Deux ans après avoir rétabli leurs relations diplomatiques, le Maroc et Israël mènent des échanges réguliers et inédits sur le plan militaire et sécuritaire. Le rapprochement économique se fait plus doucement.
Mardi dernier, à Doha, le Maroc faisait la fierté du monde arabe en accédant aux quarts de finale de la Coupe du monde de football. La photo des joueurs célébrant leur victoire a fait le tour du monde : ils y arborent non pas le drapeau marocain, mais celui de la Palestine. Deux jours plus tôt, les couleurs palestiniennes flottaient aussi au-dessus d’une manifestation à Rabat. Entre 1.000 et 3.000 Marocains défilaient alors contre « la vie chère et la répression » politique, à l’appel d’organisations de gauche.
Ces démonstrations de soutien au peuple palestinien rappellent combien le choix de Rabat, il y a deux ans, de rétablir ses relations diplomatiques avec Israël est une question délicate dans la société marocaine. Le 10 décembre 2020, le Maroc devenait le quatrième pays arabe, après les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, à « normaliser » ses relations avec l’Etat hébreu, dans le cadre d’une série d’accords poussés par l’administration Trump. Même si en réalité, Rabat a continué d’échanger discrètement avec l’Etat hébreu depuis qu’il a rompu ses relations diplomatiques dans les années 2000.
Coopération dans tous les domaines
En contrepartie, Rabat a obtenu de Washington une avancée majeure sur la question du Sahara occidental, considérée comme une « cause nationale » et le « prisme » de ses relations internationales : la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ce territoire revendiqué par les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Dans la foulée, Madrid s’est aussi rangée dans le camp marocain au printemps dernier, suivie de Berlin cet été. Paris, qui cherche à réchauffer ses relations avec Alger , s’applique pour le moment à conserver une position neutre, au grand dam de Rabat.
Cet été aura ainsi vu défiler à Rabat plusieurs responsables israéliens de premier plan – ministre de l’Intérieur, chef d’état-major des armées, chef de la police… – après le ministre de la Défense il y a un an. Du jamais vu. Alors qu’Alger profite de la manne des hydrocarbures pour doubler son budget militaire et maintient de bonnes relations avec son allié militaire russe , le Maroc cherche à approfondir sa coopération militaire et sécuritaire avec Israël. « Dans la frénésie d’achat d’armes dans la région, la coopération avec Israël est une police d’assurance pour le Maroc », souligne Hasni Abidi.
Pas de bond des investissements
Sur le plan économique, le rapprochement avance plus doucement. Un accord signé en février dernier prévoit de multiplier par quatre les échanges commerciaux entre le Maroc et Israël pour dépasser les 500 millions de dollars par an. « Après la séquence politique, on entre dans une séquence économique », estime l’économiste Abdelmalek Alaoui, président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique, un think tank basé à Rabat.
Parmi les secteurs à fort potentiel, l’agroindustrie (le Maroc espère par exemple bénéficier de transferts de technologie israélienne dans l’irrigation), les nouvelles technologies, ou encore l’énergie (notamment dans l’hydrogène vert). Sans oublier le tourisme : Rabat espère attirer la forte communauté d’Israéliens d’origine marocaine. « Les estimations vont de 300.000 à un million de nouveaux visiteurs par an, ce qui représenterait jusqu’à un dixième des entrées touristiques dans le pays », indique Abdelmalek Alaoui.
Mais pour le moment, patience. « Il y a un regain d’intérêt des Israéliens pour le Maroc, mais nous n’avons pas observé de bond des investissements israéliens dans le pays », indique une source diplomatique française.
Image ternie
Le rapprochement avec Israël a aussi un coût pour Rabat. « L’image du royaume a été ternie dans le monde arabe. C’est pour ça qu’il doit avancer lentement et ne pas paraître courir après Israël », note Hasni Abidi. Le Maroc joue en effet les équilibristes sur la question palestinienne, soulignant qu’il reste fidèle à la solution des deux Etats et que le souverain marocain préside toujours le comité Al Qods, qui s’oppose à la souveraineté israélienne sur la ville de Jérusalem.
L’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement israélien de droite nationaliste ne devrait pas faciliter les choses : « C’est une configuration embarrassante, reconnaît Hasni Abidi. Elle risque de ralentir la cadence des échanges avec Israël, sans toutefois les compromettre. »