La préfecture de police de Paris a ouvert en 1909 un étonnant musée où elle expose son histoire méconnue. « Le Point » l’a visité.
e pas s’arrêter à l’inscription sur la façade qui signale que nous sommes ici au commissariat des 5e et 6e arrondissements de la capitale. Le musée* de la Préfecture de police de Paris est bien là, au troisième étage de ce cube en béton peu avenant, situé à deux pas de la station de métro Maubert-Mutualité. Il faut passer le poste de sécurité et montrer patte blanche pour y accéder. Mais, une fois sur place, pas d’erreur… Un lumignon du XIXe siècle, accroché à l’entrée, met tout de suite dans l’ambiance.
Créé en 1909 par Louis Lépine, l’établissement (un temps hébergé au 36 du quai des Orfèvres avant d’investir ce bâtiment moderne en 1975) a pour vocation de présenter aux visiteurs une partie du fonds d’archives sur lequel veille le département patrimonial du service de la mémoire et des affaires culturelles (Smac) de la préfecture. « Notre objectif est de mieux faire connaître les différents métiers et les missions de la préfecture de police », explique Agnès Masson, conservatrice en chef du patrimoine qui chapeaute le Smac. « À cette fin, nous proposons aux visiteurs un parcours didactique qui raconte l’histoire de la police parisienne », complète Anaïs Eveno, responsable du musée.
Un service créé par le « roi Soleil »
Tout commence en 1667. C’est à cette date que Louis XIV décide la création d’une administration de « police ». Le terme est alors entendu dans son acception grecque (πολιτεία/ politeia désigne « l’art de gouverner la cité »). Placée sous l’autorité d’un lieutenant général, un haut fonctionnaire à mi-chemin entre le préfet et le ministre de l’Intérieur actuels, cette première police se voit confier des missions qui dépassent de très loin la simple lutte contre la délinquance et la gestion de la circulation. Son rôle est ainsi de « conjurer les risques » qui menacent la capitale.
Gabriel Nicolas, seigneur de La Reynie (1625-1709), occupe le premier cette fonction qui englobe, outre les questions de sécurité publique classique, un rôle dans la protection des « bonnes mœurs » et – nous sommes avant la séparation de l’Église et de l’État – le respect de la religion chrétienne. Mais aussi une responsabilité en matière de veille sanitaire et de prévention contre les risques d’incendie. À quoi s’ajoute une mission de contrôle et de réglementation des commerces.
Ces multiples rôles, comme la montée en puissance d’organisations criminelles de plus en plus sophistiquées, imposent vite de professionnaliser les 500 inspecteurs qui travaillent dans cette administration sous l’autorité de 48 « commissaires », propriétaires de leurs charges. La police moderne est née. Installée au Châtelet, la lieutenance générale quadrille tous les quartiers de la ville.
Un musée d’histoire…
Interlocuteur privilégié du monarque pour tout ce qui touche au maintien de l’ordre, son chef doit aussi rendre compte au roi de l’état de l’opinion. L’obsession de Louis XIV, qui a connu la Fronde quand il était enfant, est en effet de prévenir les émeutes. C’est pourquoi, la lieutenance générale de police se dote dès le XVIIe siècle de ce qui prendra, plus tard, le nom de Direction du renseignement. Un service qui compile les informations de terrains collectées via des « mouches », on dirait aujourd’hui des « indicateurs », par des agents qui surveillent les sujets suspectés de « menées séditieuses ».
Deux salles du musée de la Préfecture de police, remplies de documents (correspondances, édits royaux, gravures, lettres de cachet) mais aussi de costumes restituant les uniformes des officiers chargés du « guet », détaillent cette passionnante histoire. On y voit se développer une administration dont les compétences ne cessent de s’élargir. Y compris dans des domaines inattendus. C’est ainsi la police parisienne qui met en place dès 1670 le premier réseau d’éclairage public, constitué de milliers de lanternes, afin de réduire le nombre d’agressions nocturnes. Ce dispositif, perfectionné quelques années plus tard par un autre lieutenant général de police, Antoine de Sartine (1729-1801), vaudra à Paris son surnom de « Ville Lumière ».
… une collection de petites horreurs (aussi)
Mais, soyons clair, les visiteurs ne viennent pas seulement ici pour comprendre comment la police de l’Ancien Régime s’est structurée ni comment elle a évolué. C’est surtout pour découvrir de sombres affaires criminelles que le public afflue. Plusieurs dossiers sont, de fait, évoqués sur place. À commencer par « l’Affaire des poisons » qui conduisit la marquise de Brinvilliers sur l’échafaud. Le procès retentissant qui la vit jugée pour avoir mis en circulation des potions mortelles, y est raconté avec moult détails. Marie-Madeleine Dreux d’Aubray finit par être décapitée en place de Grève, aujourd’hui esplanade de la Libération, place de l’Hôtel-de-ville, le 16 juillet 1676.
Enquêtes criminelles
Des dizaines d’enquêtes conduites pour élucider des meurtres sont exposées ici à l’aide de documents divers : transcriptions d’interrogatoire mais aussi pièces à conviction. La muséographie pourra dérouter. Elle s’inspire de celle des cabinets de curiosités d’antan. « Nous sommes en train de la revoir, car l’idée est de proposer un double cheminement chronologique et thématique », précise Agnès Masson. Ce côté bric-à-brac, avouons-le, fait le charme du lieu.
Cet aspect brocante doit beaucoup à la manière dont s’est constituée la collection originelle du musée. « C’est Gustave Macé (1835-1904), ancien chef de la sûreté à la préfecture de police qui s’est mis à acquérir et conserver dans son bureau des objets qu’il ne voulait pas voir revendus au marché aux puces », explique Anaïs Eveno en désignant une riche collection de couteaux, où surnagent un marteau et un rouleau à pâtisserie ayant servi d’« armes par destination », comme l’écrit le Code pénal. Macé s’en explique d’ailleurs dans ses Mémoires parues sous le titre Mon musée criminel chez Charpentier éditeur en 1890.Ce fonds fut complété, quelques années plus tard, par le commissaire de police Charles Péchard (1856-1932) qui se passionnait pour les instruments à usage de vol : pieds de biche, grappins, passe-partout mais aussi d’amusantes sandales aux semelles recouvertes de tissu crépon afin d’assourdir le bruit de pas des cambrioleurs.
Célébrités
Plusieurs grands criminels voient leur portrait affiché. C’est le cas de Giuseppe Fieschi qui tenta de renverser la monarchie en fomentant un attentat fameux à l’aide d’une « machine infernale », le 18 juillet 1835. Une réplique de cette arme, assemblant une vingtaine de canons de fusils, avec lequel il visa le cortège de Louis Philippe cheminant sur le boulevard du Temple, est exposée au sein du musée.
Autre célébrité évoquée : « Casque d’or », immortalisée par le film de Jacques Becker avec Simone Signoret et Serge Reggiani. De son vrai nom Amélie Hélie (1878-1933), cette prostituée se fit un nom pour avoir frayé avec le gang des Apaches qui sévissait aux Halles au début du XXe siècle. Est aussi racontée la sombre épopée de la bande à Bonnot qui terrorisa Paris en 1911 et 1912. Ou l’étonnant parcours judiciaire de Raoul Villain qui assassina Jean Jaurès le 31 juillet 1914 et fut pourtant acquitté en 1919.
Évidemment, les deux tueurs en série les plus célèbres de l’histoire de France sont présents dans les collections. Les sinistres destins d’Henri-Désiré Landru (1869-1922) et de Marcel Petiot (1897-1946) occupent même une place de choix dans le parcours de visite. Tout comme l’histoire de Violette Nozière (1915-1966) condamnée à mort pour parricide avant d’être acquittée.
Le clou du spectacle reste cependant une vitrine où trônent deux moulages en cire au fond de la salle. Le premier est celui de la tête d’Henri Pranzini (1857-1887), guillotiné pour un triple meurtre. Le second, celui de la main de Jean-Baptiste Troppmann (1849-1870) qui assassina les huit membres d’une même famille dans ce que la presse de l’époque a appelé « le massacre de Pantin. »
Les meurtriers ne sont pas les seuls personnages à voir leurs noms rappelés. Plusieurs représentants des forces de l’ordre sont aussi mis à l’honneur. Un buste représente Louis-François Beffara (1751-1838) qui, après une longue carrière d’enquêteur dans la police, parvint à élucider le mystère de la date de naissance de Molière. Une vitrine évoque le commissaire Marcel Guillaume (1872-1963) qui inspira à Georges Simenon son personnage de Maigret. Une autre rappelle la mémoire de Louis Amade (1915-1992) dont le parcours fut singulier. Conseiller technique auprès du préfet de police dans les années 1950, il mena en parallèle une carrière de parolier à succès pour plusieurs grands noms de la chanson française. Surtout Édith Piaf et Gilbert Bécaud pour qui il écrivit « L’important, c’est la rose ». Un autre policier à la fibre artistique est cité un peu plus loin. Il s’agit du commissaire de police Ernest Raynaud (1864-1936), un ami de Verlaine qui a, lui-même, publié une vingtaine d’ouvrages de poésie.
Les amateurs d’armes à feu s’attarderont devant les vitrines qui exposent les pistolets utilisés par les forces de l’ordre depuis un siècle. Les collections en comptent 150 conservés, pour une bonne part, dans un bunker souterrain qui sert de stand de tir, trois niveaux plus bas. Les amoureux d’art admireront les nombreuses œuvres de l’endroit. Notamment une gravure qui rend hommage à l’agent de police Étienne Buffet, tué lors de l’arrestation de Georges Cadoudal, le 9 mars 1804. C’est sa fin tragique qui a donné naissance à l’expression « deux balles dans le Buffet ».
Les fans de séries policières se passionneront pour les panneaux explicatifs développant les techniques utilisées par la police scientifique mais aussi la reconstitution du laboratoire photographique d’Alphonse Bertillon (1853-1914), inventeur des techniques d’identification judiciaire et dont le feuilleton de Canal+, Paris Police 1905, a fait un personnage.
Reste que les lieux sont trop exigus pour pouvoir présenter l’intégralité des collections. Plus de 7 000 objets attendent dans les réserves des sous-sols que soit tranchée la question d’un éventuel déménagement. Des discussions sur le sujet ont débuté avec la Direction régionale des affaires culturelles, le Centre des monuments nationaux, la Direction générale du patrimoine et le Service des musées de France. Le ministre de l’Intérieur devra décider l’an prochain.
Une installation dans un local plus vaste permettrait d’accueillir dans de meilleures conditions un public qui ne cesse de croître. Plus de 24 000 personnes ont visité cette année ce musée contre 15 000 avant la pandémie. Les 2 000 objets exposés sont bien à l’étroit dans les 300 mètres carrés actuels.
On rêverait de voir cette institution traiter des événements aussi importants que le rôle de la police pendant la Seconde Guerre ou son implication dans les grands épisodes de l’histoire du XXe siècle : la guerre d’Algérie, Mai 68 mais aussi la lutte contre le terrorisme aujourd’hui. Or, ces sujets sensibles nécessitent de l’espace pour pouvoir être abordés avec nuance.