À Marseille, une mère devait être présentée lundi 31 octobre à un juge d’instruction après avoir avoué le meurtre de son fils autiste de 11 ans. Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, dénonce les réactions parfois compassionnelles des médias ou de la justice face aux parents coupables d’infanticides. »
De ce garçon âgé de 11 ans, on ne sait pas grand-chose à ce stade. Juste qu’il était autiste et qu’il a été tué avec un couteau de cuisine. Son corps a été retrouvé samedi 29 octobre à Marseille. Rapidement soupçonnée, sa mère a fini par avouer son meurtre survenu la veille. Ce lundi, elle devait être présentée à un juge d’instruction en vue de sa mise en mise en examen. Selon un communiqué du parquet de Marseille, cette mère a évoqué « les crises » dont souffrait son fils de 11 ans, autiste, expliquant qu’« elle n’arrivait plus à gérer la situation ». Le jour du meurtre, elle a « estimé que cela ne finirait jamais ».Séparée de son mari, la meurtrière présumée n’exerçait pas de profession et s’occupait « à plein temps » de son fils, son seul enfant. C’est ce qu’a expliqué sa sœur à l’Agence France-Presse. « Elle était très protectrice de cet enfant, elle s’est battue (…). J’avais essayé de l’aider pour qu’elle se fasse accompagner par des institutions spécialisées mais cela avait échoué », a-t-elle ajouté.
Face à ce drame, Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, reste prudente. « On sait que des milliers de parents d’enfants autistes sont livrés à eux-mêmes et se retrouvent épuisés face à des situations proprement invivables. Mais, pour le moment, on ne sait rien du parcours de ce garçon et de sa mère à Marseille. Surtout, évitons ce discours parfois plein de bons sentiments pouvant laisser penser que tuer son enfant serait la seule issue qui resterait à un parent désemparé. Ce n’est pas un acte d’amour que de tuer son enfant autiste », indique cette responsable associative visiblement échaudée par la médiatisation de certaines affaires d’infanticide sur fond d’autisme ou de handicap lourd.
Plusieurs cas emblématiques
Un cas emblématique reste celui de Jeanne-Marie Préfaut, une femme de 51 ans qui, en février 1996, a été condamnée à cinq ans de prison avec sursis pour avoir tué Sophie, sa fille de 23 ans. « Un geste d’amour », selon cette mère qui avait promis à sa fille qu’elle ne retournerait pas en hôpital psychiatrique où elle avait beaucoup souffert.
« Un crime d’amour. » Ce furent aussi les mots de l’avocat d’une autre mère condamnée, elle, à trois ans de prison avec sursis en mars 2001 par la cour d’assises de Saint-Brieuc. En décembre 1998, elle avait tué par noyade son fils de 10 ans, Pierre, atteint d’un autisme sévère. « Il est scandaleux que les parents d’autistes soient obligés de faire du porte-à-porte, de pleurer devant les éducateurs, de supplier les chefs d’établissements spécialisés pour qu’ils s’occupent de leur enfant », s’était alors indigné l’avocat général tout en réclamant une peine de principe pour cette mère. « On ne saurait ignorer le risque toujours présent d’un eugénisme subtil qui s’installerait en douceur pour des raisons économiques, psychologiques », avait tenu à mettre en garde le magistrat.
Ces deux affaires ont été analysées par Jean-Pierre Durif-Varembont, psychologue clinicien et psychanalyste, dans un texte (1) paru en 2018. « La première impression qui ressort est la compréhension compassionnelle d’une partie de la presse et l’indulgence de la justice, écrit-il. À lire la presse de l’époque, on ne sait plus qui est la victime et qui est l’auteur. Dans une inversion constante des places, la mère meurtrière devient plus une victime de la souffrance que lui inflige l’autisme de son enfant que l’auteur d’une transgression de l’interdit d’attenter à la vie d’autrui. »
« L’embarras de la société face au meurtre des enfants gravement handicapés »
« L’épreuve de ces mères est réelle », ajoute le psychanalyste, qui refuse pourtant de voir un « acte de courage ou d’amour » dans ces crimes. « Certains commentaires pourraient laisser croire qu’il n’y a dans ces cas tragiques pas d’autres solutions que de tuer son enfant autiste pour abréger ses souffrances. N’y a-t-il pas là appel au meurtre et mépris pour tous les parents et les enfants, autistes par ailleurs ? Absoudre ou excuser le crime serait une façon de nier l’existence même de ces enfants. »« Les verdicts atténuent la gravité de la transgression pour tenir compte des circonstances particulières de ces drames, mais ils montrent surtout l’embarras de la société face au meurtre des enfants gravement handicapés, comme si la société se rachetait de la culpabilité de sa défaillance dans la prise en charge de l’enfant autiste et de sa famille, et plus largement de toutes les personnes handicapées et de leurs proches », poursuit-il.
Mais l’attitude de la justice reste variable face au meurtre d’un enfant autiste. Si elle délivre volontiers du sursis, elle sait aussi parfois frapper fort. En mars 2020, la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle a condamné à seize ans de réclusion criminelle une mère qui, quatre ans plus tôt, avait poignardé son fils autiste de 14 ans. « Je pensais qu’elle bénéficierait d’une certaine clémence. Mais le cas de cette mère n’a suscité ni émotion, ni compassion chez les magistrats et les jurés, qui sont même allés au-delà des réquisitions du parquet puisque celui-ci avait réclamé douze ans de prison », explique Me Gérard Kremser, l’avocat de la mère, qui n’a pas souhaité faire appel.
(1) De la haine contenue au meurtre de l’enfant handicapé – Jean-Pierre Durif-Varembont Dans Handicap et mort (2018), pages 131 à 148