En Palestine, on traque, on moleste, on viole, on assassine les personnes homosexuelles. Beaucoup de gays et lesbiennes palestiniens trouvent refuge en Israël. Une réalité ignorée par de nombreuses personnes LGBT pro-palestiniennes en Occident.
« L’un des plus grands paradoxes en matière de droits humains, c’est le soutien des LGBTQ aux Palestiniens dans le conflit les opposant à Israël », déclare le réalisateur américain Ami Horowitz en guise d’incipit de son documentaire diffusé en juillet de cette année. En Palestine, on ne prêche pas une telle convergence des luttes, contrairement au média AJ+, le pure player qatarien « cool » et inclusif ciblant les jeunes Occidentaux. Bien au contraire, les personnes homosexuelles y sont persécutées, parfois tuées, en Cisjordanie sous Autorité palestinienne comme dans la Bande de Gaza dirigée par le Hamas. Certaines d’entre elles trouvent refuge en Israël comme Ahmad Abou Marhia, 25 ans, capturé et ramené en Palestine où il a été décapité début octobre après avoir reçu des menaces de mort. Le silence général concernant ce dernier crime jure avec les dénonciations soudaines de l’homophobie au Qatar.
A 25-year-old Palestinian man, Ahmed Abu Maria, who fled to Israel and was granted asylum two years ago due to his sexual identity, was reportedly abducted and taken back to the West Bank city of Hebron, where he was beheaded yesterday.
May his memory be a blessing. pic.twitter.com/EDd5xf7IDl
— Avi Mayer (@AviMayer) October 6, 2022
Alors que l’on découvre ou feint de découvrir la politique pénale particulièrement répressive en matière d’homosexualité de l’émirat, le silence prévaut concernant la Palestine, laissant entendre que l’on juge les actes en fonction de la sympathie que l’on a pour leurs auteurs. En 2016, le mouvement terroriste Hamas tortura et tua l’un de ses chefs, Mahmoud Ishtiwi, officieusement accusé d’homosexualité, sans que cela ne suscite l’intérêt de l’immense majorité des médias et associations militantes de gauche. Même la « modérée » Autorité palestinienne persécute les homosexuels. Dans cette société, il n’y a pas ce « M. » qui osa saluer publiquement Oscar Wilde que l’on conduisait aux travaux forcés après sa condamnation pour « grossière indécence » : il y serait peut-être lynché à mort.
Contrairement à la Cisjordanie, la Bande de Gaza connaît toujours les dispositions pénales de l’époque du mandat britannique criminalisant l’homosexualité. Cependant, les gays sont traqués, molestés, violés – au besoin avec des objets -, emprisonnés, voire tués dans tous les territoires palestiniens, même par leurs familles. Des pratiques bien au-delà de la loi britannique d’alors. La police, qui dit enquêter sur l’assassinat d’Abou Marhia, n’est pas la dernière à s’en prendre aux homosexuels. L’impunité est réelle pour les agresseurs qui peuvent agir en plein jour, comme ce groupe de jeunes agressant une personne transgenre et ses amis dans la rue en mars 2019. Les victimes savent qu’il est préférable de ne pas se défendre pour éviter le pire.
Quand des gays pro-Palestine découvrent ce que les Palestiniens pensent d’eux
Le reportage d’Ami Horowitz donne la parole à des militants LGBT à San Francisco et des habitants du territoire contrôlé par l’Autorité palestinienne. Les premiers expriment dans un premier temps leur préférence pour la Palestine qu’ils perçoivent comme une victime totalement positive. Un homme d’un certain âge déclare qu’il soutenait l’État hébreu mais reconsidère désormais sa position ; un jeune homme affirme avoir « tendance à avoir plus de sympathie pour ceux [qu’il perçoit] comme étant persécutés » ; une femme déclare ne pas s’être « sentie à l’aise en tant que personne gay en Israël » quand elle a visité le pays. Une autre est convaincue que 100 % des homosexuels soutiennent les Palestiniens. S’ensuit la partie où des Palestiniens s’expriment au sujet des homosexuels. À son retour de Palestine, Horowitz montre son reportage aux mêmes personnes qui découvrent, horrifiées, le sort qui les attendrait si elles vivaient là-bas.
La vidéo expose la haine des Palestiniens envers les personnes homosexuelles dans la partie de la Cisjordanie dirigée par Mahmoud Abbas. Horowitz rappelle que les gays sont torturés et assassinés par le Hamas à Gaza, et il ajoute : « Le traitement horrifiant par l’Autorité palestinienne relativement modérée et ceux qui vivent dans cette région est moins connu. Ce nettoyage sexuel par les Palestiniens n’est pas bien couvert, sinon pas du tout, par les médias grand public ou même les médias LGBTQ ».
Cheikh Mahmoud est un imam populaire à Ramallah. Interrogé par Ami Horowitz, il révèle qu’il a conseillé à un parent qui lui demandait que faire de son enfant homosexuel de le tuer : « La punition islamique devrait s’appliquer à ceux qui empruntent cette voie ». L’imam ne se contente pas de considérer l’homosexualité comme un crime, il la met au même niveau que le meurtre. La société n’est pas en reste.
Horowitz assure que les quelques témoignages recueillis dans la rue sont représentatifs de tout ce qu’il a entendu dans la journée. Un homme affirme que « les gays sont à l’origine des problèmes du monde entier » et les qualifie de « maladie », un autre dit qu’il faut les condamner à la prison à vie et qu’il est normal que leurs parents veuillent les tuer pour effacer l’infamie. Pour un autre « ils devraient se suicider ou être enfermés dans des établissements spécialisés », tandis qu’un Palestinien plus « modéré » dit juste souhaiter qu’ils s’en aillent.
Le réalisateur a pu obtenir le témoignage d’un homosexuel, pseudonommé Mahmoud, qui dit que son oncle a menacé de le violer et le jeter d’un pont et que cela a fait rire sa mère. Selon Mahmoud, tous les trois mois on peut entendre parler de l’assassinat d’un homosexuel en tant que tel, les queers peuvent se faire agresser, voire violer. Ils ne le signalent pas aux policiers qui, sinon, leur feraient subir le même sort : « Mon ami a été violé par un policier dans un poste de police […] il est sorti du poste en ne pouvant pas marcher correctement ».
« Dans les territoires palestiniens, il n’y a pas beaucoup de débat sur le mariage gay. Ici, on parle davantage de tuer et de torturer les membres de la communauté LGBT », observe Horowitz. Un constat qui choque les gays rencontrés à San Francisco qui reconsidèrent leurs positions. « Cela me conduit à me demander si les informations que j’ai suivies sont totalement précises », répond le jeune homme qui disait avoir de la sympathie pour les persécutés. La femme convaincue que « 100 % des homosexuels soutiennent les Palestiniens » dit avoir « changé à 100 % son point de vue ».
S’il y a une présentation favorable de la Palestine dans les mouvements de gauche également ouverts aux revendications LGBT, ces convergences de lutte – pour parler comme la sociologie de gauche – se limitent à l’Occident où les uns dissimulent leurs vraies idées tandis que les autres ne veulent pas les connaître. Un appui tel que celui des lesbiennes et gays supportant les mineurs en grève en 1984 et 1985 au Royaume-Uni ne peut y exister. Les Palestiniens veulent bien du soutien des homosexuels – et des médias y contribuent -, mais ne défileront pas pour appuyer leurs doléances.
Quand les homosexuels palestiniens trouvent refuge en Israël
Dans un article de février 2013, le magazine Vice raconte le parcours de Saïf, jeune homosexuel tenu par la police qui a fait de lui un informateur forcé. Il sait que, s’il refuse, il risque la mort – au moins sociale, sinon réelle. L’article rappelle que l’absence officielle de criminalisation de l’homosexualité par l’Autorité palestinienne n’est qu’une façade et donne la parole à Shaul Gannon, avocat de l’organisation LGBT Aguda selon qui, à ce moment-là, il y avait environ 2 000 homosexuels issus des territoires palestiniens réfugiés à Tel Aviv, une majorité en situation irrégulière.
En août 2019, Mark Segal, fondateur du Gay Libération Front, expliquait dans un article du Philadelphia Gay News (dont il était propriétaire), que même s’il désapprouvait la politique du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, il ne soutenait pas l’appel au boycott d’Israël. « À moins que vous n’appeliez également à boycotter la Palestine », ajoutait-il, en rappelant que l’on y tue des personnes homosexuelles.
Ces agressions sont répandues dans la région, comme le dénonce Outword Magazine dans un article de novembre dernier, comparant Israël et ses voisins, notamment palestiniens, et constatant une radicale différence entre eux. L’auteur rappelle même qu’un homosexuel palestinien fut obligé de se tenir debout dans de l’eau des égouts jusqu’au cou, avec un sac d’excréments sur la tête, tandis que des défilés de la Gay Pride ont lieu chaque année à Tel Aviv sans risque d’attaques par la foule, bien qu’une forte minorité d’Israéliens n’accepte pas l’homosexualité. Et quand un ultra-orthodoxe tua une participante au défilé de 2015, la justice le condamna en 2016 à la prison à perpétuité.
Jean Degert