Le parti de Marine Le Pen s’emploie à gommer son passé antisémite. Sans convaincre toute la communauté.
Le 11 décembre prochain, les auditeurs de RadioJ auraient pu terminer leur déjeuner dominical avec, dans le poste, la voix d’une Le Pen. L’invitée de leur émission politique phare devait être la présidente du groupe Rassemblement national (RN) au Palais-Bourbon. Du jamais-vu pour la radio communautaire juive. Mais cette semaine, la station a changé d’avis : Marine Le Pen y demeurera persona non grata. Et ce, malgré les efforts continus de ses lieutenants, depuis une décennie, pour normaliser les relations entre le parti d’extrême droite et la communauté juive. En 2011 déjà, celle qui était alors la nouvelle présidente du Front national, avait été invitée… puis décommandée quatre jours avant l’émission. Explication d’un pilier de la radio : « À elle, nous n’avons rien à reprocher. Mais avoir des antisémites dans son entourage ne la gêne pas… »
La question a occasionné des remous dans la station, où des figures du RN ont très récemment fait leur apparition. « C’était une première », parade le vice-président du parti, Sébastien Chenu, invité fin octobre par RadioJ, qui se targue également d’avoir été convié à l’inauguration de la synagogue de Lille. Le sujet est crucial pour le mouvement, prêt à tirer toutes les ficelles pour faire oublier une histoire chargée en matière d’antisémitisme et de négationnisme.
Parmi ceux qui ont le plus mis la main à la pâte de la dédiabolisation, Louis Aliot, premier vice-président du RN. De longue date, l’ex-directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen voit dans l’antisémitisme le « verrou » vers la conquête du pouvoir. « Sur les marchés, on nous reprochait plus les jeux de mots douteux (sic) de Jean-Marie Le Pen sur le détail de l’histoire [les chambres à gaz] que nos prises de position sur l’immigration, assure-t-il. Aujourd’hui, notre discours sur l’immigration et l’islam radical est partagé par tout le spectre politique, à l’exception des Insoumis. Et nous ne pouvons plus être affublés de l’infamante suspicion d’antisémitisme. » Le maire de Perpignan vient de frapper un grand coup en décorant, mi-octobre, les époux Klarsfeld, figures de la mémoire de la Shoah et de la traque des responsables.
« Le RN utilise la communauté juive comme marchepied politique »
Marine Le Pen, pour l’heure, n’a pas prévu de voyage en Israël, dont tous les représentants officiels l’ont jusqu’ici boycottée. « Il serait bon qu’on normalise nos relations avec l’État d’Israël, juge Aliot. Ce sera la dernière pierre à notre édifice. » Mais cette stratégie vient d’être victime d’un sérieux accroc : l’abandon contraint, par le RN, de ses ambitions à la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme à l’Assemblée nationale. En la briguant, début novembre, le parti héritier du FN, cofondé entre autres par d’anciens collaborationnistes et d’ex-membres de la Waffen-SS, avait provoqué un tollé. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) avait aussitôt prévenu qu’en cas de succès de l’opération il boycotterait cette commission. « Le RN utilise la communauté juive comme marchepied politique », fustige le président du Crif, Yonathan Arfi, qui estime que le parti, en plus de rechercher l’absolution pour son histoire, multiplie les « prises de guerre » pour « regagner une virginité politique et faire oublier son projet fondé sur l’exclusion ».
D’autres membres de la communauté juive se montrent moins réticents. Comme Meyer Habib, député UDI des Français de l’étranger : « Si le RN combat réellement l’antisémitisme, alors pourquoi pas ? » Ce proche du Premier ministre israélien élu, Benyamin Netanyahou, raconte : « Lorsque j’ai parlé à Le Pen de ma réticence du fait de l’ADN antisémite de son père et du Front national, elle m’a répondu : “Meyer, j’ai exclu mon père, j’ai changé le nom du parti et je veux aller en Israël. Combien faudra-t-il encore de générations ?”», raconte l’ex-vice-président du Crif.
La stratégie de la formation lepéniste : détourner, pour s’en défaire, les accusations d’hostilité à l’égard des juifs sur la gauche radicale. « L’antisémitisme vient de l’islamisme, dont les Insoumis sont les collabos », soutient le député Julien Odoul. À en croire le porte-parole du RN, ces derniers souhaiteraient « la destruction d’Israël et le départ des juifs de France ». « Diaboliser l’autre camp pour se laver soi-même, c’est pratique », réplique le président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), Samuel Lejoyeux, qui ne dédouane aucun des deux partis. De fait, selon la dernière radiographie de l’antisémitisme en France (Fondapol, 2022), la diffusion des préjugés antisémites « est plus répandue » chez les sympathisants du RN et chez ceux de LFI.
Éviter tout dérapage
Vu son passé et son passif, le RN s’emploie avec le plus grand soin à éviter tout dérapage. Quand, mi-juillet,une partie de la Nupes a déposé une résolution pour qualifier Israël de « régime d’apartheid », une députée RN – de confession juive – avait préparé un discours de riposte : Yaël Menache, qui expliquait en juin être entrée au RN pour faire « rempart à l’antisémitisme ». Dans son texte, que le JDD a pu consulter, elle écrivait que les Israéliens « ne sont pas en train de chercher une solution finale à la question arabe ». « La phrase parfaite pour être taxée d’instrumentalisation », l’avait alors avertie un proche. Elle s’était donc ravisée.
De même, le 13 juillet, quand l’élu Renaissance Rémy Rebeyrotte, pour singer les RN, avait effectué un salut nazi dans l’hémicycle, Yaël Menache s’était sentie insultée. Mais Marine Le Pen lui avait « déconseillé » de faire un rappel au règlement. « Ça aurait été vu comme de l’instrumentalisation, elle avait entièrement raison », rétorque Menache. Le Pen, elle, dément avoir parlé d’ « instrumentalisation ». Signe que le sujet, même au sein du groupe, demeure des plus sensibles.
cet article omet de préciser ce qui est plus qu’un « détail ». Cela fait longtemps que l’extrême-droite pratique la dénégation, sur ce terrain. Le fait nouveau est qu’elle peut aujourd’hui compter sur des juifs-sans-dignité pour lui servir la soupe, au nom du… père, et même, au nom du fils