Il y a 80 ans Eric Adamski échappait à la déportation. Comme des dizaines d’autres enfants, il a été sauvé par des cheminots lillois. Une histoire tragique et méconnue, exhumée par un historien amateur.
Lille, 11 septembre 1942. Ce jour-là, au moins 40 juifs, en majorité des enfants parqués dans une gare lilloise, ont été exfiltrés par des cheminots, voisins ou infirmières. Un geste qui les a ainsi sauvés des camps d’extermination allemands. C’est ce que démontrent les recherches effectuées ces dernières années par un historien, Grégory Célerse.
« J’avais quatre ans », se souvient Eric Adamski. Aujourd’hui, il est âgé de 84 ans. Selon son récit, il est resté caché des heures ce jour-là, dissimulé dans un local de la gare. « On crevait de chaud, on pissait partout, ça devait être horrible. Je suis resté un moment sous un bureau. On m’avait dit de ne pas bouger« , raconte l’octogénaire.
Et pour cause : la gare de triage de Lille-Fives grouille de soldats allemands, chargés d’envoyer les juifs du nord de la France par convoi vers le centre de transit de Malines en Belgique, étape vers Auschwitz. À l’aube du 11 septembre, deux mois après la rafle du Vel d’Hiv, des centaines de juifs sont arrêtés dans le Nord et le Pas-de-Calais par la Feldgendarmerie, dont Eric et sa sœur Fella, alors âgée de 9 ans, ainsi que leur mère.
Exfiltré par le toit d’une locomotive
« On a été embarqués à la gare de Fives. Et on est tombé sur des gens très, très bien« , raconte l’octogénaire. Ses traits ronds se tendent pour vaincre une pudeur entretenue par des décennies de silence.
Lorsque les cheminots réalisent ce qui se passe, ils cachent ceux qui peuvent l’être, surtout les enfants, dans des bureaux, des trains à l’arrêt et même le sac-à-dos d’une infirmière. Puis ils les exfiltrent, grâce à leur connaissance des lieux, les confiant à des voisins, des connaissances ou des réseaux de résistance.
Eric, lui, est sauvé par un certain « Monsieur Deschryver », comme il l’appelle encore aujourd’hui. C’est un cheminot dont l’épouse faisait des ménages à leur domicile. Cette dernière vient chercher Fella à vélo. « Moi je faisais partie de deux ou trois enfants qui ont été emmenés par ce chauffeur de train dans sa locomotive puis sortis par dessus les urinoirs« , dont le toit avait été démonté. Il est caché chez les Deschryver le temps de retrouver ses parents.
Un sauvetage clandestin peu documenté
Sa mère, qui n’était pas juive et avait de faux papiers au nom d’un ancien officier belge, a été renvoyée de Malines vers la France. Son père, lui, était resté caché. Sur les quelque 500 personnes envoyées en déportation dans ce convoi, seules une quinzaine reviendront.
Eric n’a su que peu de choses sur cette journée fatidique, tout comme nombre d’autres enfants sauvés mais restés orphelins.
Ce sauvetage clandestin, « l’une des seules tentatives réussies de sauver d’un convoi ferroviaire » des juifs envoyés en déportation, selon Serge Klarsfeld, a été largement improvisé. Et a laissé peu de traces. Résultat : seules quelques publications spécialisées en ont retracé les grandes lignes, sans qu’il ne soit connu du grand public.
Juste parmi les Nations
Mais en 2012 un historien amateur, Grégory Célerse, se met à éplucher les comptes-rendus d’après-guerre, archives belges, allemandes et françaises, et même les recensements des communautés juives pour reconstituer dans le détail l’ampleur de l’opération. « Un ami, sachant que je travaillais sur le sujet, s’est souvenu avoir acheté lors d’une brocante dans les années 80 un document d’époque sur une opération de sauvetage similaire« , raconte-il.
Trouvaille inespérée : il s’agit en fait d’un rapport dactylographié original de l’ancien chef de gare, Jean Mabille, qui a consigné ses souvenirs de l’opération sur trois feuillets en 1946. Fort de ce document, et de ses rencontres avec des rescapés ou descendants de cheminots, Grégory Célerse publie en 2016 « Sauvons les Enfants ». Dans ce livre, il raconte cet élan de solidarité et ses suites. Fin 2021, l’un des cheminots, Marcel Hoffmann, a reçu à titre posthume le titre de « Juste parmi les Nations« , en reconnaissance des risques pris il y a 80 ans.
La même année, la ville de Lille pose une plaque près des voies ferrées, là où se situait la gare aujourd’hui disparue. Un geste, pour commémorer « cet acte de courage et d’humanité » qui « éclaire encore notre présent ». Ces recherches aboutissent également à un documentaire, qui sera diffusé sur France 3 le 19 septembre à 22h50.
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