Dans sa chronique, la romancière Éliette Abécassis revient sur l’amitié judéo-chrétienne.
C’est l’histoire d’une petite fille qui a une sœur qui n’est pas la fille de sa mère. Elle est née de l’union de son père avec une autre femme, d’une autre histoire que celle qu’il a eue avec sa mère. Ainsi son père a désormais une nouvelle épouse. Ensemble, ils ont eu une petite fille. Cette famille va vivre ensemble, le père, la belle-mère, les deux filles. Et les demi-sœurs qui ont quelques années d’écart vont désormais partager la même vie, la moitié du temps, car le père, depuis qu’il s’est remarié et qu’il a eu une autre enfant, a souhaité avoir la garde alternée de sa première fille.
Or il se trouve que celle-ci est élevée par sa mère dans le respect des traditions : elle va à l’école juive, elle fait les fêtes, le shabbat, et tous les samedis, elle se rend à la synagogue pour entendre la lecture de la Torah et retrouver ses amis juifs. Et tous les soirs, avant de dormir, dans son lit, une main sur les yeux, elle murmure à voix basse sa prière : « Écoute, Israël, l’Éternel notre Dieu, le Dieu Un. » Elle aime les matriarches, Sarah, Rachel, Léa et Rébecca, et aussi Moïse et tous les personnages de la Bible. Il faut dire qu’elle a un grand-père rabbin, une mère pratiquante. Son père aussi est juif. Quand elle était petite, elle pensait que tout le monde était de la même religion que la sienne. En fait, elle ne s’est jamais sentie juive puisqu’elle évolue dans un monde où tout le monde l’est. Comme M. Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, elle évolue dans la religion sans en avoir conscience, elle qui n’a jamais été confrontée à une autre vision de la vie.
Seront-elles sœurs ?
Et il se trouve aussi que sa nouvelle demi-sœur est chrétienne : tout comme sa mère, qui est croyante. Quand elle est née, elle a été baptisée. Le dimanche, mère et fille vont à l’Église, célèbrent la messe, communient, elles font les fêtes, célèbrent Noël avec toute la famille maternelle, les grands-parents, oncles et tantes, cousins, cousines, tous réunis autour du sapin dans un moment joyeux et solennel. Tous les jours, la petite fille se rend à l’école catholique où elle reçoit l’enseignement du catéchisme et des valeurs chrétiennes. Elle a, quant à elle, une vague idée de la signification du mot « juif ». Ses amies sont catholiques, comme ses grands-parents et sa tante qui est bonne sœur. C’est elle qui lui a appris à dire la prière du soir, qu’elle murmure, les mains jointes, les yeux fermés, au pied de son lit : « Mon Dieu, je vous offre mon cœur, mon esprit, mes pensées, mes paroles, mes actions, tout moi-même, pour ne servir que votre gloire. Je renouvelle les promesses de mon baptême. »
Les deux filles désormais vont devoir vivre ensemble. L’une et l’autre, dans la même maison, sous le même toit, peut-être dormir dans la même chambre. Elles qui n’avaient jamais connu le monde de l’autre se retrouvent sœurs, dans l’intimité de la vie partagée. Même espace, mêmes lits, même éducation. Mêmes repas, mêmes jeux, mêmes vacances. Chacune son école, chacune ses amis, chacune sa famille, chacune sa mère et le même père. Seront-elles amies ? Seront-elles sœurs ennemies ? Seront-elles sœurs ?Ainsi nous sommes unis : juifs et chrétiens, juifs et athées, juifs et musulmans, chrétiens et musulmans, chrétiens et athées, athées et musulmans… Nous sommes tous nés différents mais dans le même pays : nous sommes demi-frères, demi-sœurs, cousins, cousines, issus de la même famille et condamnés à partager la même vie, chacun avec ses valeurs, chacun avec son passé, son histoire, sa religion, ses croyances, son identité. Même si nous sommes issus d’un parent différent, même si notre éducation diverge dans cette famille recomposée, nous partageons le même espace et nous sommes de la même lignée. Nous vivons ensemble, sans l’avoir choisi, nous apprenons à respecter l’autre pour partager la même histoire, nous avons le même père, pas la même mère ; nous avons la même fratrie, la même patrie.
Et ce pays à l’échelle planétaire, c’est notre intimité. Alors, sachons être différents sans être dans le rejet, le mépris, la haine. C’est ainsi que nous sommes véritablement croyants, lorsque nous respectons l’autre dans sa différence, sans vouloir qu’il soit le même, sans le soumettre à notre façon de penser, à notre éducation, à notre tradition ; car être croyant c’est sans doute croire en Dieu, mais c’est, avant tout, vivre et croire en l’autre. C’est aussi respecter l’autre dans le même espace, celui dans lequel nous existons, par la force des choses. Vivre ensemble : voilà tout le défi de la société, aujourd’hui et demain.