprenons que la commercialisation de ce “jeu” ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures.» Fin novembre, la Fnac annonçait le retrait de ses magasins du jeu de société antifasciste intitulé sobrement «Antifa, le jeu». Une décision prise sous la pression de l’extrême droite et sur laquelle, face aux indignations, l’enseigne finissait par revenir à peine deux jours plus tard. De nombreux internautes soulignaient alors que le catalogue de la marque proposait une foule de titres antisémites ou complotistes. Avant Noël, Libération est allé faire un tour dans les rayons des Fnac parisiennes.
Célèbres ou plus obscurs, des dizaines de livres d’auteurs d’extrême droite, pamphlets et brûlots, trônent sur les étagères des magasins de l’enseigne fondée par d’anciens trotskistes et résistants. Au rayon sciences humaines, au milieu des essais de sociologie, on peut, par exemple, tomber sur un livre de Claire Séverac, la Guerre secrète contre les peuples. Il s’agit du dernier ouvrage de cette auteure complotiste au dernier degré, édité par Kontre Kulture, la maison d’édition du multirécidiviste de la haine des juifs, Alain Soral. En le reposant, un autre livre gène. Il est rangé derrière, presque caché : Comprendre l’Empire, le best-seller antisémite du même Soral.
Erreur de rayonnage ? A voir. sur les étagères de la «sélection Fnac» du rayon géopolitique, un gros livre sous blister : Ukraine, la guerre hybride de l’Otan. L’auteur, Lucien Cerise, est bien connu des milieux d’extrême droite et complotistes. Encore un soralien. Dans cet ouvrage, il repeint l’invasion de l’Ukraine par la Russie en action défensive légitime, Poutine ayant selon lui été poussé à cette extrémité par le grand complot anglo-américain menaçant la terre des tsars. Du négationnisme mais qui, visiblement, mérite d’être mis en avant et conseillé aux lecteurs.
Classiques de l’ésotérisme antisémite teinté de pseudo-science sur les ovnis
Dans cette même «sélection Fnac», sur l’étagère du dessous, un livre à la couverture noire est retourné. Comme si un client s’était laissé aller à un mouvement d’humeur. Il s’agit d’un bouquin préfacé par l’eurodéputé Rassemblement national Thierry Mariani : Ukraine, pourquoi la France s’est trompée, de Xavier Moreau. Encore un ouvrage conspirationniste qui voit la main des Américains derrière la guerre en Ukraine. Moreau, «patriote» installé à Moscou, a servi de caution aux parodies de référendums destinés à valider l’annexion des territoires occupés par le Kremlin, comme l’a révélé Libération fin septembre. Au début du conflit, il officiait sur YouTube, où il annonçait toutes les semaines la victoire prochaine de la Russie. Il a depuis été chassé de la plateforme, mais reste donc bienvenu à la Fnac.
Quelques mètres plus loin, des livres de Youssef Hindi, un autre proche d’Alain Soral et conférencier d’Egalité & Réconciliation. Sur le présentoir qui fait face à cette étagère, un grand format intitulé Des origines du mondialisme à la grande réinitialisation de Pierre Hillard. Un autre complotiste aux relents antisémites qui promeut ici la thèse conspirationniste du «great reset» et défend celle d’une «guerre entre l’Eglise et la Synagogue». Hillard avait défrayé la chronique fin septembre à Orléans, où il devait venir présenter cet ouvrage à la médiathèque municipale à l’invitation de l’association d’extrême droite France Souveraineté. Le maire LR d’Orléans, Serge Grouard, avait décidé d’annuler la réservation de la salle, dénonçant «l’antisémitisme» de l’invité.
Le rayon consacré à l’ésotérisme fait, lui aussi, la part belle aux ouvrages écrits ou édités par l’extrême droite radicale et les complotistes. Ainsi la collection des «Livres jaunes», des classiques de l’ésotérisme antisémite teinté de pseudo-science sur les ovnis. Un peu plus loin, un pavé de 600 pages de littérature QAnonF niant la défaite de Trump aux élections et la pandémie de Covid. Plus haut, six livres de Jean Parvulesco, «un mystique ésotériste eurasiste d’extrême droite radicale» décrit à Libération l’historien spécialiste de l’extrême droite, Nicolas Lebourg. Plus bas, bon nombre d’ouvrages du complotiste britannique David Icke, récemment interdit de séjour dans l’espace Schengen pour sa radicalité. L’homme est persuadé de l’existence des reptiliens, ces lézards humanoïdes censés diriger le monde en secret. Au ras du sol, une couverture frappée d’une svastika attire l’œil. C’est Thulé, le soleil retrouvé des hyperboréens de l’écrivain d’extrême droite et apologiste de la Waffen SS Jean Mabire. Un bouquin faisant notamment «l’éloge de la race pure», détaille Stéphane François, historien spécialiste notamment de l’occultisme nazi.
Benito Mussolini, Oswald Mosley, Julius Evola, Jacques Doriot…
Autre rayon, autre style. Dans la section consacrée aux médecines alternatives figurent en bonne place complotistes covidosceptiques ou historiques de la pseudo-science. Ici on assure soigner le cancer par du thé vert avec les traitements Beljanski. Là, on peut lire les théories antivax du professeur Henri Joyeux, visé par une procédure de radiation de l’Ordre des médecins. Plus loin, c’est un livre controversé du professeur Christian Perronne sur la maladie de Lyme qui serait, selon lui, «politique» car due à une prolifération mal contrôlée de tiques trafiquées par un chercheur nazi réfugié aux Etats-Unis, écrivait le JDD. «L’armée américaine et les scientifiques sous sa coupe ont tout intérêt à cacher l’épidémie puisqu’ils l’ont causée ou cautionnée», assure notamment Perronne, également connu pour ses prises de position en faveur de Didier Raoult et de son traitement contre le Covid à base d’hydroxychloroquine.
Et le catalogue sur le site internet de la Fnac est encore plus surprenant… Sur la «marketplace» de l’enseigne, où des revendeurs peuvent proposer leurs propres articles, on trouve – en deux clics et pour quelques dizaines d’euros – la version brut de Mein Kampf d’Hitler ou une hagiographie du collaborationniste belge Léon Degrelle par le Français Robert Brasillach. Il faudra dépenser une soixantaine d’euros pour se procurer un des ouvrages de référence du nazisme, le Mythe du XXe siècle du racialiste Alfred Rosenberg, condamné à mort à Nuremberg. Même somme pour le pamphlet antisémite de Drumont, la France juive. Plus moderne, mais un peu cher (95,38 euros) le manifeste du terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik, 2083 une déclaration européenne d’indépendance, qu’il a diffusé juste avant d’assassiner 77 personnes à Oslo et Utoya en juillet 2011. Il est vendu par les éditions Tatamis, du complotiste d’extrême droite français Jean Robin.
La prose du repris de justice antisémite Hervé Ryssen est proposée pour une vingtaine d’euros, tout comme celle de Renaud Camus, qui récupère dans le Grand remplacement le vieux fantasme raciste et d’inspiration complotiste de la théorie du même nom. Sans oublier les bouquins des fascistes Benito Mussolini et Oswald Mosley, ceux du penseur nationaliste-révolutionnaire Julius Evola, du collabo Jacques Doriot… Jusqu’aux Protocoles des Sages de Sion, célèbre faux antisémite écrit par la police politique tsariste au début du XXe siècle. Un livre un temps interdit en France, à partir de 1990, pour son «caractère antisémite» avant que le décret ne tombe.
Mis en avant sur des présentoirs «sélection Fnac»
Contactée par téléphone, la Fnac a accusé réception de nos questions mais a préféré y donner suite par mail. Réponse lapidaire, que voici intégralement : «Un distributeur de livres en France comme la Fnac n’a pas de rôle de censure et distribue l’ensemble des ouvrages autorisés par la loi. De manière générale, il ne faut pas confondre la notion de vente et celle de prescription.» Certes, la vente du manifeste du terroriste Anders Breivik, par exemple, n’est pas interdite. Par contre, certains des ouvrages listés ci-avant étaient bien «prescrits» puisque, en magasin, mis en avant sur des présentoirs «sélection Fnac». La Fnac n’en dit pas plus. Ni d’ailleurs sur les processus de sélection des ouvrages proposés en rayon, ni – non plus – sur les éventuels outils de contrôle de vente en ligne entre particuliers. Car les conditions générales de celle-ci mentionnent explicitement que «le vendeur s’interdit notamment de proposer sur le site […] les biens incitant à la haine raciale ou objets de discrimination basée sur la race, le sexe, la religion, nationalité». Et il est bien précisé qu’elles s’appliquent – aussi – aux revendeurs.
par Pierre Plottu et Maxime Macé
pas triste non plus est la rapidité avec laquelle, dans l’espace consacré aux commentaires sur le site http://www.Youtube apparaît le bandeau « Réponse sélectionnée » en regard de commentaires antisémites orduriers. Dans un cas au moins je n’ai pu faire moins que signaler le fait à la soi-disant DILCRAH puisqu’il y était question de… gazer les métèques, sic, et de zyklon B, resic. Mais c’était compter sans la nommée Elizéon, si enchantée de se dandiner aux frais du contribuable à la tête de cette officine que l’on n’y accuse même pas réception des courriels reçus, on vit vraiment une époque formidable…