Après avoir été défait par une coalition hétéroclite en juin 2021, Benyamin Nétanyahou revient aux affaires. Arrivé en tête des législatives avec ses alliés d’extrême droite et ultra-orthodoxes, le septuagénaire a été mandaté dimanche pour former le gouvernement et remonte sur la plus haute marche du pouvoir pour la troisième fois.
«Je reviens tout de suite !» Selon le média israélien Canal 12, c’est ce qui était écrit sur la note laissée en juin 2021 sur le bureau du Premier ministre, à l’attention de Naftali Bennett, qui a succédé l’an dernier à Benyamin Nétanyahou. Nul ne sait si le chef du Likoud en est l’auteur. Peut-être était-ce une facétie d’un de ses adjoints. En guise de signature, le drapeau d’Israël griffonné à la va-vite. C’est peut-être l’élément le plus important : Israël, c’est lui. Tout simplement. Nétanyahou ne mêle plus seulement sa personne et la fonction ; il estime que lui seul peut incarner ce pays et, par là même, le défendre contre des ennemis – en premier lieu le terrorisme et l’Iran – qu’il contribue à façonner, à force de répéter sans nuances les mêmes messages.
Il avait déjà prévenu Naftali Bennett en public, lors de la passation de pouvoir, le 13 juin 2021. Alors que son successeur joue l’apaisement, Nétanyahou l’éreinte, comme il le fait avec tous ses ennemis politiques : «Bennett n’a pas la stature internationale, l’intégrité, la capacité, les connaissances, ni le gouvernement pour s’opposer à l’accord sur le nucléaire [iranien].» Avant d’avertir : «J’ai un message pour l’Iran et son leader : l’opposition aura une voix forte. Et j’ai un message encore plus fort : nous reviendrons.»
Esclandres quotidiens
Las, Nétanyahou fut bien battu, après trois ans d’instabilité et quatre élections. Par ses adversaires traditionnels – la gauche – mais surtout par ses anciens partenaires, qu’il a démolis les uns après les autres. Bennett d’abord, qui était pourtant un admirateur du frère de Benyamin Nétanyahou, Yonatan, mort au combat dans le raid d’Entebbe (1976), et dont le journal, qui a inspiré tout une génération d’Israéliens, était son livre de chevet. Mais aussi Yaïr Lapid, qui fut son ministre des Finances. Ou Gideon Sa’ar, qui fut le seul à avoir osé défier le maître du Likoud dans une élection interne. Comme le Cronos de la mythologie engloutissant ses enfants avant d’être achevé par eux, la coalition la plus hétéroclite de l’histoire d’Israël – partis de gauche, centriste, de droite nationaliste sans compter une formation islamiste – a mis fin à son mandat. Commence sa deuxième traversée du désert. Premier ministre de 1996 à 1999, il était déjà resté dans l’opposition durant dix ans, jusqu’en 2009. A 71 ans, il se murmure alors que sa carrière politique est finie.
«Il ne s’attendait pas à ça. Il y a eu de la frustration, de la colère. Privé de son entourage, de ses conseillers, il semblait un peu à la dérive, ne sachant pas quoi faire. Mais il est reparti au combat dès le premier jour», raconte Anshel Pfeffer, journaliste à Haaretz et auteur d’une biographie du Premier ministre (1). Pour Fernand Cohen-Tannoudji, cadre au Likoud, «tout le monde le voyait mort et enterré. Mais je suis convaincu qu’il voulait revenir. Il a laissé passer les six premiers mois pour prendre un peu de champ et laisser Bennett s’embourber».
D’autant qu’après trois ans d’instabilité, une guerre avec Gaza, en mai 2021, où le Hamas n’a jamais tiré autant de roquettes, ni aussi loin, de nombreux Israéliens apprécient la nouvelle musique en train de se jouer. Nétanyahou, toujours sur la brèche, maintenant le pays en tension, est parti. Fini les esclandres quotidiens, les provocations, les convois qui partent en trombe de la rue Balfour, à Jérusalem. Fini les manifestations anti-Bibi hebdomadaires. Naftali Bennett, le leader ultranationaliste, se révèle en manager prévenant, à l’écoute de ses partenaires de gauche et de son allié arabe israélien, Mansour Abbas, le leader du mouvement Ra’am. Les religieux sont mis au pas par le ministre des Finances, le tonitruant Avigdor Lieberman. Israël, pendant quelque temps, se prend à croire qu’un autre destin est possible.
A droite toute
Cette étrange période de grâce atteint son apogée en novembre 2021, quand le gouvernement dit «du changement» parvient à faire voter deux budgets de suite, dans une bataille de trois jours et trois nuits où personne n’a manqué à l’appel, pas même la très droitière Idit Silman, colistière de Naftali Bennett, whip (chargée de veiller à la discipline parlementaire) de la coalition à la Knesset. Quant à Benyamin Nétanyahou, il semble au plus bas. Il s’embrouille lors du vote et se prononce à six reprises en faveur de la coalition. Voyant que rien n’arrête la majorité, ses alliés désertent peu à peu la Knesset. «Nous avons remis Israël sur les rails», se félicite alors Bennett. «Nous avons pris nos responsabilités. Nous avons tenu notre promesse», écrit Yaïr Lapid, l’architecte de la coalition et Premier ministre par alternance. Le duo improbable Bennett-Lapid semble fonctionner, entre le sioniste radical, ancien directeur du Conseil des colonies, et le centriste non idéologique, partisan de la solution à deux Etats.
Nétanyahou est discrètement contesté : il apparaît comme le meilleur ciment (contre lui) de la coalition. S’il part, la droite, pour laquelle le corps électoral israélien penche à quelque 60%, pourrait revenir au pouvoir. Mais l’ancien Premier ministre en a vu d’autres. Il reste à la tête de l’opposition, qui se baptise le «camp national», et présente l’avantage de la cohérence : à droite toute. Le Likoud se rapproche des deux partis ultra-orthodoxes Judaïsme unifié de la Torah et Shas, ainsi que des partis suprémacistes d’extrême droite du Sionisme religieux et Puissance juive. La bataille est menée aussi bien à la Knesset que dans la rue, en visant en priorité les membres de Yamina, le parti de Naftali Bennett, accablés par un harcèlement systématique. Le chef du gouvernement ne peut plus se rendre à sa synagogue. Il reçoit des menaces de mort. Ses enfants sont inquiétés à l’école.
Vague d’attentats
Au printemps 2022, les événements servent le chef de l’opposition. La Cisjordanie est secouée par une double révolte, contre l’occupation israélienne et l’Autorité palestinienne. Les raids de l’armée n’ont jamais été aussi nombreux depuis la Seconde Intifada. Le 22 mars, une vague d’attentats commence, la plus meurtrière depuis quinze ans. Une vingtaine d’Israéliens sont tués en quelques semaines. En avril s’ajoute une conjonction dangereuse : le ramadan et la Pâque juive ont lieu au même moment. Les provocations se multiplient à Jérusalem. La journaliste d’Al-Jazeera Shireen Abu Akleh est tuée en mai dans un raid de l’armée à Jénine, vraisemblablement par un soldat israélien. Trois semaines plus tard, les suprémacistes juifs défilent dans Jérusalem en nombre jamais vu, clamant à qui veulent l’entendre : «Mort aux Arabes.»
La coalition ne parvient pas à asseoir sa légitimité. Elle a été déjà fragilisée par le départ en avril d’Idit Silman, celle-là même qui était chargée de sa discipline au Parlement. Elle perd sa majorité absolue, avec 60 voix désormais, contre 59 pour l’opposition, sur les 120 que compte la Knesset. D’autres menacent de suivre. En juin, le gouvernement échoue à renouveler les lois d’exception qui régissent l’occupation de la Cisjordanie. Ces dispositions entérinent un régime différencié entre les citoyens juifs vivant dans les colonies, sous juridiction israélienne, et les Palestiniens, soumis à la loi martiale. «Bennett, rentre chez toi. C’est terminé», lance Nétanyahou à la Knesset à un Premier ministre usé. Bennett passe le relais à Yaïr Lapid. De nouvelles élections sont annoncées pour le mois de novembre, les cinquièmes en quatre ans.
Benyamin Nétanyahou apparaît comme le leader incontesté de son camp. Il maintient l’unité, encourage l’alliance de ses partenaires d’extrême droite pour ne perdre aucune voix. Tous mènent campagne tambour battant. En face, la coalition sortante arrive en ordre dispersé, minée par les divisions. Et pourtant, en valeur absolue, le camp anti-Nétanyahou rassemble 30 000 votes de plus que l’opposition lors des élections générales du 1er novembre. Mais faute de s’unir, le Meretz (parti de gauche) et le Balad (parti palestinien d’Israël) passent sous le seuil électoral pour siéger à la Knesset. Quelque 300 000 voix sont perdues. Nétanyahou remporte son pari.
«Les causes de son retour sont structurelles et conjoncturelles : après Ben Gourion, le fondateur de l’Etat d’Israël, Nétanyahou se voit comme le refondateur du pays, sur l’héritage du sionisme révisionniste, analyse Jean-Pierre Filiu, historien spécialiste du Moyen-Orient, auteur d’une biographie en français du chef du Likoud (2). C’est l’idée de la loi fondamentale sur Israël comme l’Etat-nation du peuple juif votée en 2018. Sans même parler d’introduire de la brutalité dans le débat public ou de se lancer dans une démarche illibérale, il est très difficile de l’exclure d’un jeu dont il a redéfini les règles. Quant aux causes conjoncturelles, il y a une incapacité évidente de constituer une coalition autre que : tout contre Nétanyahou. Ça le fait rester au centre du jeu.»
Mouvement illibéral
Le 1er novembre, sa victoire est nette : sa coalition, sur le papier, présente 64 députés. Dimanche, il a donc été chargé de former un gouvernement. Ses alliés d’extrême droite sont gourmands : Bezalel Smotrich ne demande pas moins que le portefeuille de la Défense. Quant au provocateur Itamar Ben Gvir, il veut la Sécurité intérieure. Mais Nétanyahou peut encore aller chercher d’autres ralliements.
«J’ai l’intention d’être le Premier ministre de tous. De ceux qui ont voté pour moi comme de ceux qui n’ont pas voté pour moi», a déclaré celui qui a transformé l’expression «de gauche» en insulte. Va-t-il présenter un visage plus conciliant ? Anshel Pfeffer en doute : «A 73 ans, on ne change pas, même s’il est plus modéré au pouvoir qu’en campagne.» Nétanyahou garantit vouloir poursuivre le chemin de la paix avec les pays arabes mais, sur le plan intérieur, il devrait avant tout s’attaquer au pouvoir judiciaire pour s’extirper de son procès – il est accusé de corruption, fraude et d’abus de confiance. Erodant un peu plus l’Etat de droit et s’inscrivant ainsi dans le mouvement illibéral, pour qui la démocratie, c’est l’élection. Et c’est tout. Pas de corps intermédiaires, pas de contre-pouvoirs.
Comme le rappelle Anshel Pfeffer dans son livre, Nétanyahou est peut-être le Premier ministre le plus pérenne de l’histoire du pays, surclassant son rival Ben Gourion, mais il l’est à chaque fois avec la plus petite proportion du corps électoral. Il est à la tête d’un pays traversé de multiples fractures qu’il a contribué non à fermer, mais à agrandir pour se maintenir au pouvoir. La plus profonde, entre deux visions du sionisme, deux visions de l’Etat, soit démocratique soit juif, semble de plus en plus profonde. Jusqu’à devenir infranchissable ?
(1) Bibi, The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu, non traduit.
(2) Main basse sur Israël, La Découverte.
par Samuel Forey