Dans un entretien au « Monde », l’acteur et réalisateur de « L’Innocent » explique avoir voulu faire un film de braquage non dénué de dimension sentimentale.
D’inspiration autobiographique, L’Innocent, le quatrième long-métrage réalisé par Louis Garrel, raconte un braquage en bande organisée, sans sacrifier l’intérêt du cinéaste et acteur pour l’art de la séduction et les tourments amoureux. Il nous explique ses choix.
Votre mère, Brigitte Sy, a animé des ateliers de théâtre en prison pendant vingt ans et a épousé un homme derrière les barreaux lorsque vous aviez 18 ans. Elle en a tiré un film, « Les Mains libres », en 2010. Dans quelle mesure « L’Innocent » lui répond-il ?
On peut dire que c’est le contrechamp du point de vue de l’enfant. En ce sens, mon film a quelque chose qui tient de la légèreté des premiers spectacles faits d’aventures, de suspense, de comédie voire de vaudeville qu’on voit avec ses parents.
Mes personnages traversent des moments de vie dramatiques – Michel (Roschdy Zem) sort de prison et Abel (Louis Garrel) a perdu sa femme –, mais le film ne fonctionne pas selon un régime pathétique. Ma mère, quant à elle, ne s’est pas reconnue…
Pourquoi avoir choisi le genre du polar pour raconter le tissage de ces nouveaux liens intimes et familiaux autour de Michel ?
En jouant avec les références des films de braquage – l’intensité dramatique qui s’accélère, les personnages qui vivent de plus en plus fort –, je voulais que la narration n’ait de comptes à rendre qu’au cinéma, afin que cette histoire soit accessible au plus grand nombre.
J’avais aussi envie de faire un polar du côté des voyous, sans policier, de sorte que les spectateurs deviennent complices du crime. Pour autant, c’était important de ne pas trahir le lyrisme sentimental qui appartient à la vie.
Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
L’Ultime Razzia (1956), de Stanley Kubrick, dans lequel la machinerie d’un casse se dérègle à cause de la présence d’une femme. Il y a aussi Les Inconnus dans la ville (1955), de Richard Fleischer, les films de Jean-Pierre Melville et Ocean’s Eleven (2001), de Steven Soderbergh. Quand j’étais enfant, j’ai passé pas mal de temps avec d’anciens braqueurs que ma mère invitait à la maison. En discutant avec eux, j’ai pu sentir combien la figure cinématographique du bandit pouvait inspirer des gens qui avaient pourtant passé des années en prison. La référence : Le Récidiviste (1978), de Ulu Grosbard, avec Dustin Hoffman. Très réaliste.
Comment avez-vous préparé le tournage de la longue séquence de braquage sur le parking d’un restoroute ?
J’ai demandé à Jean-Claude Pautot, un ancien détenu qui a fait vingt-cinq ans de prison [auteur de Face au mur, Casterman, 2017] de m’aider à construire une maquette avec l’emplacement du camion et la vitre du restaurant. Ensuite, j’ai demandé à d’anciens voyous ce qu’ils feraient à la place des personnages, puis je les ai filmés pendant une heure autour de ce décor en miniature.
Mais j’ai vite compris que je ne pourrais pas faire correspondre leur dispositif avec les lois du cinéma… J’ai donc parfois sacrifié le réalisme à la cinégénie de la séquence.
A l’inverse de vos précédents films, vous dirigez des acteurs qui ne sont pas issus de votre cercle familial ou amical. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Je cherchais à faire un film avec des personnages très définis, comme au théâtre. Des personnages qui ont leur existence propre, indépendamment de celle des acteurs. J’avais envie de voir des performances de jeu très maîtrisées, ne pas avoir mal pour les acteurs quand ils allaient se mettre en colère, ne pas leur demander de se lâcher, ni avoir de référence intime de leurs émotions. C’était une manière de s’éloigner d’une représentation naturaliste.
Pour la première fois, vous tournez en dehors de Paris, à Lyon…
Je voulais arriver dans une ville où je n’avais pas un surmoi culturel qui allait me censurer. J’aurais été moins romanesque à Paris, car j’y habite. Pendant le tournage, j’ai demandé à l’équipe de ne pas avoir peur du Lyon touristique, comme les metteurs en scène qui vont filmer la Sagrada Familia à Barcelone ou n’importe quel James Bond tourné en ville. La périphérie aussi m’intéressait pour être le plus contrasté et expressif possible.
« Pour le plaisir », de Herbert Léonard, « Une autre histoire », de Gérard Blanc, « Nuit magique », de Catherine Lara… Vous utilisez dans la bande-son du film de nombreuses musiques de variété, c’est un goût personnel ?
Je voulais que le film soit inondé de l’univers du personnage de la mère, probablement sa musique de jeune fille, qu’elle continue d’aimer comme pour se rappeler qu’elle n’y a pas renoncé. La variété française a quelque chose d’irrésistible parce qu’elle est constamment au premier degré. Elle chante des thèmes génériques comme l’espoir, l’amour, la peine, la douleur… Moi aussi, je voulais faire un film de variété pour aller directement au sentiment.