S’il souhaite récupérer son poste de Premier ministre, « Bibi » va devoir compter sur l’extrême droite. Au risque de la voir séduire de nombreux électeurs. De notre correspondante à Jérusalem, Danièle Kriegel.
Reviendra ? Reviendra pas ? À huit jours des législatives en Israël, les cinquièmes en moins de 4 ans, la question du retour ou non de Benyamin Netanyahou au poste de Premier ministre est toujours au centre de la bataille électorale.
Selon les derniers sondages, son parti, le Likoud, est en tête, avec 30 ou 31 mandats. Même si l’on ajoute les 15 à 16 mandats prédits pour les formations ultra-orthodoxes, on est loin des 61 députés sur 120 nécessaires pour former une coalition majoritaire. Et c’est là qu’intervient la particularité de cette campagne électorale : la montée en puissance de la liste anti-arabe et messianique dirigée conjointement par Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, « le Sionisme religieux ».
Créditée aujourd’hui de 14 mandats, elle se présente comme la grande alliée du Likoud. Une alliance négociée, il y a trois mois, par Benyamin Netanyahou, mais qui, aujourd’hui, l’inquiète. En effet, son propre parti perd des voix au profit de l’extrême droite.
Un discours extrême qui séduit de plus en plus
Pour tenter de reprendre la main, l’actuel chef de l’opposition laboure le terrain, avec pour cible les villes de la périphérie de Tel-Aviv. Fiefs traditionnels de la droite, elles ont, lors de l’élection précédente, traîné des pieds en préférant souvent la plage aux bureaux de vote. Comme à Kiryat-Malakhi où, malgré un net avantage sur le camp adverse, Benyamin Netanyahou n’a pas fait le plein des voix. Et aujourd’hui, le scénario pourrait se reproduire, compte tenu, cette fois, de la bagarre interne entre fidèles de Bibi (le surnom familier de Netanyahou) et ceux qui lui préfèrent le programme de la droite extrême.
Ultranationalistes, religieux, homophobes et anti-arabes, Smotrich et Ben-Gvir affirment aussi leur volonté de transformer le système judiciaire du pays, en réduisant notamment les pouvoirs constitutionnels de la Cour suprême. Et, cadeau à Benyamin Netanyahou, ils veulent rayer du Code pénal la notion d’abus de confiance, un élément central de l’acte d’accusation contre le chef de l’opposition.
En attendant, le discours du « Sionisme religieux » ultraconservateur, annexionniste et vécu comme une révolution destinée à renverser les vieilles élites plaît de plus en plus. Notamment auprès des jeunes juifs israéliens souvent déçus par ce qu’ils appellent « la mollesse de la droite bibiste ».
Ne pas être « l’otage » de ses nouveaux alliés
Derrière la vitre blindée de son bus de campagne, et en 10 minutes chrono, le leader du Likoud a donc rappelé quelques vérités. Notamment la nécessité, pour son parti, de recevoir un soutien massif dans les urnes : « Cette fois, il faut aller voter. Un an avec cette bande [référence au gouvernement actuel], ça suffit ! » En clair, Benyamin Netanyahou veut pouvoir bénéficier du plus grand nombre possible de députés afin de ne pas être l’otage de ses alliés.
Forts de leur succès dans les sondages, Smotrich et Ben-Gvir sont de plus en plus gourmands. Ils ne font pas mystère de leur ambition : celle d’obtenir des portefeuilles-clés dans un cabinet Netanyahou, notamment le ministère de la Défense, celui des Finances, voire la Justice.
Avant d’arriver en politique, Boaz Bismuth était journaliste. Il fut jusqu’à récemment le rédacteur en chef du quotidien gratuit pro-Netanyahou Israël Hayom (Israël aujourd’hui). Très proche de l’ancien Premier ministre, il est aujourd’hui éligible, grâce à sa 27e place sur la liste du Likoud. Interrogé sur les exigences du couple Smotritch-Ben-Gvir, il se veut rassurant :
« Je crois qu’en français on dit : Ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué… Donc il nous faut d’abord remporter l’élection, puis former un gouvernement. Les précédentes consultations nous ont appris qu’il fallait rester modeste. Maintenant, pour répondre à votre question : je sais qu’à l’étranger, tous deux sont traités de fachos qui détestent les libéraux, les progressistes. Mais je veux rappeler une chose : qu’on le veuille ou non, le Likoud est un parti libéral. Certes conservateur en ce qui concerne l’État, mais très libéral dans le domaine des droits de la personne. Alors oui, Smotrich et Ben-Gvir sont nos associés. Pourtant, c’est le Likoud qui mène la danse. Dans le prochain gouvernement que, j’espère, nous formerons, nous ne franchirons pas certaines lignes. »
Les réseaux sociaux en ébullition
À la différence de la rue, plutôt calme malgré l’imminence du vote, les réseaux sociaux sont en ébullition. Réactions et insultes fusent autour de la dernière polémique en date : la soirée électorale de Ben-Gvir organisée au domicile de Joey Schwebel, le patron de Zara Israël. Révélée par une chaîne télé, elle a provoqué la colère de personnalités arabes israéliennes qui ont appelé au boycott de l’enseigne. Résultat : des applications de Zara supprimées sur les smartphones et des vêtements brûlés dans plusieurs localités arabes… Le tout, bien sûr, avec photos postées sur Facebook, Twitter, Instagram, etc.
בחברה הערבית שורפים את הבגדים של ZARA.
אקט שתופס תאוצה במחאה על הזכיין של זארה בישראל שארח את בן גביר, https://t.co/RHijbkz9bm pic.twitter.com/kBQnOaYB8l— Asslan Khalil 💚 (@KhalilAsslan) October 21, 2022
Et le bloc des anti-Bibi dans tout cela ? Pas vraiment de quoi pavoiser. Les enquêtes d’opinion récentes montrent que sur la question « Qui est le plus apte à diriger le pays ? », Netanyahou fait la course en tête. Il devance l’actuel Premier ministre Yaïr Lapid de 5 à 7 points.
L’inquiétant désintérêt des électeurs
Quant à la gauche, représentée par les Travaillistes et le petit parti anti-occupation, Meretz, elle se bat pour se maintenir au-dessus du seuil d’éligibilité, soit 140 000 voix au moins. Un combat que mènent également toutes les formations arabes, dont le principal défi n’est autre que le faible taux de participation annoncé dans ce secteur : de 43 à 46 %. L’objectif pour cette dernière semaine de campagne est donc de faire bouger les électeurs avec, comme pari, une participation d’au moins 50 % des inscrits. Un pari d’autant plus risqué que le désintérêt de beaucoup d’électeurs arabes s’est encore creusé avec l’absence d’accord en matière de surplus des voix.