Alors que la maison historique a rouvert ses portes sous l’impulsion de deux femmes, Anne et Marion, retour sur l’histoire d’une créatrice et de ses pulls en mohair devenus culte.
C’est une griffe méconnue qui devrait pourtant parler à quelques férus d’histoire de la mode, ou aux élégantes des années 80. Voilà Anny Blatt en pleine renaissance sous l’impulsion d’Anne, la styliste, et de Marion, la présidente du label, bien décidée à « relancer cette marque emblématique de son enfance ». Au programme, de la maille, rien que de la maille, la spécialité de cette maison oubliée, lancée dans les années 30.
Qui est Anny Blatt ?
Née en 1910 à Mulhouse, Anny Blatt délaisse très vite son Alsace natale pour la bouillonnante Paris. La voilà, à 23 ans, à la tête d’une maison de Haute Couture spécialisée dans la confection de « vêtements à l’aiguille », soutenue par sa mère, qui dirige les ateliers – aucune information n’existe cependant sur ce qui lui a permis de lancer sa propre maison. Installée rue du Faubourg Saint-Honoré, Anny Blatt jouit très vite d’une excellente réputation : sa première collection tape dans l’œil du magazine Vogue, qui, pour la seule année 1933, met à l’honneur cinq de ses créations dans ses pages. La spécialité de la jeune créatrice ? Des « sweaters de ville », soit des pièces en laine aussi chic que confortables, une petite révolution pour l’époque. Comme Gabrielle Chanel avant elle, Anny Blatt n’a qu’une idée en tête : libérer les corps des femmes sans pour autant sacrifier leur élégance, en écho au courant d’émancipation féminine apparu dans les Années folles.
De Paris à New York
Intrépide, Anny Blatt l’est. Dès 1934, la créatrice traverse l’Atlantique pour se rendre aux États-Unis, à New York, où elle envisage d’ouvrir une filiale de sa marque. Comme à Paris, le succès est immédiat, ainsi que le raconte le site de la griffe : « Anny Blatt devient la chouchou des élégantes Américaines, qui raffolent de ses créations. Le New York Times la qualifie, dans un article paru le 13 octobre 1935, de “pionnière de l’aiguille” ! ».
Au même moment, la créatrice, qui ne chôme pas, lance en France une seconde société, Les laines Anny Blatt, au travers de laquelle elle vend sa matière première : la laine. Elle fait ainsi fabriquer ses propres pelotes, qui portent son nom et sont commercialisées dans une boutique de la rue Réaumur, et crée également son propre fil, le « fil week-end », quand elle ne donne pas des cours de tricot à une poignée de clientes. Toujours dans cette idée d’un « do it yourself » grand luxe, Anny Blatt imagine également des modèles Haute Couture à faire soi-même, dont les détails de confection sont publiés dans les magazines féminins de l’époque. La Seconde Guerre mondiale met pourtant fin à cette fulgurante ascension. De confession juive, Anny Blatt est en effet forcée de confier son entreprise, aryanisée, à son associée, qui continuera l’activité de cette dernière tout au long de l’Occupation. Ce n’est qu’en 1945, à la fin de la guerre, que la créatrice en reprend les rênes.
Star de la Haute Couture et « magicienne du tricot »
C’est une Anny Blatt plus acclamée que jamais qui fait son retour sur la scène Haute Couture en 1945 : sélectionnée par la chambre syndicale de la Couture parisienne au côté de maisons comme Hermès ou Van Cleef & Arpels, la créatrice s’embarque dans une exposition itinérante qui va de Londres à New York. L’occasion pour le monde entier de découvrir les vêtements en maille « élégants et légers, confortables, faciles à porter » de la créatrice alsacienne. Alléger le vestiaire de la femme, c’est l’obsession d’Anny Blatt, qui en 1953, dévoile une robe du soir grand luxe ne pesant que 180 grammes. Un tour de force qui fait d’elle la « magicienne du tricot », comme la renomme Le Monde.
Femme des années 80
Vendue au groupe textile Hervillier en 1968, la maison Anny Blatt cesse définitivement la Haute Couture pour se concentrer sur la laine et les pulls qui ont fait sa renommée. Dans l’idée de perpétuer la tradition « do it yourself » de la créatrice, un catalogue bimestriel offre aux lectrices et fans de la griffes toutes les instructions pour réaliser elles-même les modèles-phares de la marque. C’est un succès, et, au mitan des années 80, Anny Blatt est sur le dos de toutes les élégantes, fans de ces pulls luxueux que même les stars s’arrachent. Linda Evangelista en couverture du numéro 73 du magazine maison, ou Anne Sinclair, présentatrice-star de 7 sur 7 dont les pulls en mohair défrayaient la chronique autant que ses entretiens… Toutes les femmes aiment Anny Blatt.
Cerise sur le gâteau, la griffe s’offre en 1985 les services de Serge Gainsbourg, qui signe pour Anny Blatt la réalisation et la musique originale d’une campagne publicitaire destinée à la télévision. Une femme, un homme, un pull, une bande-son sensuelle et un slogan – « Créez votre séduction » –, achèvent de faire d’Anny Blatt la marque que tout le monde s’arrache.
Puis Anny Blatt tombe dans l’oubli, comme le tricot, qui ne colle plus avec l’emploi du temps intense des femmes des années 90, à qui l’on demande de gérer vie professionnelle et vie de famille comme des Wonder Women. L’émergence d’une mode fabriquée en Asie met également en péril l’industrie textile française et les entreprises locales qui vont avec. Rachetée en 1991 par la filature Pierre de Loye, Anny Blatt ferme ses portes en même temps que cette dernière en 2019. Un an plus tard, deux passionnées rachètent la marque et ses archives, avant de dévoiler, à l’automne 2021, une nouvelle collection mettant à l’honneur le meilleur du savoir-faire Anny Blatt et proposant, évidemment, des pulls doudous qui ont tout pour connaître le même succès que ceux imaginés par une jeune Alsacienne près d’un siècle plus tôt.
Margaux Krehl