Minot des quartiers Nord de Marseille, cet ex-mannequin devenu réalisateur à succès plonge avec son film «Novembre» dans les attentats de 2015 et le stress d’une cellule de crise.
Cédric Jimenez est un grand gosse agaçant. On le dégomme, et bing, il se relève, avec une insistance de héros de jeux vidéo. De glorieux gloseurs du grand écran étrillent son cinéma, il digère sans rancœur, ni rancune manifestes. «C’est à moi de les faire changer d’avis. Après, je trouve dommage quand il y a un systématisme à ne pas aimer», concède l’intéressé, bouclettes rebelles et regard Méditerranée. Vampirisé par l’extrême droite, son film Bac Nord, plus de 2,2 millions de spectateurs au compteur, a fait l’objet de polémiques surréalistes. De là à coller au réalisateur des accointances coupables, il y a une approche en crabe qu’on se garde d’adopter. Grandi dans les quartiers Nord, le Marseillais a voulu «montrer pourquoi, dans cet écosystème bouillonnant, des policiers dérapent». «Ça devrait être possible, non ?», lâche-t-il, nous dévoilant dans un large sourire l’écart de ses quenottes. Novembre, son nouveau long, montre les femmes et les hommes de la Sous-direction antiterroriste (Sdat) pendant les cinq jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre. Une cellule de crise qui n’a qu’une mission : trouver les semeurs de mort, ces insensés censeurs des terrasses, et les empêcher de frapper encore. On l’aura compris, le kif de cet amoureux d’Henri Verneuil et de Brian De Palma, qui cite le film Parasite en «dernière grande claque», c’est l’humain branché sur haute tension, et le fonctionnement d’un collectif face au chaos et à l’urgence.
Dans les locaux de son producteur, la lumière émoussée de septembre estompe un peu le stress des sollicitations, et d’un souci inattendu. A l’écran, celle qui a permis la localisation des islamistes planqués à Saint-Denis porte le foulard. Or le hijab ne concerne en rien ce «témoin protégé», dont l’identité a été volontairement gommée par l’Etat. L’erreur reconnue, les deux parties se sont accordées sur l’ajout d’un avertissement. Quant à associer le voile au mot terrorisme, notre interlocuteur, athée, n’y a jamais songé : «Il y a tellement de femmes pacifiques qui le portent dans le monde.»
A l’aise dans ses baskets Gucci, l’ex-mannequin revient sur un «coup de pouce» inespéré. A 19 ans, fantasme américain en tête et finances flageolantes, il s’expatrie à New York. Repéré par une agence, il abandonne vite son job de barman. «Calvin Klein, ça me parlait vaguement. Et je me retrouve à poser avec Kate Moss…» Shooté par Bruce Weber, Richard Avedon ou Mario Testino, le beau gosse au sang italo-corse fait les campagnes de Ralph Lauren et d’Armani. Pendant six ans, la machinerie tourne à plein, le satellisant au Brésil, en Inde ou en Indonésie. Avide d’immersion, il y prolonge ses séjours, loin de l’esbroufe des cinq étoiles. Bosser devant les objectifs lui insuffle bientôt le sens du cadrage et de la lumière. Côtoyer les artistes, l’audace de caler son pied dans l’entrebâillement du ciné. D’abord, en investissant avec Joey Starr dans une société de prod, puis en osant réaliser un premier thriller urbain Aux yeux de tous, avec les images prises par des webcams et des caméras de surveillance.
Fils d’une fonctionnaire de la CAF, qui l’a élevé seule, le quadra alterne entre son appartement du IIe arrondissement de Paris et un «cabanon amélioré», planqué dans les pins au sud de la Pointe-Rouge à Marseille. L’enfance est «modeste, mais sans traumatisme». Viennent les soubresauts carpés de l’adolescence : carreaux cassés, castagne, sens interdits en mob. «C’était toujours à qui serait le plus mariole. On faisait des petites bêtises, et la police nous tirait les oreilles», dit-il avec des syllabes qui siestent, et des «e» muets loquaces. Quand les provinciaux se mettent au diapason de la capitale, arasant toute pointe d’accent, lui conserve un phrasé joyeusement caniculaire. Avant que les anecdotes se fassent la malle avec les volutes de ses cigarettes, on note le resto boîte de jazz de son père, où, jeune tilteur de flipper, il se gavait de cônes glacés, tandis qu’à la nuit d’«iconiques voyous» s’y donnaient rendez-vous. Aujourd’hui, Marseille est synonyme de travail au calme, de lecture et de pêche. Il aime que sa ville ne soit pas une carte postale figée dans sa gloire sépia. Qu’elle bourgeonne de petits restos, de galeries, et d’initiatives innovantes. Olivier Amsellem, photographe et créateur d’un concept store, sourit de la passion de son ami pour le ferrage de la bonite et de la daurade. Outre sa repartie et son humour, il pointe son admiration des génies, Presley ou YSL, et des coups de génie, ainsi qu’un culte des réactions sans queue, ni tête, propre aux vieux Phocéens. Le concerné évoque, lui, Van Gogh et le Caravage, et regrette d’avoir cette année raté l’expo Basquiat à New York.
Il serait coupable de ne pas mentionner que l’enfant de la mer, terme qui peut s’orthographier de deux façons, est aussi un père attendri. Gina, 21 ans, la fille qu’il a eue avec l’actrice Karole Rocher, cumule études de lettres à la Sorbonne et école de théâtre. Séparé de l’auteure, scénariste et réalisatrice Audrey Diwan, Cédric Jimenez est désormais en couple avec Capucine Martin, créatrice de mode. D’ailleurs, un briquet rose de sa marque occupe sans cesse ses doigts.
Au jeu de l’introspection en quelques adjectifs, on récolte «à fleur de peau», «vivant», «passionné», ainsi qu’un grand éclat de rire : «J’ai l’impression de faire de la pub ! Je ne vais pas dire “égoïste”, “impatient” et “excessif”.» Sur les plateaux, on vante l’élan galvanisant et la maîtrise technique de cette «boule d’énergie». Jérémie Renier témoigne d’une intelligence bienveillante : «Cédric aime le cinéma. Cédric aime les acteurs. Le dialogue et la réflexion l’intéressent. C’est un soldat pris par la cause, qui entraîne toute son équipe dans sa dynamique.» Ce que confirme Gilles Lellouche, absent du générique cette fois-ci. «Le type est totalement habité. La première fois que je l’ai rencontré, je me suis dit : “Ou il est mytho, ou il a une vision et du génie !” Ceux qui lui tirent dessus à boulets rouges et lui attribuent des velléités politiques se trompent. Le cinéma est ancré dans sa peau, il peut faire E.T. comme Z. Et s’il n’avance pas, il sombre, il se dégonfle comme un soufflé.»
N’ayant jamais voté à droite, le réal a des prudences d’animal échaudé quand on l’interroge sur Macron et le documentaire en cours. Producteur artistique, il «accompagne l’équipe», espérant surtout trucider la chimère du «Tous pourris !» et faire la lumière sur la fonction présidentielle : agenda en surchauffe, carnet de doléances boursouflé et intimité bazardée.
Impossible d’interviewer un Marseillais sans évoquer l’OM. Dans le Panthéon du footeux, milieu de terrain jusqu’à ses 15 ans, il y a Zidane et Boli. Aujourd’hui, une crinière prometteuse, celle de Mattéo Guendouzi, jeune joueur à l’énergie débordante, attire son œil avisé. Quant à la devise du club, «Droit au but», inutile de vous faire un dessin…
26 juin 1976 Naissance à Marseille.
1995-2001 Mannequinat.
2012 Aux yeux de tous.
2021 Bac Nord.
5 octobre 2022 Novembre.
par Nathalie Rouiller