Né autrichien en Bucovine en 1907, étudiant en France avec la nationalité roumaine en 1926, devenu médecin français pendant la Seconde Guerre mondiale, Albert Ebner a échappé à la Shoah, caché par des fermiers normands de Carantilly, dans la Manche.
Tout est parti de l’évocation par l’historien manchois Michel Boivin, lors d’une conférence sur la libération de Marigny (Manche), en mai 2022, d’un mémoire de maîtrise écrit par un gendarme, Vincent Ossadzow. Il faisait allusion à un médecin juif, Albert Ebner, sauvé par la brigade de Marigny pendant l’Occupation. Le sang de René Gautier, passionné par tout ce qui touche à sa commune de naissance, ne fait qu’un tour. « Je me suis tourné vers des anciens de la commune : Roger Potier, 96 ans, et Madeleine Garnie, 90 ans. Cette histoire-là ne leur disait rien… »
Le chercheur, ayant attrapé un bout de la ficelle, va faire venir toute la pelote pour savoir le fin mot de l’histoire et retracer le parcours de cet Albert Ebner, médecin juif, caché et, de fait, sauvé de l’Occupant par des fermiers de Carantilly, près de Marigny : Jean-Baptiste et Maria Lequertier. Et pas du tout par les gendarmes de la brigade de Marigny.
Une thèse réfutée
« Je savais déjà qu’à Carantilly, la famille Huaut avait sauvé une petite fille juive pendant la guerre, Marcelle Pipkis, dont les parents tenaient un magasin de vêtements à Saint-Lô. Mais ignorais cette histoire de médecin juif. »
René Gautier joint Vincent Ossadzow. « Il m’a confirmé qu’aux archives départementales de la Manche existait un document : un rapport concernant les actes de résistance de la gendarmerie dans la Manche, avec un extrait relatant cette histoire de brigade de gendarmerie de Marigny ayant caché un médecin juif. »
Ses recherches permettent à l’historien de retrouver la trace du fils de ce médecin Albert Ebner : « Olivier Ebner avait enregistré le témoignage de son père et en avait même fait un livre intitulé Venu de Bucovine. Et il réfute complètement la thèse expliquant l’intervention de gendarmes ayant sauvé son père pendant l’Occupation. »
La veille de Noël 1943
De fait, originaire de Roumanie, Albert Ebner est venu en France faire ses études de médecine en 1926, à Toulouse, avec trois autres étudiants, dont le père de Michel Drucker. Il a ensuite ouvert son cabinet dans l’Eure-et-Loir. Sa femme arrêtée en 1942, comme lui, est déportée et meurt à Auschwitz. Ses enfants et lui-même parviennent à échapper à la déportation.
Les enfants sont accueillis dans des familles, et lui, caché d’abord dans un sanatorium, puis conseillé par une de ses patientes Gabrielle Coron, finit par fuir en Normandie. Il gagne la ferme des parents de Gabrielle, Jean-Baptiste et Maria Lequertier.
« Le médecin a débarqué sur le quai de la gare de Carantilly la veille du Noël 1943, et en est reparti sain et sauf le 15 août 1944, après la libération du secteur par les Américains. Il évitait le plus possible de sortir de sa chambre à la ferme, mais était toujours habillé en costume-cravate. »