Claude Bloch est revenu des camps d’Auschwitz et de Stutthof en 1945. À Lyon, il est le dernier survivant à pouvoir encore témoigner de l’horreur de la Shoah. Il raconte.
C’est dans l’ancien appartement de ses grands-parents maternels, rue Franklin (Lyon 2e), que Claude Bloch nous accueille. Il s’y est installé à son retour en France, en juillet 1945, après avoir été déporté à Auschwitz plus d’un an auparavant.
Arrêté à l’âge de 15 ans
Le Lyonnais de 94 ans se souvient de tout. Presque dans les moindres détails. Il faut dire que l’histoire de sa déportation, il la raconte depuis 27 ans. Dans les collèges, les lycées, lors de conférences ou de voyages scolaires organisés à Auschwitz. À Lyon, il est désormais le dernier à pouvoir en témoigner. Le dernier à en être revenu et à être toujours vivant.
Il avait 15 ans et 8 mois lorsque l’horreur a frappé à sa porte, l’emmenant lui, sa mère et son grand-père au siège de la Gestapo, place Bellecour, parce que juifs. C’était le 28 juin 1944. « On s’était réfugiés à Crépieux. Ce jour-là, ma grand-mère n’était pas présente. Si elle avait été prise en même temps que nous, je n’aurais eu personne en rentrant de la guerre. »
Son grand-père est interrogé puis exécuté. Claude est immédiatement transféré à la prison de Montluc avec sa mère. Il y restera quasiment un mois, enfermé avec d’autres hommes, sans jamais pouvoir sortir. « Une fois par semaine, ils procédaient à des appels. Ils listaient des noms qui se terminaient par « avec bagages » ou « sans ». Si c’était sans, on savait qu’on allait être fusillé dans la journée. J’ai été appelé la troisième semaine. On m’a dit de prendre mes bagages. »
« On ne savait pas ce qu’on allait devenir »
Il est ensuite emmené, toujours avec sa mère, à Drancy. Ils feront partie du dernier convoi à destination d’Auschwitz, le 31 juillet 1944, transportant 1 000 adultes et 300 enfants dans des wagons à bestiaux. « Trois jours et trois nuits debout, sans manger, sans boire, sans dormir », commente-t-il.
À l’arrivée, les hommes sont séparés des femmes et des enfants. Claude se range d’abord naturellement dans la colonne des enfants, lui qui n’était alors « pas grand, pas gros » et pesait seulement 45 kilos. Mais sa mère le repousse brutalement vers la file des hommes. Comme si elle savait que son fils n’aurait aucune chance de survivre autrement. « On ne s’est rien dit. On ne s’est pas embrassés, pas dit au revoir. On ne savait pas ce qu’on allait devenir. C’est la dernière vision que j’ai de ma mère. »
« Je me suis persuadé que je rentrerais »
Il est affecté à un commando de travail de terrassement et reste à Auschwitz jusqu’à fin décembre, avant d’être de nouveau déporté, cette fois dans le nord de la Pologne, dans le camp de Stutthof.
Les jours et les mois passent. Claude perd totalement la notion du temps mais pas son goût pour la vie. Malgré le froid, la faim, la fatigue et les conditions déshumanisantes dans lesquelles il vit depuis plusieurs mois, le jeune adolescent qu’il est s’accroche comme jamais. « À 15 ans, on ne se dit pas qu’on va mourir. On ne peut pas y croire. Tout ce qu’on peut faire, c’est garder le moral. Je me suis persuadé que je rentrerais. Je me disais qu’il n’y avait pas de raisons que ça n’arrive pas alors qu’en vérité, il y en avait 10 000. »
Le 10 mai 1945, Claude est sauvé
Le 10 mai 1945, Claude est sauvé par des embarcations de la Croix rouge suédoise, en mer baltique. Il avait été abandonné sur un cargo par les SS, qui avaient fini par fuir au moment de la capitulation allemande. Il est transporté en Suède où il est soigné pendant deux mois dans une ancienne école, transformée en hôpital. « Je ne faisais plus que 30 kilos », se souvient-il.
Il reviendra vivre à Lyon avec sa grand-mère maternelle, la seule famille qu’il lui reste. Claude reprend les cours, va danser tous les samedis soirs au Palais d’hiver et fini par se marier avec une jeune femme qu’il rencontre là-bas. C’est le début d’une nouvelle vie, qu’il refuse de voir ternie par ce qu’il a vécu.
« Me suicider ? Ça ne m’est même pas venu à l’idée. J’avais eu la chance de rentrer ! Il fallait avancer. Je suis toujours partie de ce principe », affirme celui qui a fait preuve, tout au long de sa vie, d’une résilience qui force l’admiration.
Père, grand-père et arrière-grand-père comblé
Claude a fait la paix avec son passé. Lorsqu’on lui demande si la guerre le hante encore au quotidien, il répond sans mal : « Non. Et heureusement. C’était il y a très longtemps, j’ai eu ma famille après… »
Le Lyonnais est devenu père de trois enfants. Il est aujourd’hui grand-père de neuf petits enfants et même arrière-grand-père, quatre fois. « Je dis toujours que j’ai 16 membres de ma famille alors que j’aurais dû n’avoir personne, je n’aurais pas dû rentrer », lâche-t-il, les yeux remplis de gratitude.
Dans quelque temps, Claude reprendra ses interventions dans les écoles. Pour continuer de transmettre, de raconter. Pour ne pas oublier. Il le fera tant que son corps et son esprit le lui permettront. Mais à en juger par la qualité de sa mémoire, il peut encore donner quelques conférences…
Par Ludivine Caporal