Dans son nouveau livre, le romancier Marek Halter revient sur un exode peu connu de l’Histoire : la fuite des Juifs polonais à Shanghai pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Écrivain et formidable conteur, Marek Halter signe «La juive de Shanghai» (éd. XO), un ouvrage édifiant et très bien écrit, au fil duquel il retrace le destin hors du commun de deux jeunes femmes, Clara, résistante allemande, et Ruth, une couturière juive de Varsovie.
Face à la montée du nazisme, les deux héroïnes, décident de quitter Berlin pour se rendre à Shanghai, terre d’asile pour des milliers de Juifs, qui ont ainsi pu éviter la mort. Avec une plume vive et élégante, Marek Halter, nous raconte leurs périples à travers le monde, de 1937 à 1945.
Comment est née l’idée de ce roman, qui résonne avec votre histoire personnelle ?
Il y a toujours, dans un roman, un personnage qui porte les idées de l’auteur. Gustave Flaubert aurait d’ailleurs, selon ses commentateurs, dit qu’il était Madame Bovary. Pour Ruth, ma protagoniste, une couturière juive de Varsovie, je me suis inspiré d’une jeune sœur de ma mère, que je n’ai jamais connue, et qui a vécu cette histoire.
Puis il y a dans ce récit une deuxième histoire qui m’a toujours fasciné et dont on ne parle pas. C’est celle de la Chine. Quand les nazis ont envahi la Pologne et déclenché la Seconde Guerre mondiale, il y avait environ 6 millions de Juifs en Europe centrale. Mais, face à leur exode forcé, toutes les frontières sont restées fermées. Aucun pays ne voulait les accueillir, à l’exception d’une seule ville : Shanghai.
Avec «La juive de Shanghai», vous poursuivez votre œuvre de passeur de mémoire. Pourquoi est-ce important de rappeler l’histoire du ghetto juif de Shanghai ?
Il y a presque quarante ans, j’ai écrit un livre que je considère comme mon meilleur, « La mémoire d’Abraham », dans lequel j’ai raconté l’histoire du peuple juif depuis la destruction du Temple en 586 avant notre ère, à travers une seule famille : la mienne. Et je me suis rendu compte que j’avais oublié d’évoquer un chapitre de l’histoire de ce peuple. Si tout commence à Jérusalem, il y a un autre monde : la Chine. Ce que beaucoup ignorent.
Quand j’ai appris que Shanghai avait été la seule ville prête à accueillir les Juifs, comme ceux de ma famille, je me suis intéressé aux Juifs de Chine. J’ai ainsi découvert qu’une communauté chinoise juive y était établie depuis le 11e siècle ! Comme vous le dites, je suis «un passeur de mémoire», donc lorsque je déniche une histoire qui me passionne, je mets un point d’honneur à la partager de la manière la plus ludique qui soit, afin que les lecteurs s’enthousiasment avec moi.
Votre œuvre fait la part belle à des personnages féminins fascinants. Cette fois, vous faites vivre le destin de Ruth et Clara, deux femmes emportées par la tragédie de l’Histoire. D’où vient votre obsession littéraire pour les héroïnes ?
J’ai en effet dédié plusieurs livres aux femmes, comme les trilogies «La Bible au féminin», «Les femmes de l’Islam», «Marie», ou encore «Ève». Elles sont au cœur de l’aventure car je crois profondément que les femmes sont plus fortes que les hommes, pas physiquement, encore que, durant la Seconde Guerre mondiale, elles faisaient tourner les usines. La femme connaît le prix de la vie, elle donne la vie, ce qui lui donne une supériorité. La femme s’occupe de tout.
Je réalise, c’était inconscient, que «La Juive de Shanghai» est un livre féministe. La plupart de mes personnages sont des femmes. Et le récit s’articule autour d’une amitié indéfectible entre deux femmes. Une amitié différente de celle que vivent les hommes, non virile, mais empreinte d’une forte sensualité. Je suis très sensible à cela. J’espère que mes lecteurs vibreront en lisant cette histoire d’amitié.
Il est aussi question d’un précieux journal intime, tenu par Ruth, et découvert pas sa fille, Xiao-Nao. Que représente ce carnet ? Une arme contre l’oubli ?
Effectivement. Ce qui est écrit est écrit. Consigné. Le reste, c’est de l’imagination, on peut inventer, contourner, falsifier. C’est sans doute pour cette raison que «Le journal d’Anne Frank» a été traduit dans 200 langues. Un témoignage à travers lequel chacun découvre ce qu’ont ressenti des millions d’autres petites filles pendant la guerre.
L’écriture est très forte. C’est d’ailleurs le fondement de «La mémoire d’Abraham». L’histoire de ma famille se transmet de génération en génération grâce à un objet transitionnel, un rouleau portant le récit des événements les plus marquants de chaque époque. Un parchemin sur lequel s’inscrit la mémoire.
Quel est le message principal que vous voulez transmettre à travers votre livre ?
Nous n’avons pas d’idéologies, de rêves collectifs, comme nos parents ou nos grands-parents. Aujourd’hui, il y a très peu d’exemples à donner. Il n’y a plus personne pour réveiller la France, ce que je m’évertue à faire, en donnant des exemples.
J’ai une devise : un homme qui ne sait d’où il vient, ne sait où il va. Je rappelle donc ce que les hommes ont pu faire avant nous, et, par conséquent, ce que nous pouvons faire aussi. Quand on passe devant une personne qui est couchée par terre dans la rue, on ne s’arrête plus. L’amitié, la volonté de partage, l’entraide, la solidarité… Nous avons oublié ce que c’est. Mon livre redit l’importance de ces valeurs.
En tant que défenseur acharné de la paix des peuples, quel regard portez-vous sur les événements des derniers mois avec la guerre en Ukraine qui se poursuit ? L’évolution du monde actuel vous inquiète-t-elle ?
Je suis inquiet, mais je reste optimiste. La Bible nous dit que «la lumière brillera du sein des ténèbres». Même si on passe un mauvais moment, il ne faut pas désespérer.
Ce qui me manque c’est que les gens n’ont plus de références, ils ne demandent pas justice comme Abraham dans la Bible. Personne ne demande la paix, car on a peur de paraître pro-Poutine. Mais au moment où nous parlons, des gens meurent.
Avez-vous déjà un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?
J’ai plusieurs pistes. Je n’ai pas écrit de roman pendant quelques années. Je poussais des cris. Et maintenant j’ai envie de partager des histoires, car je suis un conteur.