Frédéric Métézeau, notre correspondant à Jérusalem, nous parle de « Who By Fire », un livre sur histoire peu connue de la tournée de concerts de Leonard Cohen sur les lignes de front de la guerre du Yom Kippour en 1973.
Il y a 49 ans, Israël était plongé dans la guerre du Kippour face à l’Egypte et la Syrie. Pour remonter le moral des troupes, les soldats israéliens ont reçu la visite de Leonard Cohen, le chanteur canadien de confession juive. Cette « tournée » dans le désert du Sinaï fait aujourd’hui l’objet d’un livre signé du journaliste et auteur primé, Matti Friedman. Who By Fire ( Qui par le feu ), c’est le titre de l’ouvrage, c’est une des chansons les plus célèbres de Leonard Cohen mais c’est d’abord une phrase d’une prière juive de Yom Kippour, le jour du grand pardon. Sur la couverture, une photo iconique de Leonard Cohen, à genoux dans le sable, guitare à la main, qui chante au milieu des soldats avec en arrière-plan un char d’assaut et ses mitrailleuses.
Le grand reporter Matti Friedman, un canadien juif installé à Jérusalem qui signe l’ouvrage, raconte comment le poète s’est retrouvé dans ce chaos : “A cette époque Leonard Cohen vivait dans l’île grecque d’Hydra. Il traversait une période sombre de sa vie et de sa carrière, il avait 39 ans, le bon moment pour la crise de la quarantaine ; et c’est le moment où la guerre éclate. Je pense qu’il a vu dans la crise israélienne un moyen d’échapper à sa vie. Il le fait sans idée claire sur ce qu’il va faire. Il arrive sans guitare et après avoir annoncé sa retraite. Donc à la base, il ne vient pas en tant que Leonard Cohen la rock star, je pense qu’il vient en pèlerin. Il vient car il est profondément relié au peuple juif et il a besoin d’être là à un moment de crise. Il dit qu’il est volontaire pour aller au kibboutz récolter les pamplemousses. Sur la route, il rencontre des musiciens israéliens qui le persuadent de jouer pour les soldats au front et c’est le début d’une des tournées les plus étranges dans l’histoire de la musique rock !” -Matti Friedman-
Les concerts sont improvisés, on n’en connaît ni les dates ni les lieux, mais Matti Friedman ne se contente pas de nous donner le point de vue des soldats-spectateurs qu’il a retrouvés 49 ans après, il donne aussi la parole à Léonard Cohen à travers un texte inédit :
« L’une des choses les plus étranges dans cette histoire, c’est que Leonard Cohen ne l’a presque jamais mentionnée et le mystère a été résolu quand j’ai trouvé un manuscrit qu’il avait écrit, 45 pages décrivant cette expérience délirante. Le manuscrit n’a pas été mis en forme, c’est très cru, très choquant par moments à cause du langage qu’il utilise. Ce n’est pas le Léonard Cohen élégant, c’est un Léonard Cohen en colère et confus et c’est ce qui rend le manuscrit stupéfiant. Il n’a jamais été publié, il l’avait envoyé à un éditeur et il prenait la poussière dans un tiroir de la bibliothèque universitaire d’Hamilton en Ontario juste à côté de Toronto. Je l’ai trouvé là avec l’aide d’un bibliothécaire intrépide qui a découvert ce trésor. » -Matti Friedman-
Le résultat ce sont 200 pages poétiques, parfois violentes parfois un peu déglinguées. Une plongée dans un Israël qui n’existe plus, 3 millions d’habitants en 1973 contre 9 aujourd’hui, beaucoup plus à gauche et beaucoup moins religieux qu’en 2022.
Une réflexion sur l’art et l’identité
On est à l’époque de la guerre du Vietnam et des chanteurs contestataires mais Leonard Cohen s’affiche aux côtés de soldats. Matti Friedman rapporte cette citation : « Seul le nationalisme produit de l’art ».
« C’est une déclaration incroyable mais je pense que Cohen croyait aux particularités. Il ne voulait pas d’un monde à la Imagine que décrit John Lennon, pas de pays, pas de frontières, pas de religion. Je pense que Leonard Cohen aurait trouvé un tel monde horrible. Il pensait que c’était bon d’avoir des endroits spécifiques qui génèrent des cultures spécifiques. Il ne voulait pas voir ces frontières effacées. » -Matti Friedman-
Il n’existe aucun album « live » de ces concerts dans le désert. La plupart des enregistrements de la radio de l’armée sont introuvables mais Matti Friedman a retrouvé un extrait de Leonard Cohen dans le Sinaï grâce au journaliste Yoav Kutner, une sorte de Philippe Manoeuvre israélien. Il nous les a transmis, on entend Cohen chanter So Long Marianne puis s’adresser en anglais à son public traduit en hébreu.