Avocat franco-palestinien soupçonné de terrorisme par Israël, Salah Hamouri a été expulsé par l’État hébreu. Ce que la députée insoumise Ersilia Soudais a qualifié de « déportation » sur Twitter. Un nouveau propos polémique dans les rangs LFI alors que le parti est régulièrement taxé d’antisémitisme.
« Déportation orchestrée par Israël. » Les mots sont twittés par une députée LFI, Ersilia Soudais, élue dans la septième circonscription de Seine-et-Marne. Il concerne le cas très particulier de l’avocat franco-palestinien, Salah Hamouri, expulsé d’Israël où il a toujours vécu, après dix mois de détention administrative – procédure ne nécessitant pas d’accusation formelle –, et accueilli dimanche 18 décembre à l’aéroport de Roissy par plusieurs élus insoumis, dont Éric Coquerel, Mathilde Panot et Carlos Martens Bilongo.
Nous sommes venu.e.s accueillir Salah Hamouri à l’aéroport, après sa déportation orchestrée par Israël.
Beaucoup d’émotions, mais la présence de tous les camarades réchauffait le cœur.
Pour #JusticeForSalah, pour #FreePalestine et pour l’honneur de la France, #OnLâcheRien ✊ pic.twitter.com/hGirBxJM5j— Ersilia Soudais🐢✌ (@ErsiliaSoudais) December 18, 2022
Ce natif de Jérusalem-Est, plusieurs fois détenu par l’État hébreu, est une personnalité controversée du conflit israélo-palestinien. Cet avocat, âgé de 37 ans, fils d’une Française originaire de Bourg-en-Bresse (Ain) et d’un restaurateur palestinien au statut de résident à Jérusalem, ne dispose pas de la nationalité israélienne mais seulement d’un permis de résidence sur le territoire (il ne peut, par exemple, voter qu’aux élections locales). Permis qui lui a été retiré par les autorités israéliennes en 2021 pour « défaut d’allégeance à l’État d’Israël ». Une première depuis la mise en place en 2018 de la loi permettant ce motif de révocation.
« VOUS ÊTES UNE INSULTE À LA MÉMOIRE DE LA SHOAH »
Son expulsion a été condamnée par le Quai d’Orsay qui rappelle dans un communiqué que « depuis la dernière arrestation [de Salah Hamouri en mars 2022, N.D.L.R.], la France s’est pleinement mobilisée, y compris au plus haut niveau de l’État, pour faire en sorte que les droits de Salah Hamouri soient respectés, qu’il bénéficie de toutes les voies de recours et qu’il puisse mener une vie normale à Jérusalem, où il est né, réside et souhaite vivre ». Une procédure jugée « contraire au droit » par les autorités hexagonales, qui rappelle que Jérusalem-Est est un « territoire occupé au sens de la quatrième convention de Genève ».
Si la France s’indigne de la procédure, le message d’Ersilia Soudais ne passe pas non plus inaperçu. L’un des porte-parole du groupe Renaissance à l’Assemblée, Charles Sitzenstuhl, a fustigé sur Twitter l’ « obsession maladive, à LFI, du choix de mots ignominieux lorsqu’il s’agit d’Israël » : « Je vous invite à venir visiter l’ancien camp du Struthof, en Alsace, à 40 km de chez moi. Vous verrez ce que c’est, la « déportation ». Vous êtes une insulte à la mémoire de la Shoah. » « J’aurais prié pour que les 6 millions de Juifs fussent « déportés » à la manière de votre « héros » (sic), a pour sa part commenté le journaliste Yves Azeroual. Or, au moment de leur déportation vers les camps de la mort il n’y eut ni comité d’accueil ni liesse populaire mais un assourdissant silence. »
Votre obsession maladive, à LFI, du choix de mots ignominieux lorsqu’il s’agit d’Israël.
Je vous invite à venir visiter l’ancien camp du Struthof, en Alsace, à 40 km de chez moi. Vous verrez ce que c’est, la « déportation ».
Vous êtes une insulte à la mémoire de la Shoah.
— Charles Sitzenstuhl (@CSitzenstuhl) December 18, 2022
TERRORISTE CONTRE RÉSISTANT
Pour mieux comprendre les contours de l’« affaire », retour en 2005, au moment de la première incarcération de Salah Hamouri. Celui-ci est alors accusé d’avoir participé à une tentative d’assassinat d’Ovadia Yossef, ancien grand rabbin d’Israël et fondateur du parti ultra-orthodoxe Shass. Il était également reproché à Hamouri de faire partie du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation reconnue terroriste par Israël, le Canada ou encore l’Union européenne. En 2008, après trois ans de détention préventive, il est condamné par un tribunal militaire à sept ans de prison dans le cadre d’une procédure de plaider coupable, lui permettant d’éviter les 14 ans de réclusion qu’il encourrait. Il sera cependant libéré en 2011 avec 550 autres prisonniers lors d’un échange conclu entre l’Égypte et Israël, ayant permis la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit.
Sur le fond du dossier, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, le jugeait « vide ». À sa sortie de prison en 2011, Hamouri accordait un entretien au Point où il fustigeait la timidité des « demandes de libération formulées par Paris » durant sa détention. Lorsqu’il était interrogé sur les faits ayant conduit à sa condamnation, le Franco-palestinien bottait en touche. Ainsi, sur la tentative d’assassinat d’Ovadia Yossef, il rétorquait : « Les Israéliens continuent de parler de délit d’intention. Ma seule réponse, c’est que, pendant ce temps, 11 000 Palestiniens, dont 350 enfants, ont été arrêtés. » Ses accointances avec le FPLP ? « Je suis tout d’abord membre du peuple palestinien. Ce peuple, vivant sous l’occupation, est donc nécessairement politisé. J’ai toujours été militant pour les libertés de mon peuple. Ce droit à la liberté est reconnu au niveau international. Tous les peuples, les Français, les Vietnamiens et autres y ont droit. Je ne pense pas qu’il eût été acceptable en France de condamner la résistance du peuple français à l’occupation durant la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, je trouve inacceptable de condamner notre lutte. »
Libre, Salah Hamouri était toujours considéré comme terroriste aux yeux des autorités et de l’opinion israéliennes. En 2017, il était une nouvelle fois incarcéré, pour une durée de 13 mois cette fois. Au Times ofIsrael, le Shin Beth, le service de sécurité intérieur israélien, indiquait que le Franco-palestinien était « retourné travailler au sein de l’organisation terroriste du FPLP malgré les avertissements qu’il a reçus des forces de sécurité ». Placé en détention administrative, le dossier est demeuré confidentiel et aucune preuve n’a, selon les avocats d’Hamouri, été apportée quant à ses liens avec le FPLP. Devenu avocat en 2017, Salah Hamouri travaille notamment auprès de l’ONG Addameer qui défend les prisonniers palestiniens. Cette dernière organisation a été classée parmi les mouvements terroristes en 2021 par l’État hébreu, catégorisation que l’ONU et plusieurs groupes israéliens de défense des droits de l’homme ont fermement rejetée, rapporte un autre article de The Times of Israel.
POSITION TROUBLE DE LFI VIS-À-VIS D’ISRAËL
Le profil de Salah Hamouri est donc complexe. D’autant que la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens s’est considérablement durcie depuis 15 ans, sous l’impulsion notamment des gouvernements successifs de droite nationaliste de Benyamin Netanyahou et Naftali Bennett. En témoigne, par exemple, la controversée Loi fondamentale de 2018 – qui s’ajoute à un ensemble de textes à valeur constitutionnelle –, votée de justesse par la Knesset, et qui définit très clairement l’hébreu comme langue officielle, au détriment de l’arabe qui partageait officieusement jusqu’alors cette qualité.
Est-ce assez pour parler de « déportation » dans le cas de Salah Hamouri, comme l’avance l’insoumise Ersilia Soudais, terme également employé par le président de la branche française d’Amnesty International dans Le Monde, alors que le mot touche, historiquement, aux camps de la mort où 6 millions de juifs furent gazés ? Dans une question adressée début août à Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, au sujet de la situation de l’avocat, Ersilia Soudais allait jusqu’à qualifier « d’apartheid » le régime israélien. Se réfugiant derrière un rapport de février 2022 d’Amnesty International – encore – qui titrait : « Israël : les Palestiniens sont victimes d’un apartheid ». Ce qui signifie donc renvoyer le régime israélien actuel au système de ségrégation mis en place en Afrique du Sud entre 1948 et 1991.
Pour rappel, l’apartheid visait à séparer physiquement, dans les lieux publics et les transports en commun, les gens dits « de couleurs » des blancs, ces derniers bénéficiant, en sus, de la nationalité sud-africaine et, par conséquent, des droits qui s’y rattachent. Quand les Palestiniens peuvent tout à fait demander la nationalité israélienne. Or, ce n’est pas la première fois que La France insoumise – voire la Nupes – est prise à faire ce genre de pont langagier. Le 13 juillet, une trentaine de députés de l’intergroupe déposait une proposition de « résolution condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ».
LES INSOUMIS SOUVENT ACCUSÉS D’ANTISÉMITISME
Ce genre de parallèle donne d’autant plus de grain à moudre aux détracteurs de LFI que le parti est régulièrement taxé d’antisémitisme. En juillet toujours, lors du discours de politique générale d’Élisabeth Borne, la présidente du groupe à l’Assemblée, Mathilde Panot, qualifiait la Première ministre de « rescapée ». D’aucuns y ont vu une allusion à l’ascendance juive de l’intéressée, dont le père, Joseph Borne, né Bornstein et ancien résistant juif d’origine polonaise, a connu l’horreur du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. La patronne des insoumis avait qualifié de « malhonnête » cette interprétation : « J’employais le mot dans le sens « sauvée de justesse par la Macronie ». Aucune référence à sa terrible histoire familiale », justifiait-elle.
Par Lou Fritel