Au lendemain des injures proférées par l’animateur de «TPMP» contre le jeune parlementaire, «CheckNews» a interrogé plusieurs députés de La France insoumise.
«T’es une merde», «tocard», «espèce d’abruti», «je m’en bats les couilles que tu sois député», «qu’est-ce que tu viens foutre ici ?», «tu fais ton métier grâce à moi», «tout le monde te trouve ridicule», «t’es un naze». Voilà une partie du torrent d’insultes qu’a déversé l’animateur Cyril Hanouna sur son invité Louis Boyard, député de La France insoumise (LFI) et ancien chroniqueur de Touche pas à mon poste.
La raison ? Alors qu’il parlait de l’accueil des migrants, le jeune élu a osé dire qu’en France, «les cinq personnes les plus riches […] appauvrissent la France et elles appauvrissent l’Afrique», citant alors le cas du milliardaire homme d’affaires, propriétaire du groupe Canal + et donc patron d’Hanouna, Vincent Bolloré «qui a déforesté le Cameroun».
Séquence (quasi) intégrale de Louis Boyard chez Hanouna dans #TPMP (qui ne sera pas sur mycanal car il ne faut pas critiquer le parrain) pic.twitter.com/QUIHhkjQKM
— Yann (@LeDevBreton) November 10, 2022
La violence de l’animateur contre le jeune député, vue en direct par 1,7 million de téléspectateurs selon les chiffres de Médiamétrie, a suscité l’indignation d’internautes, se réunissant derrière les hashtags #boycottttmp ou #soutienlouisboyard.
L’Arcom saisie
Côté politique, plusieurs députés de la France Insoumise sont montés au créneau pour prendre la défense de leur camarade d’hémicycle. «Personne ne dit “ferme ta gueule” à un député de mon groupe. Pas même Cyril Hanouna et les laquais de Bolloré», a réagi Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, qui a adressé un courrier au président de l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). En réponse, plusieurs sympathisants de gauche l’ont appelée à «arrêter de participer à cette émission».
🔴 Ce qui s’est passé ce soir sur #TPMP est gravissime.
Personne ne dit « ferme ta gueule » à un député de mon groupe.
Pas même @CyrilHanouna et les laquais de #Bolloré
Nous saisissons l’@Arcom_fr
Nous ne nous tairons pas.
— Mathilde Panot (@MathildePanot) November 10, 2022
L’Arcom a confirmé ce jeudi à nos confrères du Parisien avoir été alertée par des téléspectateurs et va «visionner la séquence et passer au crible chaque phrase et les traiter de manière juridique et passer, le cas échéant à une instruction avant de prendre une décision».
Les élus de LFI peuvent-ils continuer à se rendre sur le plateau de Cyril Hanouna ? Sur les réseaux, de nombreux commentateurs ont appelé LFI à tirer les conséquences de la séquence, certains suggérant que la gauche aurait déjà dû déserter le plateau de l’émission phare de C8.
«Je pense qu’on va avoir une discussion», estime Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, qui pressent «qu’il y aura peu de volontaires pour aller chez Hanouna» dans les prochains jours. Joints par CheckNews, plusieurs députés insoumis espèrent que la question sera abordée au sein du parti et nous font part du dilemme auquel ils doivent faire face. «Il y a une tension entre les principes de ne pas cautionner des émissions où il y a un climat propice à la banalisation de l’extrême droite et le pragmatisme à ne pas disparaître de chaînes qui s’adressent à des millions de téléspectateurs», explique Autain.
«Un débat récurrent»
Pourtant habitué des plateaux de télévision du groupe Canal + que ce soit CNews ou TPMP, le député LFI du Nord David Guiraud souhaite «qu’on pose collectivement la question d’un boycott», tout en ajoutant qu’une telle proposition doit disposer «de possibilités de retour» sur le plateau, ne fermant pas ainsi la porte complètement. «Le boycott de cette émission ou de la chaîne ne serait pas complètement déconnant», pense aussi Ségolène Amiot, députée de Loire-Atlantique qui ne regarde plus la télévision et qui se désole du «peu de rappels à l’ordre» par l’Arcom et par la justice des propos insultants, mais aussi «homophobes et transphobes» qui ont pu être tenus notamment dans l’émission de Cyril Hanouna. Pour elle, la question de se rendre chez Hanouna «dit aussi comment on doit être traité humainement sur des plateaux de télé ou de radio». A titre personnel, elle n’irait pas.
«Ce qui s’est passé révèle une violence verbale et physique de Cyril Hanouna, qui est un militant de Bolloré» lance François Piquemal, député LFI de Haute-Garonne. Mais malgré cette violence constatée, l’élu n’a «pas d’avis tranché» sur la proposition d’un boycott d’Hanouna. «C’est une question de stratégie. En politique, on ne choisit jamais ses champs de bataille. C’est une émission qui est vue par des millions de personnes. Pour pouvoir faire rentrer nos idées, il faut qu’on aille y compris là où ça ne nous fait pas plaisir.» Il cite l’intervention de Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle. En janvier 2022, Jean-Luc Mélenchon avait participé à l’émission politique de Cyril Hanouna, où il avait affronté Eric Zemmour dans un débat houleux et plus long que prévu puis un syndicaliste policier. «Cyril Hanouna lui a tendu un piège mais le fait que Jean-Luc Mélenchon lui ait tenu tête, lui a permis de gagner des points», estime l’élu toulousain. Un point de vue contesté.
«C’est un débat récurrent. On s’était déjà posé la question pour CNews» abonde Julie Garnier, conseillère régionale d’Île-de-France LFI, qui avait également été invitée durant la campagne présidentielle chez Hanouna et qui pendant un an avait son rond de table chez Pascal Praud. «A LFI, on laisse la liberté à chaque élu d’aller où il veut. Les relations avec les journalistes fonctionnement sur du relationnel et c’est souvent une question d’affinité. Mais on a tous nos limites : jamais je ne retournerai chez Praud», déclare l’élue francilienne, avant d’estimer plus tard «mais il ne faut jamais dire jamais.» Irait-elle chez Hanouna après les insultes lancées à Louis Boyard ? «Si on me le propose ? Pas, là, tout de suite, mais peut-être à un autre moment.» Elle justifie ces hésitations face à la violence des plateaux du groupe Bolloré parce qu’ «il ne faut pas se fermer des portes. Il faut pouvoir aller toucher des gens. En allant chez Hanouna, Louis [Boyard] a mis le doigt sur les activités de Bolloré». Une réflexion partagée par Clémentine Autain, pour qui «l’épisode Louis Boyard est l’occasion de tirer la sonnette d’alarme sur la concentration des médias et le contrôle de l’information». L’élue souligne qu’elle déposera mercredi 16 novembre une proposition de loi visant à mettre fin à la concentration dans les médias et l’industrie culturelle.
Sollicité par CheckNews, Louis Boyard n’a pas répondu à notre demande. Un assistant parlementaire nous indique que le député réserve ses déclarations pour une conférence de presse lundi. Nul doute que la question du boycott lui sera posée. Dans un communiqué partagé vendredi, le député se borne pour l’heure à dénoncer «une tentative d’intimidation [de Cyril Hanouna] mais aussi d’une manifestation claire des méthodes de censure qui sont employées pour museler quiconque s’attaquerait à l’empire de ce milliardaire [Vincent Bolloré]» et annonce son souhait d’ouvrir «une commission d’enquête pour mesurer les ingérences de Vincent Bolloré sur les médias qu’il possède. L’objectif est notamment d’auditionner Vincent Bolloré et Cyril Hanouna».
par Jacques Pezet