Dans Les Méditerranéennes, Emmanuel Ruben fait revivre la communauté juive berbère d’Algérie dans un récit épique et tragique inspirée de son histoire familiale. Son roman a fait partie de la première sélection du prix Goncourt.
Sa maison ouvre sur la Loire, « décor théâtral de sable et d’indigo », comme Emmanuel Ruben l’écrit dans Les Méditerranéennes. Un décor idéal pour s’étourdir de rêves et éloigner la pression médiatique : il a fait partie de la première sélection du Goncourt.
« Ce matin, au club de vélo, tout le monde le savait, s’amuse cet écrivain de 42 ans, installé à Ingrandes (Maine-et-Loire), ancien directeur de la maison Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil, passionné de cyclisme autant que de littérature. En France, les livres se vendent peu mais on en parle. Or, pour un écrivain, l’important c’est qu’on lise son livre. »
«Ils parlaient berbère»
Géographe de formation, historien par passion, il entremêle ces deux sciences dans sa dizaine d’ouvrages. Deux ans après Sabre, qui s’attachait aux racines protestantes de sa famille paternelle, Les Méditerranéennes s’inspire de sa famille maternelle, des juifs berbères de Constantine en Algérie, dont l’origine remonte à l’Antiquité.
Des Juifs, pas des pieds-noirs, insiste Ruben. « Je refuse ce terme associé aux colons. Eux étaient commerçants ou artisans. Ma grand-mère parlait arabe. C’était leur langue. Avant l’arrivée des Arabes, ils parlaient berbère. »
Des Juifs que rien ne distingue des Arabes, jusqu’au décret Crémieux (1870) leur accordant la citoyenneté française quand les Arabes restent indigènes. « C’est le début des emmerdements », fait dire l’écrivain à l’un de ses personnages.
« Le début de la guerre d’Algérie »
Les Méditerranéennes tire le fil de l’Histoire et de son lot d’horreurs que la mémoire tente d’effacer. Qui se souvient du pogrom d’août 1934 à Constantine où 25 juifs « sont torturés et égorgés » ? Ou du massacre de Guelma, le 8 mai 1945 qui, avec celui de Sétif, « a fait des milliers de victimes arabes. Le début de la guerre d’Algérie. »
Une Algérie qui ne sera plus ce pays où des peuples cohabitent pacifiquement. Comme sans doute l’Ukraine de demain. Emmanuel Ruben le sait. Cycliste accompli, il a parcouru à vélo en 2016 « ce pays composé d’une mosaïque de peuples, plus grand que la France ».
Il y reviendra avec un recueil d’auteurs ukrainiens qu’il a dirigé. Mais au regard de l’histoire algérienne, comment ne pas jeter un œil désabusé sur l’avenir ? « Poutine a réussi à détruire ce qu’il y avait de russe en Ukraine. Une catastrophe pour la langue et la culture russe. » Plutôt que de céder à la colère, Ruben clôt Les Méditerranéennes par un appel « à retrouver le sens de la paix ».
Une écriture ample et généreuse
« Un livre qui rendrait la parole à toutes les femmes juives de la famille, à toutes ces Méditerranéennes qui portaient le monde sur leurs épaules. » Tel est le vœu de Samuel Vidouble, alter ego d’Emmanuel Ruben sur la tombe de sa grand-mère, Mamie Baya, qui règne sur la « smalah » dont l’exubérance rappelle les personnages d’Albert Cohen. Porté par une écriture ample et généreuse, ce roman en est la réponse, mélange d’histoires vraies et de fantaisies tissées autour de la grande Histoire, celle d’un XXe siècle meurtri par les guerres et les pogroms qui frappent les communautés algériennes, arabes, juives et les renvoient, pour l’une à la dictature militaire, pour l’autre à un exil inconsolable.
Les Méditerranéennes, Stock, 411 pages, 22 €.